Dans quel monde vivons-nous ? Sommes-nous à ce point déconnectés de la réalité ? Le PLF 2026 a allumé les feux de la discorde, alors qu’il devait donner un cap, esquisser une trajectoire de croissance, une promesse d’un avenir meilleur. Les acteurs économiques et sociaux, qui ne s’entendent sur rien, s’accordent pour une fois dans un même élan de contestation. Au sein de l’ARP, d’habitude si accommodante, il y a comme l’amorce d’un vent de fronde. Au mieux, les lignes se déplacent au fil des articles. Le projet gouvernemental ne fait pas l’unanimité, loin s’en faut, même chez les soutiens assumés du pouvoir. Les élus en rupture de ban tirent à boulets rouges et font feu de tout bois. Allez savoir pourquoi.
Dans ce climat de foire d’empoigne, on discute de tout et on élude l’essentiel. On y agite, face aux autorités publiques, la pancarte du recrutement de doctorants d’une autre époque, pas loin de la retraite, sans que rien ne les y oblige et sans que l’on sache pourquoi et à quel titre. A moins qu’il ne s’agisse d’acheter à crédit ce qui reste de la paix sociale. On oublie au passage que le bateau ivre de l’Etat menace de couler sous le poids et le nombre de ses fonctionnaires, au mépris des règles de gouvernance les plus élémentaires.
Des élus de la nation s’acharnent contre les nouvelles dispositions fiscales de l’Etat, conçues au seul motif de maximiser la collecte, au-delà de ce qui est raisonnable, des fonds pour assurer son fonctionnement peu productif, au risque de sonner le glas de l’épargne et de l’investissement.
La fiscalité qui frappe les ménages et les entreprises est si lourde qu’elle a bridé la consommation et enrayé toute possibilité de reprise et de redressement économiques. Il faut pourtant sortir du piège de l’impôt. Plus d’impôt, moins de croissance et moins de rentrées fiscales. Et c’est le cercle vicieux qui se referme. A vouloir déconnecter les prélèvements de la production, on finit par s’en prendre à l’épargne et au patrimoine, sans lien aucun avec les flux de revenus déjà lourdement taxés. Cela revient à enfoncer le dernier clou dans le cercueil des investissements.
Chômage, inflation, déséquilibre extérieur, impasse budgétaire, endettement… sont devenus des lieux communs. Le PLF les effleure à peine sans s’y attarder. Les parlementaires s’en saisissent, c’est dans l’ordre des choses, sauf qu’ils ne les abordent que sous le prisme social.
Chômage, inflation, déséquilibre extérieur, impasse budgétaire, endettement… sont devenus des lieux communs. Le PLF les effleure à peine sans s’y attarder. Les parlementaires s’en saisissent, c’est dans l’ordre des choses, sauf qu’ils ne les abordent que sous le prisme social. A croire que les problèmes d’offre qui les conditionnent sont masqués par un angle mort.
La dette, à peine soutenable, plombe la croissance. Son coût dépasse de loin le surplus généré par la croissance. Si bien qu’il faut emprunter sans arrêt à des conditions draconiennes pour rembourser le service de la dette, qui croît de manière exponentielle. Le déficit de la balance commerciale est à son plus haut niveau historique. Le chômage se répand comme une traînée de poudre, hors de tout contrôle. L’artifice de son traitement social ne doit pas faire illusion. Il pèse plus sur les comptes publics marqués au rouge vif qu’il n’apporte de vraies solutions. Le chômage ne se gère pas, il faut le combattre à force d’investissement, de formation et d’innovation.
Nul souci, nulle inquiétude apparente. Rien qui puisse troubler le sommeil de responsables publics retranchés dans leur bulle, presque en apesanteur. Les députés qui donnent de la voix se noient dans les détails sans se soucier outre mesure des causes de la dégradation des agrégats macroéconomiques dont ils ne pointent du doigt que la partie visible. Autant dire l’effet plutôt que la cause.
Le débat se focalise sur le montant de la dette, alors que c’est l’usage qu’on en fait qui est au cœur du problème. Le déficit extérieur, qui atteint son plus haut niveau historique, est scruté sous l’angle de la seule explosion des importations, sans se poser la question sur les raisons d’une telle dérive.
