Les récents propos de la nouvelle Première ministre japonaise concernant la position de son pays sur la question du statut de Taïwan ont créé un climat de tensions entre Pékin et Tokyo. Eclairage.
A-t-elle tourné sept fois sa langue dans sa bouche avant de répondre à des questions d’un élu d’opposition lors de sa première intervention à l’enceinte du Parlement ? C’est la question que se pose tout le monde au pays du Soleil-Levant après avoir entendu la nouvelle Première ministre Sanae Takaichi, partisane d’une ligne de fermeté vis-à-vis de la Chine, évoquer la semaine dernière le sujet très sensible d’une hypothétique invasion de Taïwan par la Chine et l’intervention militaire du Japon pour défendre l’île dont Pékin revendique la souveraineté et qui n’est qu’à 100 km de l’île japonaise la plus proche.
Si « une situation d’urgence » à Taïwan impliquait « le déploiement de navires de guerre et le recours à la force, cela pourrait constituer une menace pour la survie du Japon », a-t-elle déclaré; sans avoir consulté des notes préparées par des hauts fonctionnaires de son département. Des propos interprétés comme l’indication qu’une attaque contre Taïwan pourrait justifier un soutien militaire de Tokyo à Taipei.
Une déclaration stupéfiante qui s’est propagée comme une onde de choc dans la région de l’Asie de l’Est et même au-delà.
Regain de tensions
Signe de tensions entre les deux géants asiatiques après les déclarations de la cheffe du gouvernement nippon, la Chine a recommandé à ses ressortissants « d’éviter de se rendre au Japon dans un avenir proche », en raison de « risques importants » pour leur sécurité. Sachant que les touristes chinois représentent un quart des visiteurs étrangers au Japon qui accueille par ailleurs plus de 100 000 étudiants chinois. Ainsi, sur les neuf premiers mois de 2025, l’archipel a accueilli 7,5 millions de visiteurs chinois, selon des chiffres officiels nippons, soit une envolée de 42 % sur un an. Attirés par un yen faible, ils ont dépensé l’équivalent de 3,28 milliards d’euros au troisième trimestre.
Pour sa part, Tokyo a annoncé lundi 17 novembre avoir mobilisé son aviation. Et ce, après avoir détecté un drone suspecté d’être chinois près de son île la plus proche de Taïwan.
« Le samedi 15 novembre, il a été confirmé qu’un aéronef sans pilote, supposé d’origine chinoise, a survolé la zone entre l’île de Yonaguni et Taïwan. En réponse, l’aviation de chasse de la Force aérienne d’autodéfense japonaise a été mobilisée », a indiqué le ministère de la Défense sur X.
Que dit la Constitution nippone ?
Reste la question qui se pose avec insistance : le Japon peut-il entrer en conflit avec la Chine pour défendre Taïwan au nom « de la survie du Japon », selon les termes de Mme Takaichi ?
Selon la Constitution japonaise adoptée en 1947 sous diktat américain, le célèbre article 9 établit un principe clair : le Japon « renonce à jamais à la guerre » et à l’usage de la force pour régler les différends internationaux. Le texte va plus loin en interdisant au pays de maintenir des forces armées traditionnelles, une clause unique parmi les grandes puissances.
Pourtant, le Japon dispose aujourd’hui des Forces d’Auto-Défense (JSDF), créées dans les années 1950. Officiellement, il ne s’agit pas d’une armée offensive, mais d’un dispositif strictement dédié à la protection du territoire. Cette interprétation, acceptée au fil du temps, a permis au pays de se doter d’un outil militaire moderne; tout en respectant l’esprit pacifiste de la Constitution.
Or, dans certains cas extrêmes, le gouvernement japonais est autorisé à utiliser la force lorsque l’agression d’un pays tiers est considérée comme un péril direct contre le Japon et sa population. Un scénario qui, pourrait se justifier en cas de conflit autour de Taïwan, qui est situé à moins de 120 kilomètres de certaines îles japonaises.
« Une déclaration de guerre »
Mais la Chine conteste cette lecture : pour Pékin, Taïwan n’est pas un pays tiers, mais une province faisant partie du territoire chinois. Même si dans les faits, cette île de 23 millions d’habitants est autonome politiquement.
Ainsi, Pékin a profité de la sortie de la cheffe du gouvernement nippon pour s’attaquer directement à sa personne : le consul général de Chine à Osaka, Xue Jian, a ainsi menacé sur la plateforme X de « couper cette sale tête sans la moindre hésitation », visant implicitement le Premier ministre japonais. Les médias d’Etat sont aussi montés au créneau pour défendre la position chinoise : la réunification entre Taïwan et la Chine est inéluctable et aucune puissance ne peut se mêler de ce sujet interne à la Chine.
« Le sujet de Taïwan touche au cœur des intérêts de la Chine. Quiconque ose franchir cette ligne rouge affrontera l’opposition déterminée de plus de 1,4 milliard de Chinois et de l’entière nation chinoise ! » Ainsi a averti le Quotidien du peuple, le journal officiel du Parti communiste chinois.
« Fondamentalement, c’est une déclaration de guerre contre la Chine », a renchéri le professeur Xiang Haoyu, du think tank officiel, sur Weibo, le Twitter chinois. « Le Japon est un pays moderne et très développé mais son irrationalité collective n’est pas différente de celle qui prévalait il y a cent ans ». Une allusion au massacre de Nankin en décembre 1937 durant lequel des centaines de milliers de civils et de soldats chinois désarmés furent froidement assassinés et entre 20 000 et 80 000 femmes et enfants violés par les soldats de l’Armée impériale japonaise. Les démons du passé sont de retour.
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