Droits de douane… protecteurs des emplois, pas des frontières!
Dans une interview publiée par le site des Nations unies (news.un.org), la directrice de la Division du commerce international à ONU Commerce et développement (ou Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement – CNUCED), Luz Maria de la Mora, se demande si les droits de douane sont « protecteurs d’emplois ou destructeurs de commerce ».
En guise d’introduction, on lit ceci : « Le terme “droits de douane“ a été propulsé des pages économiques à la une des journaux ces derniers mois, des grandes économies les augmentant ou menaçant d’autres nations de le faire. Mais les droits de douane ne sont pas seulement une arme utilisée dans des manœuvres géopolitiques : utilisés efficacement, ils peuvent aider les pays les plus pauvres à développer leur économie ».
On apprend que la CNUCED fait le point, chaque mois, sur l’actualité du commerce mondial. C’est ainsi qu’en mars dernier – actualité oblige –, l’accent était mis sur les droits de douane.
Un rapport établi sur le sujet révèle que «… si le commerce mondial a atteint le chiffre record de 33 000 milliards de dollars l’an dernier, les perspectives pour 2025 restent incertaines, la montée des tensions, les politiques protectionnistes et les conflits commerciaux annonçant de probables perturbations dans les mois à venir ».
Outre son titre de directrice de la Division du commerce international à la CNUCED, Luz Maria de la Mora est responsable de la publication Point sur le commerce mondial. Elle faisait partie de l’équipe de négociation mexicaine qui a négocié l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) en 1992.
A ONU Info, elle assure que « les droits de douane en eux-mêmes ne constituent pas nécessairement un problème : le problème réside dans l’incertitude résultant de la remise en cause des règles du commerce international par les grands acteurs économiques ».
L’importance des avantages des droits de douane
Pour de la Mora, « les droits de douane, qui sont essentiellement une taxe sur les importations, font partie intégrante d’un système commercial international en place depuis près de huit décennies », explique-t-elle.
Elle poursuit en rappelant que tout d’abord il y a eu « l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, également connu sous le nom de GATT, en 1948, remplacé par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995. Ces organisations ont essentiellement créé un ensemble de règles, garantissant aux producteurs, aux investisseurs et aux exportateurs que les droits de douane ne changeraient pas chaque année ».
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À la question “pourquoi les droits de douane les plus importants sont appliqués entre pays en développement ?“, Luz Maria de la Mora a répondu : « Les pays en développement ont généralement tendance à appliquer des niveaux de protection plus élevés, et ce, pour plusieurs raisons. L’une d’elles est par exemple la volonté de développer une industrie particulière comme les secteurs de l’automobile ou de la chimie. Une façon de favoriser le développement et la croissance d’une industrie est de la protéger – par des droits de douane – de la concurrence étrangère. L’inconvénient est que la production de ces biens pour le marché intérieur est plus coûteuse, ce qui peut également décourager la concurrence ».
Elle avance une deuxième raison pour laquelle les pays en développement appliquent des droits de douane : «… dans certains cas, les gouvernements ont besoin de recettes. Les droits de douane sont une taxe, et une taxe est un revenu qu’un gouvernement peut consacrer aux dépenses sociales, à la santé, à l’éducation ou aux infrastructures. Mais là encore, cela se traduit par des coûts plus élevés pour les consommateurs sur les biens importés ».
Les avantages de l’ALENA pour le Mexique
Une autre question concerne la controverse autour de l’ALENA. De la Mora explique que «… l’ALENA était une proposition très audacieuse à l’époque, et ce, pour plusieurs raisons. Il s’agissait du premier accord de libre-échange entre pays en développement et pays développés, une expérience inédite. La quasi-totalité des droits de douane entre les trois pays ont été supprimés ».
Selon elle, cet accord de libre-échange a totalement transformé l’économie mexicaine, notamment avec l’augmentation des investissements dans le secteur manufacturier, ce qui a permis la création de nombreux emplois.
Conséquence : le Mexique est devenu un acteur majeur dans le secteur automobile, occupant même la 4e position mondiale en la matière. « Il a prouvé que l’intégration peut améliorer l’efficacité de l’économie et créer davantage d’opportunités », dit-elle.
Des perdants et des gagnants
Et ONU Info d’insister : “Ceux qui critiquent l’ALENA affirment que la réduction des droits de douane a entraîné une baisse de la protection pour certains secteurs et que des travailleurs en ont été pénalisés. Êtes-vous en train de dire qu’en fin de compte, les travailleurs de chaque pays en ont bénéficié ?“.
La directrice de la Division du commerce international à la CNUCED répond en disant : « Bien sûr, dans toute zone de libre-échange, il y a toujours des gagnants et des perdants. Je ne dis pas que tout était rose et que certains secteurs et entreprises ont disparu. Mais la transformation observée dans les régions et les zones du pays qui ont réussi à s’intégrer à la chaîne d’approvisionnement nord-américaine est vraiment très encourageante. Globalement, on constate un effet positif ».
Elle estime toutefois que «… la politique commerciale doit aller de pair avec des politiques garantissant la formation des perdants. Une intervention gouvernementale est nécessaire pour maintenir les travailleurs sur le marché du travail ».
Les décisions unilatérales créent de l’incertitude
Poursuivant sur la même lancée, le site se demande, vu que de nombreux accords commerciaux internationaux sont remis en question, si nous nous ne nous dirigeons pas vers “une guerre commerciale mondiale“.
Dans sa réponse, Luz Maria de la Mora admet le fait que « de nombreux acteurs importants du commerce mondial, comme les États-Unis, l’Union européenne et la Chine, imposent des droits de douane ou des mesures qui ne sont pas toujours conformes à leurs engagements envers l’OMC. Cela crée de l’incertitude et un malaise au sein du secteur privé ».
Plus loin, elle ajoute : « Lorsque les États membres prennent des décisions unilatérales, sans passer par l’OMC ou le système des Nations unies, cela peut créer de l’incertitude, ce qui peut entraîner un ralentissement des décisions d’investissement dans le secteur privé, du commerce, de la croissance économique et de la création d’emplois… ».
Appel au maintien du multilatéralisme
Dans ces conditions, “si l’économie mondiale connaît un ralentissement, qui risque d’en souffrir le plus ?“, interroge ONU Info. Et la réponse de Luz Maria de la Mora ne souffre aucune hésitation : « Les pays en développement ». En ce sens que « quatre-vingt-quinze pays en développement dépendent de leurs exportations. Ce qui les rend à la merci des fluctuations des prix internationaux et de la croissance de l’économie mondiale ».
Pour la directrice de la Division du commerce international à la CNUCED, « ces pays ont besoin d’un système commercial international efficace, offrant des certitudes, où ils savent à quelles réglementations ils sont soumis et où les règles ne sont pas modifiées sans préavis, sans négociation, sans avertissement préalable. C’est pourquoi il est si important que le multilatéralisme reste en place ».
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