La prison israĂ©lienne de Megiddo est officiellement une prison mais par ces conditions de dĂ©tention, les exactions des droits de lâhomme qui y sont commises et lâabsence de la notion de la dignitĂ© humaine, elle ressemble plus Ă un bagne dâun autre Ăąge. Y ĂȘtre incarcĂ©rĂ© câest essayer de survivre dans les pires conditions. HĂ©las, le monde et les mĂ©dias internationaux oublient ces dĂ©tenus palestiniens livrĂ©s Ă eux-mĂȘmes.
Imed Bahri
Haaretz a publiĂ© une enquĂȘte choquante sur la prison de Megiddo dans le nord dâIsraĂ«l, dĂ©crite comme la pire prison de lâĂtat hĂ©breu. Ce rapport se base sur des tĂ©moignages de prisonniers palestiniens souffrant de malnutrition, de propagation de maladies infectieuses ainsi que dâautres formes de torture dont certaines ont entraĂźnĂ© la mort de certains dâentre eux.
Un jeune Palestinien de 16 ans a racontĂ© son expĂ©rience Ă la prison de Megiddo Ă Haaretz qui a modifiĂ© son vrai nom parce quâil est mineur et lâa appelĂ© Ibrahim.
Ibrahim a Ă©tĂ© interviewĂ© aprĂšs sa sortie de prison. Il a passĂ© la majeure partie de lâannĂ©e Ă©coulĂ©e en prison Ă apprendre essentiellement Ă survivre. Il a rĂ©sumĂ© son expĂ©rience en prison en un mot: torture, un mot que Haaretz dĂ©crit comme ne reflĂ©tant que partiellement son apparence maladive et les souvenirs quâil aimerait effacer.
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Une épidémie de gale sévit parmi les prisonniers
Au cours de lâinterview, Ibrahim a dĂ©clarĂ© avoir Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© en octobre 2024, dĂ©tenu pendant huit mois et avoir Ă©tĂ© libĂ©rĂ© aprĂšs que son Ă©tat de santĂ© se soit dĂ©gradĂ©. Il a Ă©voquĂ© une Ă©pidĂ©mie de gale, une maladie cutanĂ©e contagieuse gĂ©nĂ©ralement transmise par contact direct avec une peau infectĂ©e ou indirectement par le partage de vĂȘtements ou de literie avec une personne infectĂ©e.
La journaliste de Haaretz a rencontrĂ© Ibrahim dans lâappartement familial Ă Naplouse oĂč elle observĂ© des taches rouges et grises de tailles variables indiquant des infections rĂ©currentes de gale ainsi que dâautres maladies.
Ibrahim a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© il y a environ un mois. La Commission israĂ©lienne des libĂ©rations conditionnelles âun organisme judiciaire ou administratif qui examine les demandes de libĂ©ration anticipĂ©eâ a dĂ©clarĂ© que son apparence Ă©tait «trĂšs inquiĂ©tante».
Le journal a ajoutĂ© que pour complĂ©ter le tableau, il Ă©tait nĂ©cessaire dâĂ©couter ce que lui et sa mĂšre avaient Ă dire. Sa mĂšre a dĂ©crit le choc quâelle a ressenti en le voyant pour la premiĂšre fois aprĂšs sa libĂ©ration. «Il ressemblait Ă une momie, comme si ce nâĂ©tait pas vraiment lui! Nous ne lâavons pas reconnu», a-t-elle dĂ©clarĂ© en sâasseyant Ă cĂŽtĂ© de lui sans le quitter des yeux.
Outre sa gale, Ibrahim souffrait de violences et prĂ©sentait les symptĂŽmes dâune grave maladie intestinale notamment des Ă©vanouissements. Selon le journal, le tĂ©moignage dâIbrahim nâĂ©tait quâune infime partie dâun ensemble bien plus vaste de tĂ©moignages de dĂ©tenus adultes et mineurs ayant souffert des mĂȘmes maux Ă Megiddo. Lâun dâeux, Walid Ahmed, 17 ans, est dĂ©cĂ©dĂ© en prison en mars dernier.
Selon de nombreux tĂ©moignages rapportĂ©s Ă Haaretz, la nĂ©gligence mĂ©dicale et la malnutrition ne sont que deux des nombreux problĂšmes qui caractĂ©risent les conditions de dĂ©tention Ă la prison de Megiddo. Le cas dâIbrahim nâĂ©tait pas le seul recueilli par le journal israĂ©lien.
Haaretz a recueilli les tĂ©moignages Ă©crits de quatre autres prisonniers de Megiddo qui ont signalĂ© des problĂšmes mĂ©dicaux similaires au cours des derniers mois. Lâassociation MĂ©decins pour les droits de lâhomme a traitĂ© cinq autres cas de prisonniers souffrant de problĂšmes similaires.
Dâautres tĂ©moignages font Ă©tat de la trĂšs petite quantitĂ© de nourriture fournie aux prisonniers et de la propagation de la gale.
Parmi les cas rapportĂ©s par le journal figure celui de Walid Ahmed, dĂ©cĂ©dĂ© dans la cour de la prison de Megiddo en mars. Le mĂ©decin qui a assistĂ© Ă lâautopsie au nom de la famille a indiquĂ© quâAhmed nâavait presque plus de tissu adipeux, souffrait de colite et Ă©tait infectĂ© par la gale.
Multiplication des décÚs derriÚre les barreaux
La prison de Megiddo, situĂ©e dans le nord dâIsraĂ«l, nâest pas le seul endroit oĂč les prisonniers palestiniens sont victimes de maltraitance. Des problĂšmes similaires se produisent dans dâautres prisons comme lâĂ©pidĂ©mie de gale qui sâest propagĂ©e aux prisons de Ketziot, Ganot et Ayalon depuis le mois dernier.
