UGTT : un craquement assourdissant
La démission du secrétaire général de l’UGTT, bien que cela ne soit pas une surprise pour les gens avertis, a été perçue comme un craquement assourdissant par toute la sphère politique, syndicale, société civile, dont les échos ont porté loin dans la société tunisienne. Non pas à cause de la personnalité et du poids politico-syndical de Noureddine Taboubi; mais parce qu’elle annonce le début d’une longue période de déclin de la centrale syndicale. Laquelle, il faut le dire clairement, est une structure archaïque, qui n’a pas su se réformer à temps.
L’UGTT de 2025 n’a plus rien à voir avec celle d’avant l’Indépendance tunisienne et de la construction de l’Etat-Nation. Le syndicalisme, partout dans le monde connait cette tendance au déclin. Mais celle de notre centrale est plus grave. Car l’UGTT n’est pas un simple syndicat; elle est une partie intégrante de l’Etat tunisien. C’est la spécificité et l’exception tunisiennes. C’est donc une partie de l’Etat qui est en danger, un pilier historique de la construction nationale et la seule soupape de sécurité en cas de crise grave. On vient de la casser ! Mais la cassure peut être réparée à condition que l’on comprenne pourquoi on en est arrivé là.
La boule de feu
La démission de Taboubi n’est que l’aboutissement logique, d’un processus d’évolution de la centrale, qui est devenu au cours du temps un des principaux acteurs politiques et sociaux; surtout après la disparition de l’autre acteur principal, le parti destourien après le coup d’Etat de 2011. Or l’UGTT a été créée par ce parti, comme les syndicats qui l’ont précédée, sur la base d’une doctrine bien tunisienne, qui veut que l’action syndicale est indissociable de l’action pour l’édification de l’Etat-Nation. C’est donc quand l’Etat va mal que le syndicat va mal et l’inverse est vrai.
Même indépendant du destour, la centrale, depuis 1978, a continué à être un des piliers de l’Etat. Et elle a fini par absorber tous les contestataires, toutes les sensibilités politiques et idéologiques. Ce qui a eu pour conséquence d’empêcher le développement de partis politiques modernes; hormis les islamistes dont l’idéologie est fondamentalement antisyndicale. Après 2011, la centrale est devenue, non seulement le partenaire syndical, mais presque un membre des différents gouvernements jusqu’au 25 juillet 2021. Elle fut aussi le faiseur des rois dans cette période très équivoque. Ce n’est pas un hasard si les partisans de la direction actuelle scandaient : « L’UGTT est la force la plus puissante du pays ». Tout en sous-entendant, qu’elle était devenue plus puissante que l’Etat lui-même. Et ses dirigeants se comportaient comme les vrais patrons du pays.
Cette dérive syndicale a été facilitée par la faiblesse grandissante de cette dernière, confrontée à des multitudes de défis occasionnées par l’état d’anarchie générale dû à la prise du pouvoir par les islamistes et leurs alliés comme Nida Tounes. Ce que n’avaient pas compris les nouveaux dirigeants non destouriens, c’est que l’affaiblissement de l’Etat préparait leur propre affaiblissement. Puisque jusqu’au départ de A. Jrad c’étaient des destouriens qui occupaient le poste clef de la centrale syndicale, le secrétariat général. Et cela est valable pour la situation actuelle. On est totalement dans le cercle vicieux. Car, il ne faut pas confondre affaiblissement de l’Etat et affaiblissement du gouvernement.
Ce qui se passe maintenant est comparable à la boule de feu. En effet, le pouvoir politique, au lieu de se débarrasser de la boule de feu qui est ici la crise économique aigue, l’a jetée aux syndicalistes, qui ont voulu la lui rejeter. Or la démission du secrétaire général a mis le feu dans le foyer syndical, qui s’est propagé comme une trainée de poudre dans le corps syndical. Les conséquences de cette démission dont les vraies raisons sont encore inconnues, et à cause de la décapitation de la tête, le principal organe de l’organisation, vont être terribles pour le syndicat et le pays. C’est la boite de Pandore qui est ouverte et cela peut enfanter des monstres. Fermer cette boite est le devoir principalement de l’Etat et accessoirement des syndicalistes, du moins les plus sages parmi eux.
