L’INS a récemment publié, coup sur coup, les estimations de la croissance économique et les estimations de l’emploi et du chômage. Extraits :
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Croissance économique au troisième trimestre 2024.
Les estimations issues des comptes nationaux trimestriels montrent que le Produit Intérieur Brut (PIB) en volume, corrigé des variations saisonnières, a enregistré une croissance au taux de 1.8 % sur un an au cours du troisième trimestre de l’année en cours. En rythme annuel, la croissance marque ainsi une nette amélioration comparativement à celui estimé au cours du deuxième quart de l’année 2024 (1.0 %).
En glissement trimestriel, c’est-à-dire par rapport au deuxième trimestre de l’année en cours, le PIB en volume aura progressé de 0.8 %, contre une augmentation au taux de 0.2% au trimestre précédent.
Sur cette base, l’économie tunisienne a enregistré une croissance de 1.0% au cours des neuf premiers mois de l’année en cours. ( https://www.ins.tn/publication/la-croissance-economique-au-troisieme-trimestre-2024 ).
Le Taux de chômage stable à 16,0 %, mais on note une légère augmentation du nombre de chômeurs. Au troisième trimestre de l’année 2024, le nombre de chômeurs est estimé à 667,2 mille, contre 661,7 mille au deuxième trimestre. Le taux de chômage reste stable à 16,0 % (contre 16,0 % au deuxième trimestre du même année). Par sexe, le taux de chômage diminue a 13,3% pour les hommes (13,6 % au deuxième trimestre 2024). Alors que pour les femmes le taux de chômage augmente a 22,1 % au troisième trimestre 2024 (21,3 % au trimestre précédent). ( https://www.ins.tn/sites/default/files-ftp3/files/publication/pdf/Note_Emploi_T3_2024.pdf ).
Ces publications sont fortement controversées, voire même tournées en dérision.
Certains experts en économie ont exprimé des doutes concernant les derniers indicateurs publiés par l’Institut National de la Statistique (INS). Dans la mesure où ces données font état d’une amélioration du taux de croissance économique, tout en signalant une stagnation, voire d’une aggravation, du taux de chômage.
Les chiffres montrent que le taux de croissance économique a progressé en glissement annuel, passant de -0,4 % au troisième trimestre 2023 à 1,8 % au troisième trimestre 2024. Cette évolution s’explique, selon les experts, par une reprise après la contraction enregistrée l’année précédente. Cependant, en glissement trimestriel, la croissance a ralenti, passant de 1 % au deuxième trimestre 2024 à 0,8 % au troisième trimestre.
Parallèlement, le taux de chômage est resté stable à 16 % au troisième trimestre 2024, par rapport au trimestre précédent, mais il a légèrement augmenté par rapport au troisième trimestre 2023, où il était de 15,8 %.
Ces experts qualifient cette situation d’ « invraisemblable » et soulèvent une question clé : « Comment peut-on expliquer une croissance économique passant de -0,4 % à 1,8 % alors que le chômage augmente de 15,8 % à 16 % ? ».
Ils jugent une telle dynamique difficile à comprendre, sauf à envisager une amélioration spectaculaire et rapide de la productivité nationale. Ce qui semble peu réaliste sur une période aussi courte.
Ils rappellent que les transformations économiques s’inscrivent généralement sur le long terme et non sur quelques mois seulement.
Ce qui précède nous interpelle pour remettre en lumière le paradoxe économique néoclassique fort connu (on trouvera, infra, une liste non exhaustive des principaux auteurs qui y ont contribué) : la coexistence d’une hausse du taux de croissance économique avec une augmentation du taux de chômage.
Ce phénomène, bien qu’en apparence contradictoire, peut être expliqué par plusieurs dynamiques économiques et structurelles spécifiques aux pays émergents et au contexte tunisien.
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Première dynamique : la reprise économique et ses limites structurelles.
La progression du taux de croissance de -0,4 % à 1,8 % en glissement annuel au troisième trimestre 2024 s’inscrit dans une dynamique de reprise post-contraction. Cette hausse traduit principalement un effet de rattrapage lié à la résilience de certains secteurs comme l’agriculture, les industries exportatrices ou encore le tourisme.
Cependant, l’amélioration observée reste modeste et fragile, comme le montre le ralentissement de la croissance en glissement trimestriel (1 % à 0,8 % entre T2 et T3 2024). Cela reflète des difficultés persistantes dans l’économie tunisienne, telles que des goulots d’étranglement structurels, un manque d’investissement productif et une faible diversification économique.
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Deuxième dynamique : le chômage structurel et les limites du modèle de croissance
Le taux de chômage a stagné à 16 % au troisième trimestre 2024 par rapport au trimestre précédent, mais il reste supérieur au niveau enregistré un an plus tôt (15,8 %).
Cette tendance illustre un problème structurel du marché du travail tunisien :
– Croissance non inclusive : L’amélioration de la croissance n’a pas généré suffisamment d’emplois. Cela peut s’expliquer par le fait que les secteurs moteurs de la croissance, comme le secteur extractif ou les industries exportatrices, sont souvent capitalistiques et peu générateurs d’emplois.
