Médias israéliens : des soldats en costume-cravate qui mènent la guerre de la désinformation
Le journal britannique The Guardian a abordé l’ignorance et le parti pris continus de la presse israélienne face aux catastrophes humanitaires qui se déroulent dans la bande de Gaza. Le quotidien attribue cette situation au fait que les journalistes israéliens se considèrent comme une autre brigade sur la ligne de front aux côtés de l’armée israélienne. Et que les médias israéliens sont soumis à une censure et à des menaces persistantes de la part du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Des responsables politiques et militaires israéliens ont longtemps prétendu, sans fournir aucune preuve, que les journalistes palestiniens de la bande de Gaza travaillaient au profit du mouvement Hamas et renforçaient son narratif. Cette accusation sert de prétexte pour les prendre pour cible et les tuer, portant ainsi le nombre de journalistes martyrs à 246.
L’auteur israélien Roy Schwartz, qui écrit dans The Guardian, a déclaré qu’il n’était pas surprenant que très peu de médias israéliens soient disposés à présenter des faits qui ne sont pas seulement insatisfaisants pour le gouvernement Netanyahu, mais aussi pour la société israélienne. M. Schwartz a cité un sondage publié en juin dernier montrant que 64 % des Israéliens estiment que la couverture médiatique israélienne de Gaza était équilibrée. Il a noté que parmi les participants ayant voté pour les partis extrémistes de la coalition gouvernementale de droite, 89 % soutenaient cet avis.
Comment les médias israéliens ont-ils traité l’annonce de la famine à Gaza ?
Roy Schwartz, qui est également rédacteur en chef adjoint et éditorialiste au journal Haaretz, a illustré comment le journal télévisé de la soirée de la Chaîne 13 israélienne avait ignoré, vendredi dernier, la nouvelle de la déclaration officielle de famine dans la bande de Gaza par les Nations Unies. D’autres programmes d’information ont abordé l’annonce avec une extrême prudence, le ton général étant l’incrédulité, teintée d’une certaine dose de sarcasme.
Lorsqu’il a été fait référence aux résultats du Classement Intégré de la Sécurité Alimentaire (IPC), le présentateur du journal de la soirée sur Canal 12 a décrit ces résultats comme « controversés ». Et ce, bien que l’IPC soit une organisation reconnue mondialement qui œuvre depuis deux décennies à classifier le niveau de sévérité de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition.
De son côté, la chaîne publique israélienne Kan a affirmé que le rapport sur la famine s’était basé sur des informations provenant de sources liées au Hamas, sans prendre en compte les « chiffres réels » fournis par l’armée israélienne. Kan est allée encore plus loin en prétendant que « les Nations Unies préfèrent répéter la campagne mensongère sur la faim lancée par le Hamas et ignorer ceux qui souffrent réellement de la faim : les otages israéliens à Gaza ».
L’auteur note que le comportement des journalistes et des présentateurs israéliens durant cette guerre a été remarquablement homogène et aligné sur celui de l’armée israélienne. Ce phénomène s’explique en partie par le fait que de nombreux journalistes ont effectué leur service militaire obligatoire dans l’armée d’occupation.
Un formatage éditorial prononcé
Par conséquent, M. Schwartz souligne que les journaux télévisés du soir conservent une influence majeure sur la société israélienne. Chaque chaîne s’appuie sur un panel d’intervenants pour ses débats, comprenant généralement un général à la retraite ainsi que des commentateurs et analystes en début de carrière, qui discutent d’un grand nombre de sujets, à l’exception notable d’un seul : les civils de Gaza.
Le mois dernier seulement, poursuit l’auteur, une conversation au sein d’un groupe WhatsApp réservé à la rédaction de Canal 12 a fuité. Elle révélait que certains journalistes critiquaient l’absence de couverture de la catastrophe humanitaire. Le PDG de la société d’information aurait rejeté leurs critiques et leur aurait suggéré de se contenter de regarder les informations plutôt que de proposer des sujets à traiter.
Il y a quelques jours, Netanyahu, lui-même sous le coup d’un mandat de la Cour Pénale Internationale, a nié l’existence de la famine à Gaza. Tout en affirmant que la politique d’Israël était justement d’éviter cette famine. Il avait alors déclaré : « Les seuls affamés là-bas sont les captifs israéliens ».
Lors d’un entretien avec Haaretz en décembre dernier, un journaliste de la chaîne Kan a confié : « Ils font très attention aux infos à ne pas aborder les sujets sensibles. Et s’ils le font, c’est d’une manière obséquieuse et craintive ». Et d’ajouter : « Cela me fait mal de voir comment l’endroit où je travaille s’efforce d’aller dans une direction de droite; alors que le gouvernement l’accuse d’être de gauche ».
Pressions et sanctions
L’auteur israélien estime que les journalistes font face à d’autres pressions, la première étant la peur. Ils redoutent d’exprimer une « opinion erronée » ou de paraître controversés, au point de se faire licencier. Il rappelle plusieurs cas où des journalistes ont dû s’expliquer ou s’excuser pour avoir exprimé leurs opinions. Comme ce rédacteur en chef des informations internationales de Channel 13 qui avait appelé à mettre fin aux combats à Gaza au centième jour de la guerre. Selon M. Schwartz, après sa déclaration, cet homme n’a plus été invité à présenter le journal pendant une année entière.
Lors d’une émission en soirée sur la Canal 12 le mois dernier, une invitée, la journaliste Emmanuelle Elbaz-Philips, a tenté d’attirer l’attention sur la situation à Gaza. Le présenteur l’a rapidement interrompue et lui a demandé de ne pas aborder le sujet. L’auteur conclut que rien ne justifie le fait que le journalisme israélien, à travers sa couverture, ait contribué à ignorer délibérément la catastrophe à Gaza et les vérités dérangeantes qui remettent en cause le récit israélien.
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