Alors que l’inflation montre des signes de ralentissement et que le taux directeur de la Banque Centrale de Tunisie reste stable à 7,5%, la question d’une nouvelle baisse se pose naturellement. Toutefois, face à des fragilités structurelles persistantes, une pression continue sur la valeur du dinar et des risques inflationnistes importés, toute décision d’abaisser davantage le taux directeur doit être soigneusement pesée afin d’éviter des déséquilibres économiques et financiers potentiellement lourds de conséquences. L’analyse de l’IACE souligne que le contexte actuel appelle plus à la prudence qu’à une action monétaire expansive.
En effet, la BCT a maintenu un taux directeur stable à 8% pendant plus de deux ans (depuis décembre 2022), avant de procéder à une première baisse modérée de 50 points de base en mars 2025, ramenant ce taux à 7,5%. D’où la question qui se pose : la baisse des taux peut-elle se poursuivre dans un contexte où l’inflation recule mais reste au-dessus du taux directeur ?
Il faut rappeler que l’aspect important à considérer est l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire hors produits alimentaires et énergie, un indicateur clé pour les banquiers centraux car il reflète l’inflation plus structurelle.
En septembre 2025, cette inflation sous-jacente demeure élevée à 5,2%, légèrement au-dessus de l’inflation globale. De surcroît, l’inflation des produits alimentaires libres a atteint 7,2% en juin 2025. Ces produits représentent environ 21% du panier de consommation tunisien, ce qui alimente les inquiétudes quant à la maîtrise totale des pressions inflationnistes.
Ces chiffres font craindre que la BCT soit prudente, voire réticente, à poursuivre un cycle de baisse des taux alors que ces tensions sous-jacentes rendent la maîtrise progressive de l’inflation encore fragile.
Incertitudes internationales et risques externes
La conjoncture mondiale est marquée par un fort climat d’incertitude, reflété par la montée du World Uncertainty Index, influencé par plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci figurent les tensions commerciales résultant des politiques tarifaires américaines, les conflits géopolitiques persistants, ainsi que le maintien de politiques monétaires restrictives par les principales banques centrales à l’échelle mondiale.
Pour une économie fortement ouverte et dépendante des importations, notamment alimentaires et énergétiques, cette incertitude internationale représente un risque significatif de choc externe. Une nouvelle hausse des prix de ces produits, déclenchée par des tensions géopolitiques ou commerciales, pourrait relancer une inflation importée que la BCT aura du mal à contenir.
Faible croissance potentielle et capacité de production limitée
Sur le plan national, la croissance économique reste toutefois modérée, avec un taux de 3,2% au deuxième trimestre 2025, contre 1,4% un an auparavant. Cependant, cette croissance apparente ne reflète pas une augmentation réelle des capacités productives. La croissance potentielle est très faible, presque nulle, ce qui signifie que l’économie ne gagne pas en capacité productive durable.
La faiblesse du climat des affaires, marqué par de l’attentisme et un recul des investissements, conjuguée à des contraintes budgétaires, limitées par une masse salariale élevée, le service important de la dette publique et les subventions, rend difficile tout effort de développement structurel. Dans ce contexte, une baisse des taux d’intérêt stimulerait surtout la demande intérieure sans réelle augmentation de l’offre, ce qui risque surtout d’alimenter l’inflation plutôt que la production.
Cette situation est aggravée par un espace budgétaire restreint et une structure rigide des dépenses publiques, qui limitent la capacité de l’Etat à soutenir la croissance par des politiques fiscales expansives. Dès lors, baisser les taux d’intérêt pourrait être contre-productif en attisant les pressions inflationnistes sans créer de richesse additionnelle.
Pression sur le dinar et fragilité extérieure
Le déficit commercial s’est aggravé, passant à environ 16,7 milliards de dinars (MDT) en 2025 contre 13,5 milliards en 2024. Cette détérioration des échanges extérieurs exerce une pression notable sur la monnaie tunisienne, le dinar, qui poursuit sa dépréciation face à l’euro.
Bien qu’une légère amélioration de l’excédent des services ait partiellement compensé la tendance, le déficit courant s’est creusé, passant à -1,9% du PIB en 2025 contre -1,2% l’année précédente. Cette situation entraîne une hausse des besoins de financement extérieur et réduit la liquidité en devises étrangères dans le pays.
Au 22 octobre 2025, les réserves en devises couvrent environ 106 jours d’importations, un niveau jugé fragile compte tenu des vulnérabilités structurelles de l’économie. Une diminution de la disponibilité des devises entraînerait une pression accrue sur le dinar, risquant de l’affaiblir encore plus.
Une baisse supplémentaire du taux directeur pourrait aggraver cette situation. Elle encouragerait en effet davantage le recours à l’endettement pour financer les importations, augmentant la demande en devises, exerçant une tension supplémentaire sur les réserves de change et accentuant la dépréciation du dinar.
La dépréciation monétaire pourrait alors se traduire par un phénomène connu sous le nom de « pass-through » du taux de change, c’est-à-dire une augmentation des prix des biens importés, contribuant une nouvelle fois à alimenter l’inflation.
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