Parmi ces problÚmes figurent des cas de perte de poids importante chez les détenus de plusieurs centres de détention israéliens mais des avocats ont confirmé au journal que la prison de Megiddo est la pire de toutes les prisons.
Concernant les cas de dĂ©cĂšs derriĂšre les barreaux, Megiddo arrive en deuxiĂšme position, juste derriĂšre Ketziot. Cinq personnes sont mortes Ă Megiddo âWalid Ahmed et quatre adultesâ contre sept Ă Ketziot.
Selon le Club des prisonniers palestiniens, 73 prisonniers et détenus sont décédés dans les prisons militaires et civiles au cours des 20 derniers mois.
Ă la prison de Megiddo, les autopsies de deux cas ont rĂ©vĂ©lĂ© des signes de violences possibles. Le premier concernait un Palestinien de la ville de Qarawat Bani Hassan, dans le centre de la Cisjordanie, Abdul Rahman Marâi, dĂ©cĂ©dĂ© en novembre 2023. Des traces de torture Ă©taient visibles sur son corps, notamment des contusions, des cĂŽtes cassĂ©es et une fracture du sternum.
Le deuxiĂšme cas concernait un autre Palestinien, Abdul Rahman Bassem al-Bahsh, un habitant de Naplouse dĂ©cĂ©dĂ© Ă Megiddo en janvier dernier. Son corps Ă©tait couvert dâecchymoses Ă la poitrine et Ă lâabdomen, avec des cĂŽtes cassĂ©es, une rupture de la rate et une grave inflammation des deux poumons.
Ibrahim se souvient: «Ils nous ont menottés et leurs chiens marchaient devant nous en aboyant et en nous donnant des coups de pied».
Il a dĂ©clarĂ© que les prisonniers parlaient peu voire pas du tout des violences de peur que les gardiens ne les entendent âdirectement ou par lâintermĂ©diaire dâautres prisonniersâ et ne ripostent.
Des prisonniers délibérément affamés
Ibrahim a Ă©galement racontĂ© comment les prisonniers souffraient du manque de nourriture. «Aucun dâentre nous nâavait assez Ă manger en prison. Ils nous apportaient une assiette de riz pour 10 personnes. MĂȘme si câĂ©tait Ă peine suffisant pour une personne, nous la partagions tous», a-t-il indiquĂ©.
Il a racontĂ© avoir vu Walid Ahmed tomber face contre terre, le sang coulant de sa bouche, avant que les mĂ©decins nâarrivent et ne le transportent sur une civiĂšre. Il ne sâen est jamais remis. Il est dĂ©cĂ©dĂ©.
En raison de la pĂ©nurie alimentaire constante, a-t-il expliquĂ©, les prisonniers ramassaient tout, mĂ©langeaient et partageaient. Il a ajoutĂ© quâil nây avait pas assez de nourriture pour tout le monde donc il nây avait pas de restes.
Malgré la pénurie de nourriture, sa qualité était également médiocre, selon Ibrahim, qui a déclaré que la salade de légumes était avariée et le riz insuffisamment cuit.
La situation Ă la prison de Megiddo a empirĂ© avec le 7 octobre, lorsque le ministre de la SĂ©curitĂ© nationale Itamar Ben-Gvir a introduit des changements radicaux dans les conditions de vie des prisonniers palestiniens en IsraĂ«l. Parmi ces mesures, les prisonniers se sont vu refuser lâaccĂšs aux cantines pĂ©nitentiaires, les assiettes et les ustensiles de cuisine ont Ă©tĂ© retirĂ©s de leurs cellules et les rations alimentaires ont Ă©tĂ© rĂ©duites au minimum lĂ©gal.
Haaretz a rapportĂ© que lâĂ©pidĂ©mie de gale, une maladie contagieuse, dans les prisons israĂ©liennes nâest un secret pour personne. Fin 2024, lâadministration pĂ©nitentiaire a reconnu, en rĂ©ponse Ă une pĂ©tition, quâenviron 2 800 prisonniers palestiniens avaient contractĂ© la maladie. Elle considĂ©rait que les prisonniers constituaient le groupe le plus vulnĂ©rable Ă la gale en raison de la surpopulation carcĂ©rale, soulignant que la plupart des personnes contractent la gale par contact avec des personnes infectĂ©es ou en partageant les mĂȘmes objets avec elles.
Le journal a rapportĂ© que lâavocate Reham Nasra qui reprĂ©sente rĂ©guliĂšrement des Palestiniens devant les tribunaux militaires se rendait rĂ©guliĂšrement Ă la prison de Megiddo. Lors de lâune de ses visites en avril, elle a rencontrĂ© Nidal Hamayel, 55 ans, dĂ©tenu administratif depuis septembre dernier.
Son apparence en disait long. Nasra a dĂ©clarĂ©: «Jâai Ă©tĂ© choquĂ©e de le voir entrer au parloir. Il y a deux mois Ă peine, il se plaignait des rations alimentaires reçues et de la faim constante alors quâil semblait aller plutĂŽt bien mais aujourdâhui, ce nâest plus le cas».
Elle a poursuivi en prĂ©cisant que Hamayel avait beaucoup maigri et quâil Ă©tait pĂąle et Ă©maciĂ© suggĂ©rant quâil Ă©tait malade. «Il pouvait Ă peine marcher et portait des vĂȘtements sales», a-t-elle rapportĂ©.
Hamayel lui a expliquĂ© que depuis mars, lui et dâautres dĂ©tenus souffraient de fortes douleurs abdominales, de diarrhĂ©e, de perte dâappĂ©tit et dâĂ©vanouissements. Il pesait 86 kilos lors de son arrestation mais en fĂ©vrier, il en avait dĂ©jĂ perdu 26.
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