– Décalage entre formation et demande du marché : le chômage, particulièrement élevé chez les diplômés, reflète une inadéquation entre les compétences disponibles et les besoins des entreprises.
– Informalisation et précarisation de l’emploi : une part importante de l’économie tunisienne repose sur des emplois informels ou précaires, ce qui limite l’impact des reprises économiques sur le taux de chômage officiel.
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Troisième dynamique : hypothèse de productivité et qualité des données.
Ces experts en économie soulignent l’irrationalité d’une hausse rapide de la productivité en seulement trois mois pour expliquer la baisse du chômage. Cela invite à questionner la fiabilité des données statistiques et des méthodes de mesure employées par l’Institut national de la statistique (INS). Il est possible que :
– Les données sur la croissance surévaluent certaines performances sectorielles.
– Les chiffres du chômage sous-estiment les effets des politiques publiques ou des mouvements de main-d’œuvre, notamment dans le secteur informel.
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Implications et perspectives.
Ce paradoxe met en exergue l’urgence de revoir les fondements de la stratégie économique tunisienne. Les efforts devraient se concentrer sur :
– La création d’emplois inclusifs : orienter les investissements vers des secteurs à forte intensité de main-d’œuvre, comme l’agriculture durable, le tourisme culturel et l’économie verte.
– Une meilleure adéquation formation-emploi : réformer le système éducatif pour aligner les compétences des diplômés avec les besoins du marché.
– La modernisation de l’infrastructure économique : favoriser les investissements publics et privés pour renforcer les capacités productives et améliorer la compétitivité globale.
En définitive, la situation paradoxale décrite par M. Chkoundali révèle non seulement une incohérence entre les indicateurs économiques mais aussi des défis structurels profonds. Une politique économique cohérente, inclusive et orientée vers l’emploi est essentielle pour rompre avec cette dynamique stagnante.
Eclairages : la problématique néoclassique de la coexistence d’une hausse du taux de croissance économique avec une augmentation du taux de chômage,
La problématique néoclassique de la coexistence d’une hausse du taux de croissance économique avec une augmentation du taux de chômage souvent appelée « paradoxe de la croissance sans emploi » ou « joblessgrowth », a été étudiée par plusieurs économistes et chercheurs. Voici quelques auteurs et références pertinents sur cette question :
- Arthur Okun :
– Concept : la loi d’Okun explore la relation entre le taux de croissance du PIB et les variations du chômage. Cependant, des contextes où cette loi ne s’applique pas strictement, comme dans certains pays émergents ou en développement, ont été étudiés pour expliquer ce paradoxe.
– Ouvrage : « PotentialGNP:ItsMeasurement and Significance » (1962).
- William Baumol :
– Concept : la thèse de Baumol sur les services non productifs explique que dans les économies modernes, la croissance peut se concentrer dans des secteurs à faible intensité de main-d’œuvre, comme la technologie, tout en laissant les secteurs employeurs traditionnels en déclin.
– Ouvrage : « Macroeconomics of UnbalancedGrowth: The Anatomy of Urban Crisis » (1967).
- Philippe Aghion et Peter Howitt
– Concept : leur théorie de la croissance endogène examine comment l’innovation stimule la croissance économique mais peut initialement provoquer des pertes d’emplois dans certains secteurs avant d’en créer ailleurs.
– Ouvrage : « EndogenousGrowth Theory » (1998).
Plus récemment encore,
- David Autor
– Concept : Autor a travaillé sur l’impact de la polarisation du marché du travail et l’automatisation, qui favorisent la croissance économique tout en supprimant certains emplois intermédiaires.
– Ouvrage : Articles tels que « The Polarization of Job Opportunities in the U.S. Labor Market » (2010).
- Joseph Stiglitz
– Concept : Stiglitz aborde les inégalités croissantes dans ses travaux, en expliquant comment elles peuvent découpler croissance et emploi, surtout dans les économies dominées par des politiques néolibérales.
– Ouvrage : « Globalization and Its Discontents » (2002) et « The Price of Inequality » (2012).
- Dani Rodrik
– Concept : Rodrik met en avant la désindustrialisation prématurée et l’incapacité des secteurs modernes à absorber suffisamment de main-d’œuvre, ce qui alimente le paradoxe.
– Ouvrage : « The Globalization Paradox » (2011).
- Jean Gadrey et Florence Jany-Catrice
– Concept : Ils explorent la « croissance qualitative » et ses limites en termes de création d’emplois, notamment dans les pays où le secteur des services domine.
– Ouvrage : « Les nouveaux indicateurs de richesse » (2012).
Ces auteurs offrent des perspectives variées pour comprendre ce paradoxe économique néoclassique, en tenant compte de facteurs structurels (technologie, inégalités), institutionnels (marché du travail) et sectoriels (désindustrialisation, tertiarisation).
Parmi les auteurs mentionnés, Joseph Stiglitz a été primé. Il a reçu le Prix Nobel d’économie en 2001, conjointement avec George Akerlof et Michael Spence, pour leurs analyses des marchés avec asymétrie d’information.
Les autres auteurs, bien que très influents dans leurs domaines respectifs, n’ont pas été récompensés par le Prix Nobel d’économie à ce jour.
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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