Khouloud Toumi : « Le véritable défi n’est pas la coopération avec la Chine, mais sa gestion »
Alors que Tunis et Pékin élaborent un accord de libre-échange, l’analyste en politique économique Khouloud Toumi met en garde contre un déséquilibre commercial structurel. Pour elle, le défi réside dans la capacité de la Tunisie à négocier des clauses de réciprocité et de transparence pour éviter le piège de l’endettement et la fragilisation de son tissu industriel.
Le futur partenariat économique entre la Tunisie et la Chine, actuellement en discussion, intervient à un moment de « grande fragilité économique » pour la Tunisie. Le pays fait face à un endettement élevé, un ralentissement de sa croissance et des négociations difficiles avec le Fonds monétaire international, a rappelé l’analyste en politique économique Khouloud Toumi dans un entretien accordé à L’Économiste Maghrébin.
Sur le plan géopolitique, cet accord pourrait représenter un tournant stratégique. La Tunisie cherche à se repositionner dans un monde multipolaire où la Chine joue un rôle de plus en plus important. Le partenariat, tel qu’envisagé, couvrirait plusieurs secteurs clés où la Chine dispose d’une expertise et d’une puissance financière reconnues : les infrastructures, l’énergie, la santé, l’agriculture, l’enseignement et l’économie numérique.
Un déséquilibre commercial déjà criant
Cependant, le principal écueil identifié par Khouloud Toumi est le déséquilibre structurel préexistant dans les échanges commerciaux bilatéraux. En 2024, le déficit commercial de la Tunisie avec la Chine a dépassé les 3 milliards de dollars. Les exportations tunisiennes vers la Chine restent marginales, tandis que les importations – notamment de produits électroniques et de machines – inondent le marché local. « La Chine exporte massivement vers la Tunisie sans réelle contrepartie économique », a-t-elle souligné, précisant que cette dynamique « fragilise le tissu industriel local et aggrave la dépendance aux produits importés ». Un accord de zéro douane, sans mesures correctrices, risquerait d’aggraver ce déficit.
Le risque du « piège de la dette » et le modèle de financement fermé
Au-delà du commerce, l’analyste alerte sur les modalités de financement souvent associées aux projets chinois. Elle pointe un « modèle de financement fermé » où les prêts consentis par la Chine sont conditionnés à l’utilisation d’entreprises chinoises. « La Chine prête, mais les fonds retournent à ses propres entreprises », a-t-elle expliqué. Ce schéma, assorti de « contrats parfois opaques », a conduit plusieurs pays africains dans le « piège de la dette » ou à des « concessions stratégiques », comme la cession d’infrastructures. La Tunisie doit, selon elle, « imposer plus de transparence et de contrôle institutionnel sur chaque projet » pour éviter ce scénario.
La gestion, clé de voûte du succès
Pour Khouloud Toumi, le véritable enjeu n’est pas la coopération avec la Chine en soi, mais sa gestion. « Si la Tunisie agit sans vision, elle risque de reproduire les mêmes dépendances qu’avec l’Europe », a-t-elle estimé. En revanche, si l’accord est « négocié, encadré et exige la réciprocité », il pourrait devenir un « levier de repositionnement stratégique ». L’avenir de ce partenariat dépendra donc de la capacité des autorités tunisiennes à protéger les intérêts économiques nationaux et à corriger le déséquilibre commercial croissant.
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