« La crise de la dette tunisienne et la recherche d’alternatives au-delà des institutions de Bretton Woods ». C’est l’objet d’une table ronde organisée par la Fondation Friedrich Naumann pour la liberté et animée par Sahar Mechri, directrice exécutive de Managers. Le sujet a été élaboré par les professeurs Abderazzek Zouari et Hamadi Fehri.
À noter au passage que la table ronde a réuni quelques initiés en matière de politique monétaire et des enseignants universitaires.
Pour commencer, Mme Mechri a planté le décor en présentant à l’assistance les deux intervenants. En effet, Abderazzek Zouari est professeur des universités en économie, ancien administrateur d’ABC Bank, ancien président du conseil d’administration de l’UBCI, ancien ministre du Développement régional et ancien directeur de l’ESC. Pour sa part, Hamadi Fehri a occupé les postes de directeur de l’ENA, de l’IHEC et de La Poste tunisienne.
Ils ont cosigné un excellent ouvrage intitulé « L’économie tunisienne à l’épreuve de la démocratie ».
Ensuite, elle a rappelé que depuis 2011, l’économie tunisienne a connu plusieurs chocs internes et externes, mais aussi une gestion économique insuffisamment adaptée, des fragilités institutionnelles, ce qui a fait que les déséquilibres financiers se sont creusés au fil des ans, dit-elle. Elle ajoutera que la Tunisie affichait des taux de croissance enviables avant 2011, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
En attentant de revenir sur les débats qui ont ponctué cette table ronde, les deux auteurs ont résumé la problématique en ces termes.
Tout d’abord, ils ont rappelé que « la Tunisie était, jusqu’en 2010, présentée par les institutions internationales (Fonds monétaire international et Banque mondiale en tête) comme un exemple de réussite économique. Depuis 2011, les chocs externes défavorables et la gestion chaotique de l’économie avec des politiques économiques et sociales inadéquates ont ouvert la voie au désastre », écrivent-ils.
Toutefois, poursuivent les professeurs, « l’économie fait face depuis à un déséquilibre majeur des finances publiques et à un niveau préoccupant de la dette ».
Selon eux, le FMI se penche de nouveau sur l’économie tunisienne dans le cadre de ses consultations de l’article IV. « Son diagnostic de la situation économique actuelle en l’absence de réformes est sévère et ses recommandations de l’époque du Programme d’ajustement structurel (PAS) de 1986 n’ont pas changé en 2021, dénoncent-ils. Sauf que, « cette fois c’est différent » », ajoutent-ils, car « le chef de l’État rejette les « diktats » du Fonds et déclare que nous n’avons d’autres alternatives que de « compter sur nous-mêmes » et « la volonté de notre peuple » pour réaliser un développement souverain qui s’oppose à la vision néolibérale du FMI proposée à la Tunisie ».
Dans ce cadre, MM. Zouari et Fehri soulignent que « le rôle social de l’État, tout en s’appuyant sur des ressources internes et en explorant de nouveaux marchés internationaux ainsi que de nouvelles opportunités de coopération économique, forme la trame de cette nouvelle orientation ». D’ailleurs, ils ne manquent pas de rappeler que la loi de finances 2025 détaille les mesures à prendre dans ce sens.
Sauf que les notions « compter sur nous-mêmes » et « volonté de notre peuple », considérées comme un socle de politique souverainiste, « ne semblent pas, en l’état actuel, une stratégie économique efficace ». Et ce, compte tenu des « contraintes économiques, structurelles et politiques » auxquelles est soumise aujourd’hui la Tunisie qui risquent même de « … plonger le pays dans le précipice », s’inquiètent nos deux interlocuteurs.
En conclusion, Abderazzek Zouari et Hamadi Fehri pensent qu’il est peu probable que le problème de la dette soit résolu de manière rapide. « Toutefois, il est possible d’envisager des solutions de politique économique en s’attaquant autant que possible aux racines du mal. Les solutions que nous préconisons ne sont pas mutuellement exclusives ».
