Alors que la Tunisie amorce une reprise économique en 2025, les indicateurs révèlent une dynamique contrastée, entre rebond sectoriel et fragilités structurelles.
Tour d’horizon d’une conjoncture en demi-teinte à travers les chiffres publiés par le tableau de bord de la conjoncture économique à septembre 2025 publié par l’ITCEQ* et élaboré par Safa Mkaouer sous la supervision de Sami Bouassida.
Le PIB tunisien affiche une croissance de 3,2 % au deuxième trimestre 2025, contre 1,6 % au trimestre précédent. Ce sursaut repose sur des secteurs moteurs :
- Agriculture (+9,8 %)
- Phosphates et mines (+39,5 %)
- Industries chimiques (+10,1 %)
- Construction et IME (+9,6 %)
- Tourisme et restauration (+7 %)
Mais derrière ce dynamisme, des reculs préoccupants : le raffinage chute de 62 %, l’extraction pétrolière de 12 %, les services financiers de 6,8 %. C’est dans les hydrocarbures que les tendances baissières s’avèrent les plus marquées. La production de gaz naturel recule significativement, et les capacités globales du secteur énergétique stagnent.
La divergence sectorielle entraîne des répercussions claires sur l’économie nationale : la baisse du gaz pèse sur la croissance globale, tandis que le rebond des phosphates agit comme un amortisseur partiel, contribuant à limiter le ralentissement industriel.
L’économie reste donc vulnérable aux chocs climatiques et géopolitiques, notamment via sa dépendance au secteur minier.
« La croissance tunisienne progresse sous l’impulsion des mines, du tourisme et de l’agriculture. Mais les hydrocarbures reculent fortement, limitant l’élan global de l’économie. »
Énergie : un déficit structurel qui s’aggrave
Le solde énergétique primaire se creuse à -4143 ktep, avec une baisse des ressources (-8,1 %) et une hausse de la demande (+4,6 %). Le taux d’indépendance énergétique tombe à 36 %, contre 41 % en 2024. Ce déséquilibre pèse lourdement sur le déficit commercial et la stabilité monétaire.
Industrie : reprise partielle et sélective
L’indice de production industrielle progresse de 1,9 %, porté par les mines, les IME, les IAA et les industries chimiques. Toutefois, les IMCCV (-12,5 %), le textile-habillement-cuir (-6,5 %) et les industries diverses reculent. Les secteurs exportateurs résistent mieux, mais la reprise reste inégale.
Investissement : prudence locale, confiance étrangère
Les intentions d’investissement industriel chutent de 9,1 %, et les projets de 14 %. Même tendance dans les services (-15 %). En revanche :
- Les IDE progressent de +20 % (surtout dans les industries manufacturières)
- Les investissements d’intérêt national (TIA) augmentent de +14 %
Cela traduit un climat d’affaires local prudent, face à une confiance internationale relative.
« Le déficit énergétique s’aggrave avec une baisse des ressources et une demande en hausse, ramenant le taux d’indépendance à 36 %. »
Emploi : amélioration globale, déséquilibres persistants
Le taux de chômage recule légèrement à 15,3 %, mais les disparités restent marquées :
- Femmes : 20,9 %
- Diplômés : 24 % (en hausse)
- Jeunes (15–24 ans) : 36,8 %
La création d’emplois qualifiés demeure insuffisante, révélant des failles structurelles dans le marché du travail.
Inflation : fléchissement encourageant
L’inflation glisse à 5 % en septembre, contre 5,2 % en août. L’inflation sous-jacente recule à 5,2 %, portée par la baisse des prix alimentaires, de santé, des transports et des loisirs. Toutefois, les prix du logement et de l’habillement restent rigides.
Commerce extérieur : déficit alarmant
Le déficit commercial atteint -16 728 MD, en forte aggravation. Les exportations stagnent (+0,03 %), tandis que les importations grimpent (+5,4 %), tirées par les biens d’équipement et les demi-produits. L’effondrement des exportations énergétiques (-34 %) accentue le déséquilibre.
« Le chômage recule légèrement, mais les diplômés et les jeunes affichent des taux nettement supérieurs à la moyenne nationale. »
Balance des paiements : fragilité persistante
Le déficit courant s’élève à -1,6 % du PIB. Les réserves en devises couvrent 104 jours d’importation, contre 115 en 2024. Seuls le tourisme (+8,2 %) et les transferts des Tunisiens à l’étranger (+8,1 %) apportent un soutien partiel aux équilibres extérieurs.
Politique monétaire : cap restrictif maintenu
La masse monétaire M3 augmente de 10,7 %, les crédits à l’économie de 3,5 %. Le taux du marché monétaire baisse légèrement à 7,49 %, mais le taux directeur reste inchangé à 8 %. La BCT maintient une posture prudente, malgré une amélioration temporaire de la liquidité bancaire.
Marché de change : double mouvement
Le dinar s’apprécie légèrement face au dollar (2,911 DT) en raison principalement de la dépréciation du dollar depuis avril 2024 due à l’assouplissement monétaire et aussi à l’instabilité commerciale, accentuée par les pressions exercées par Donald Trump sur la Réserve fédérale. En revanche, le dinar se déprécie face à l’euro (3,421 DT), renchérissant les importations européennes, principales sources d’approvisionnement de la Tunisie.
« Le déficit commercial atteint un niveau alarmant, porté par la hausse des importations et l’effondrement des exportations énergétiques. »
Marché financier : dynamique soutenue
Le Tunindex progresse de 4,1 % en septembre, avec une performance annuelle de +24,6 %. La capitalisation boursière augmente de 3,4 %, portée par la stabilité monétaire et les bénéfices bancaires.
Finances publiques : excédent fragile
Le solde budgétaire est positif (+871 MD), grâce aux recette fiscales ou plutôt à une très grande pression fiscale sur le secteur formel :
- Recettes fiscales (+6,4 %)
- Ressources non fiscales (+12 %)
- Dépenses maîtrisées (+1,4 %)
Mais le service de la dette bondit (+18,7 %), et l’encours de la dette publique augmente (+5,7 %), avec une forte hausse de la dette intérieure (79 084 MD).
Ce qu’il faut conclure du rapport publié par l’ITCEQ est que la reprise de l’économie tunisienne en 2025 reste asymétrique et fragile. Les secteurs dynamiques (phosphates, tourisme, IME) masquent des faiblesses structurelles : énergie, investissement privé, commerce extérieur, emploi qualifié.
Et nous revenons sur des propos redondants tant ils ne sont pas entendus, pris en compte et considérés par les décideurs publics : sans réformes profondes sur l’énergie, le climat d’investissement, la fiscalité et la productivité industrielle, la croissance restera volatile et dépendante des aléas externes.
A.B.A
EN BREF
- La croissance tunisienne atteint 3,2 % au T2 2025, portée par les mines, l’agriculture et le tourisme.
- L’énergie reste le principal point faible, avec un taux d’indépendance limité à 36 %.
- Le déficit commercial se creuse fortement, notamment en raison du recul des exportations énergétiques.
- Les investissements locaux diminuent, tandis que les IDE progressent.
- Le chômage baisse légèrement, mais les disparités persistent chez les jeunes et les diplômés.
* L’ITCEQ : Institut tunisien de la compétitivité et des Études quantitatives
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