Malgré leur attachement profond à la Tunisie, les élites expatriées peinent à investir dans un pays où les entraves administratives, l’instabilité réglementaire et le désenchantement politique freinent l’élan. Le Tunisia Global Forum a été l’occasion de faire le point sur les espoirs… et les désillusions.
Un amour intact, mais prudent, c’est celui que portent les TRE à leur pays : “ Si ce n’est notre affection et attachement profonds à notre pays, nous réfléchirons à deux fois avant de songer à y investir» : cette phrase revient souvent sur les lèvres des élites tunisiennes établies à l’étranger.
Beaucoup d’entre elles ont pris part avec enthousiasme au Tunisia Global Forum, organisé par l’ATUGE, sous le thème « Innover pour attirer, investir pour transformer ». En ouverture officielle de l’événement, le mardi 22 juillet à Tunis, Amine Aloulou, président de l’ATUGE, a lancé un message fort : « Avec le Mois de la Diaspora, l’Association des Tunisiens des Grandes Écoles appelle à la contribution et à l’union. Un appel à croire, à rêver et à construire collectivement. Notre Tunisie en ressortira plus forte, plus unie, et résolument tournée vers l’avenir. »
Retour en Tunisie : entre espoir et désillusion
«La diaspora est un atout stratégique, un capital humain que nous souhaitons transformer en un actif financier durable, en orientant les transferts vers des investissements productifs» avait déclaré Fathi Ennouri, gouverneur de la BCT.
Vœux pieux si par décision politique, on ne prend pas les mesures aujourd’hui indispensables pour rétablir la confiance et resserrer les liens des élites tunisiennes sises à l’international et leur pays de naissance ou d’origine. Mesures pour baliser toutes les entraves administratives et la résistance au nouveau et au changement pour s’adapter à un monde où tout évolue à la vitesse de la lumière.
Les résultats du sondage EMRHOD Consulting commandité par l’ATUGE apportent un éclairage précis sur les aspirations et blocages vécus par les TRE ou expat.
« Si ce n’est notre attachement à la Tunisie, nous réfléchirions à deux fois avant d’y investir. »
L’étude met en évidence des signaux clairs : si le désir de retour est réel chez une partie de la diaspora, il se heurte à un faisceau d’obstacles structurels qui freinent concrètement les projets de réinstallation. Ceci alors que le pays cherche à mobiliser son importante diaspora pour initier une dynamique économique dont il a intensément besoin.
Les résultats du sondage laissent entrevoir une diaspora attachée mais divisée sur le retour:
- 20 % déclarent vouloir rentrer de manière définitive ;
- 59 % ne comptent pas revenir, un chiffre révélateur d’une perte profonde de confiance et d’un désenchantement inquiétant sachant qu’à la veille de la chute du régime en 2011, nombreux ont été les Tunisiens qui ont choisi de rentrer parce qu’ils croyaient que leur pays avait besoin d’eux ;
- 21 % restent indécis, signe qu’un cadre attractif pourrait encore les convaincre
- 94 % des sondés déclarent retourner au pays au moins une ou plusieurs fois par an soulignant un lien affectif et filial fort.
Les motivations du retour sont le lancement de leurs propres projets, la famille ou encore la retraite. Ainsi:
- 31 % rentrent pour les raisons familiales,
- 21 % envisagent leur retraite au pays, et
- 24 % souhaitent entreprendre ou investir. Un profil qui met en avant un fort potentiel à dimension économique que la Tunisie pourrait valoriser si elle levait les freins à l’investissement.
Obstacles économiques et administratifs
Les obstacles au retour de la diaspora identifiés par le sondage et qui sont malheureusement le pain quotidien des tunisiens et entrepreneurs locaux sont décrits comme suit :
- le manque d’emplois qualifiés et des salaires peu attractifs, illustrant un déficit de valorisation du capital humain expatrié pour 71 % ;
- 69 % soulignent les difficultés à lancer un projet, en raison de l’instabilité des réglementations et du manque d’accès au financement ;
- 62 % critiquent la complexité administrative et en prime en matière de création d’entreprise, la fiscalité et les procédures ;
- 62 % jugent la qualité de vie peu attrayante et 58 % le système fiscal dissuasif, ce qui traduit un environnement non favorable au business.