Le débat
En toute logique, les débats ont porté sur la dette tunisienne, sa soutenabilité ou non, son impact sur la croissance économique, mais surtout sur les réformes, le compter sur soi, souveraineté économique, politique monétaire et politique et déficit budgétaires, Banque centrale, climat des affaires…
Mais ce qui a le plus attiré l’attention, c’est sans doute le manque d’une « révolution institutionnelle » en Tunisie. Car, selon plusieurs intervenants, l’administration tunisienne fonctionne avec les mêmes process que ceux des années ’60 ou ’70 du siècle dernier.
Concernant la question de la « réorientation » de la Tunisie évoquée ici et là et rappelée à cette occasion par l’animatrice de la table ronde, le professeur Zouari n’a pas manqué d’exprimer son malaise par rapport à cela. Et ce, parce que, explique-t-il, cela supposerait que la Tunisie laisse tomber son partenaire historique qu’est l’Union européenne, avec lequel elle réalise près de 75% de ses échanges, au profit d’autres pays ou entités économiques, à l’instar des BRICS.
Dans ce cadre, il rappellera du reste que les BRICS possèdent une banque de développement… qui ne prête pas de l’argent et qui n’investit que dans les pays ayant une participation dans le capital.
Dans cette optique, les deux intervenants proposent cinq solutions qui seraient à même de sortir le pays du marasme économique :
• La croissance économique permet d’assurer mécaniquement la réduction du ratio dette/PIB. Historiquement, certaines économies (avancées, mais aussi émergentes et en développement) ont pu réduire leur dette en atteignant des taux de croissance supérieurs aux taux d’intérêt. Les perspectives de croissance restent malheureusement faibles en Tunisie en l’absence de réformes structurelles qui tardent à être implémentées. Pourtant, les opportunités de croissance existent en libérant le secteur privé et en démantelant les bases de l’économie de la rente. Cette première solution, techniquement possible, nécessite un consensus social que la situation politique actuelle ne semble pas faciliter.
• L’instauration d’une règle budgétaire stable et effective et d’un déficit structurel maximal stable permettra de baisser rapidement le ratio dette publique/PIB. Cela devra concerner l’ensemble des administrations publiques. Pour qu’elle soit viable, cette règle devra s’étaler sur plusieurs années, rendant ainsi nécessaire le fait de passer d’un budget annuel à un budget pluriannuel, intégré dans le cadre d’une loi de programmation des finances publiques, explicitant clairement et en termes concrets l’objectif du déficit. De tels budgets portent, généralement, sur une période de trois ans ou plus
• L’amélioration de l’efficacité du secteur public (Administration, Entreprises publiques) permet de baisser son coût de fonctionnement et par là les dépenses publiques. Cela concerne non seulement les entreprises publiques mais également certaines administrations qui représentent un fardeau pour les finances publiques. Certaines administrations créées dans les années ’70 continuent à fonctionner sans que l’on sache exactement leur rôle.
• Sans un surplus primaire positif, le déficit public attendu serait supérieur au solde stabilisant le poids de la dette dans le PIB qui continuerait donc d’augmenter à court terme. Par conséquent, la réalisation d’un surplus primaire positif exige que les recettes totales dépassent les dépenses hors intérêt de la dette. Il faut remarquer que le niveau de ce surplus est clairement du ressort du gouvernement. Afin de réaliser cet objectif, il est nécessaire, tout d’abord, de stabiliser le ratio dépenses publiques/PIB (en d’autres termes, une hausse des dépenses publiques ne dépassant pas celle du PIB), de prendre ensuite les mesures nécessaires afin que les recettes non fiscales soient à leur niveau maximal (notamment les recettes provenant des secteurs sinistrés comme, par exemple, le secteur des phosphates) et, enfin, d’élargir l’assiette fiscale (sachant que la hausse des taux d’imposition a dans la plupart des cas pour effet de réduire les recettes fiscales).
• La réduction de l’écart entre le coût moyen de l’emprunt et le taux de croissance constitue également un moyen de réduire le poids de la dette. À court terme, le gouvernement doit chercher à minimiser le coût de l’emprunt en adoptant une politique active de la dette publique, en recherchant par exemple des garanties auprès de gouvernements amis, comme ce fut le cas il y a quelques années. À plus long terme, la réalisation d’un taux de croissance plus élevé reste la clé de voute d’une réduction du ratio dette publique/PIB.
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