Le débat se focalise sur le montant de la dette, alors que c’est l’usage qu’on en fait qui est au cœur du problème. Le déficit extérieur, qui atteint son plus haut niveau historique, est scruté sous l’angle de la seule explosion des importations, sans se poser la question sur les raisons d’une telle dérive. En cause, la désindustrialisation rampante et la baisse structurelle des exportations. Ce qui nous ramène à chaque fois au cœur du problème : le déficit d’offre de production. Où l’on reparlera de nouveau d’absence de politiques publiques et sectorielles, de climat des affaires peu propice à l’investissement et de productivité en déclin.
La vérité est que le pays attend son salut des recettes touristiques – du reste assez modestes au regard de son potentiel – et des transferts des revenus des Tunisiens à l’étranger (TRE). Il vit de cette manne financière venue d’ailleurs. Position d’autant plus paradoxale qu’il s’est fait une spécialité en matière de dénonciation de situations de monopole et de rente dont il accable les grands groupes privés, mais non moins nationaux.
Trêve d’incohérence et d’hypocrisie ! La Tunisie vit, et cela ne date pas d’aujourd’hui, au-dessus de ses moyens, à crédit pour ainsi dire. On fait semblant d’oublier que, ce faisant, on condamne les jeunes générations à d’immenses sacrifices en leur transmettant la charge de la dette. Comme si leur remettre en héritage un pays dévasté par la pollution et la dégradation de l’environnement ne suffisait pas.
L ’ennui est que notre propension nationale de vouloir « vivre au-dessus de nos moyens » révèle ses propres limites. On mesure déjà les conséquences de cette aberration, de ce dysfonctionnement économique et sociétal. Les temps où l’on pouvait emprunter à fond la caisse sont loin derrière nous. Les marchés financiers et les institutions financières internationales sont moins accommodants, quand ils ne sont pas réticents et sourds à nos appels et sollicitations. Les acrobaties financières pour éviter le défaut de paiement, aussi coûteuses qu’inefficaces, ne suffisent pas pour nous épargner les affres des pénuries. A cette différence près qu’en l’espèce, il y a celles auxquelles on peut se résigner; car sans danger pour la santé de la population, même si elles impactent au final lourdement le portefeuille familial. Mais on ne peut pas dire autant des pénuries de médicaments, et pas n’importe lesquels, ceux notamment dont dépend la survie des individus. Inacceptable et intolérable.
On imaginait autrement l’appel « du compter-sur-soi ». Il ne pouvait et il ne devait être qu’une ode à la vie, à une vie digne et assurée. Si cela doit assombrir le paysage hospitalier, dont il faut au contraire renforcer l’immunité, alors le compte n’y est plus.
Faut-il persister dans notre attitude à l’égard du FMI en se privant de se donner plus d’air, plus de facilités et de marges de manœuvre avec des créanciers qui seraient plus accommodants ? A quoi bon, si cela doit finir par susciter la peur, l’inquiétude et l’angoisse chez une partie de la population, en raison de pénuries de médicaments, dont certains sont vitaux pour la survie ? On imaginait autrement l’appel « du compter-sur-soi ». Il ne pouvait et il ne devait être qu’une ode à la vie, à une vie digne et assurée. Si cela doit assombrir le paysage hospitalier, dont il faut au contraire renforcer l’immunité, alors le compte n’y est plus.
Y a-t-il une raison valable qui justifie qu’il faille maintenir nos réserves de change à 105 jours d’importation, quand trois jours en moins combleraient notre déficit en médicaments et injecteraient dans le pays assurance, sécurité et espoir sans altérer en quoi que ce soit la valeur du dinar ? Scénario d’autant plus possible que de l’autre côté du miroir, 900.000 baguettes de pain fortement subventionnées sont gaspillées chaque jour, ni consommées ni recyclées. Un simple ajustement des prix mettra fin à ce scandale et aux pénuries de médicaments, surtout les plus chers d’entre eux destinés aux maladies chroniques. Autant subventionner la Pharmacie centrale qui a le monopole des importations de médicaments pour pallier la déficience et l’incapacité des hôpitaux et des caisses de sécurité sociale d’honorer leurs engagements à son égard.
Les statistiques, d’où qu’elles proviennent, ne doivent pas cacher la réalité des faits. Elles ne sont pas désincarnées. Derrière le voile des chiffres, il peut y avoir de fortes et légitimes attentes et de véritables souffrances humaines. La santé n’a pas de prix. Le pays doit l’assumer, sous peine de provoquer cassure et déchirure dans le tissu social. Avant que l’indignation et la colère ne se transforment en contestation aux effets indésirable.
Cet édito est disponible dans le mag. de l’Economiste Maghrébin n°933 du 3 au 17 décembre 2025, sous le titre « Santé ».
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