L’indispensable compromis
Nous l’avons dit auparavant, dans nos rubriques, un indispensable compromis entre le gouvernement et la centrale, où tout le monde sauve la face est possible. Car le conflit ne porte pas sur des revendications salariales, mais sur le rôle et la place du syndicat dans la société et la politique du gouvernement. La logique du bras de fer ne peut que nuire aux uns et aux autres. L’histoire de l’UGTT le confirme et la situation politique et économique l’impose.
Tout d’abord, les syndicalistes doivent rassurer les autorités qu’ils ne se rangeront pas, du moins leurs syndicats, dans les conflits politiques qui rongent le pays, seraient-ils sous couvert de la défense des libertés et des droits de l’homme, qui sont des causes justes, mais qui sont l’objet d’une grande manipulation, visant à déstabiliser le pays. L’UGTT étant un garant de cette stabilité et étant une partie de l’Etat, elle ne doit en aucune façon souffler sur le feu de la discorde. Bien sûr, libres sont les syndicalistes de choisir le camp qu’ils veulent, mais sans impliquer le syndicat. D’autre part, l’annonce d’une date pour la grève générale, bien que celle-ci soit un droit confirmé par la constitution et la loi, est une faute politique. Car il y a une différence entre menacer, faire pression et passer à l’action.
L’annulation ou le report de la grève générale peut être un message positif en direction des autorités. Surtout qu’il va y avoir une nouvelle direction, dont il ne faut pas lui savonner la planche. Du côté des autorités, le rétablissement des liens entre le gouvernement et la centrale peut ouvrir une voie au retour de cette dernière à jouer son rôle traditionnel.
Reste que la situation politique générale ne semble pas favoriser un tel processus en apparence. La bipolarisation politique entre les radicaux, appuyés et mis en avant par les islamistes, et les partisans du pouvoir étant à son comble, on va naviguer obligatoirement en eaux troubles. Mais il semble qu’il n’y a pour le moment aucun autre choix.
Pourquoi pas un comité de sages ?
L’initiative prise par certains vétérans du syndicalisme tunisien en signant une pétition, comme Ali Romdhane, Abdelmajid Sahraoui, Salem Abdelmajid, Rachid Najjar et d’autres, doit évoluer vers un comité de résolution des différends, aussi graves soient-t-ils. Et ce, pour renouer les liens du dialogue avec les autorités, sans que ce comité s’immisce dans la préparation du prochain congrès. Ce dernier pouvant seul conduire à une nouvelle direction bien élue et qui doit continuer à repositionner la centrale en dehors des clivages politiques actuels, pour que le syndicat garde sa neutralité, et qui peut renforcer la liberté syndicale, qui à notre avis n’est pas remise en cause jusqu’à maintenant du moins. La présence de personnalités non syndicalistes dans ce comité mais qui ont un poids symbolique et une aura nationale et suffisamment d’expérience ne peut que renforcer, sa crédibilité. La transparence de ses actions peut aussi être une garantie pour éviter les malentendus et se prémunir de la manipulation. Le seul objectif étant la reprise du dialogue. Car il y va de l’intérêt national, de la stabilité sociale et politique du pays, et surtout de sa souveraineté. Et ce, afin de ne pas ouvrir une faille par laquelle s’infiltre les ingérences étrangères.
La crise au sein de l’UGTT et la démission du secrétaire général risquent de la plonger dans un processus irréversible de scissions et de divisions qui peut aboutir à l’apparition de plusieurs unions syndicales. Car rappelons le, le multipartisme ne peut exister réellement qu’avec le multi syndicalisme. Avec toujours un syndicat dominant, ce que d’ailleurs la loi tunisienne a toujours autorisé. Mais l’UGTT étant la centrale historique, faisant partie de l’Etat national (ce qui est une exception tunisienne), est vouée à ressusciter.
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