Des leviers d’attractivité identifiés par les TRE
Mais tout n’est pas noir en Tunisie, plusieurs pistes sont perçues comme des facteurs d’attraction majeurs qui pourraient changer la donne. Ainsi :
- 83 % souhaitent des procédures administratives simplifiées et 79 % une simplification des règles bancaires ;
- 76 % jugent la protection sociale comme un levier de retour (retraite, couverture santé, mutuelle) ;
- 82 % considère l’accès aux marchés et aux opportunités économiques comme décisives;
- 81 % estiment la stabilité économique et politique capitales.
Pour Emrhod Consulting, ces données prouvent que le retour des TRE n’est pas qu’une affaire émotionnelle exprimant un attachement sans faille à la Tunisie mais repose sur une logique rationnelle d’évaluation du risque et du gain socio-économique.
Une partie des TRE ne lâche pas prise pour autant, 10 % ont déjà participé à des projets économiques ou de développement et les deux tiers envisagent de le faire à l’avenir, ce qui représente un vivier de compétences et de ressources à activer.
« La diaspora est un atout stratégique que nous devons transformer en actif financier. » — Fathi Ennouri
L’étude formule des recommandations concrètes, alignées avec les attentes formulées à savoir le renforcement de l’attractivité économique, la création d’un écosystème entrepreneurial dynamique avec :
- fonds d’investissement et incitations fiscales,
- la réduction des barrières à l’entrepreneuriat,
- l’amélioration des conditions de vie l’investissement dans les services de santé, d’éducation et d’infrastructures,
- l’adaptation des services aux besoins des retraités,
- la simplification de l’environnement administratif et financier,
- la digitalisation des démarches et la facilitation des transferts de capitaux et les opérations bancaires
- la mise en place d’un système de sécurité sociale transférable.
Les TRE appellent également à instaurer un environnement institutionnel et politique rassurant pour restaurer la confiance.
Que d’exigences ! Même si les requêtes des TRE sont celles-là même exprimées par une grande partie de la communauté d’affaires en Tunisie. Une communauté d’affaires privée de voix depuis que le rôle de l’UTICA s’est limité au rôle de PR mais de qui ?
Le retour des Tunisiens de l’étranger ne peut être envisagé comme une simple dynamique individuelle. Il s’agit d’un enjeu économique national, porteur de compétences, de capitaux, d’innovation et de réseau international.
« Réformes, transparence, simplification, stabilité : les clés d’un retour durable. »
Or, les écarts perçus entre les aspirations et la réalité du terrain compromettent aujourd’hui la concrétisation de ce potentiel. Sans réformes, pas de retour durable car il ne peut reposer que sur leur bonne volonté. Il s’agit là d’un enjeu économique national. Les compétences, les réseaux et les capitaux de la diaspora pourraient jouer un rôle déterminant dans la relance du pays mais pour cela, nous le dirons jamais assez, la Tunisie doit impérativement améliorer son climat d’affaires.
Réformes, transparence, simplification, stabilité : voilà les conditions d’un retour durable. Sans elles, le pays risque de perdre non seulement ses enfants, mais aussi son avenir.
Amel Belhadj Ali
Chiffres clés
- 59 % — Des expatriés ne souhaitent pas revenir vivre en Tunisie
- 24 % — Souhaitent investir ou entreprendre dans leur pays d’origine
- 71 % — Déplorent l’absence d’emplois qualifiés et de salaires attractifs
- 83 % — Demandent la simplification des procédures administratives
- 94 % — Reviennent en Tunisie au moins une fois par an, signe d’un fort attachement.
L’article Élites tunisiennes à l’international : un attachement sans faille, un retour conditionné est apparu en premier sur WMC.