Depuis juillet 2021, le pays s’est replié sur ses ressources internes pour financer son budget. Mais cette stratégie, dictée par l’absence d’accord avec le FMI, montre aujourd’hui ses failles : croissance ralentie, inflation persistante et système bancaire fragilisé.
L’analyste de politique économique Khouloud Toumi tire la sonnette d’alarme. « Nous faisons face à un modèle économique fermé où le financement interne ne suffit plus à soutenir ni la croissance ni la stabilité monétaire », affirme-t-elle dans une déclaration à L’Économiste Maghrébin.
Depuis le 25 juillet 2021, la Tunisie traverse une période économique inédite, marquée par un recours quasi exclusif aux ressources domestiques : banques locales, Banque centrale et recettes fiscales. Cette orientation, imposée par les circonstances et notamment l’absence d’accord avec le Fonds monétaire international, a pu « temporairement soutenir l’État », reconnaît l’analyste, avant d’ajouter que « cette stratégie a atteint ses limites ».
Les banques locales, premières créancières de l’État
Les établissements bancaires tunisiens sont devenus les premiers créanciers de l’État, détenant une part importante des bons du Trésor. Cette situation crée « une forme de dépendance mutuelle entre la banque et l’État » et expose directement ces institutions au risque souverain.
Plus préoccupant encore, cette surexposition à la dette publique se fait au détriment du secteur privé. « Les banques prêtent à l’État plutôt qu’à l’économie réelle, ce qui freine la création de richesse et l’emploi », explique Khouloud Toumi. L’investissement privé et la consommation, pourtant moteurs principaux de la croissance, en pâtissent directement.
En parallèle, la Banque centrale a procédé au financement direct de l’État, notamment 7 milliards de dinars pour la loi de finances 2025 et 11 milliards prévus pour 2026. Cette pratique, qui revient à « monétiser le déficit budgétaire », accroît la masse monétaire sur le marché réel et alimente l’inflation, érodant ainsi le pouvoir d’achat des citoyens et déstabilisant la monnaie nationale.
Des ressources fiscales absorbées par les dépenses courantes
Le tableau budgétaire est tout aussi préoccupant. Près de 75% des recettes
fiscales sont absorbées par les dépenses courantes, principalement la masse salariale et les subventions. « Cela signifie que la quasi-totalité des ressources fiscales sert à maintenir l’appareil administratif », souligne l’analyste.
Dans une économie ralentie, cette situation limite toute flexibilité budgétaire. L’État « ne peut ni investir, ni réformer, ni absorber les chocs extérieurs », précise Khouloud Toumi, qui décrit une « spirale » dangereuse : « Plus on s’endette localement, plus on affaiblit le système financier, plus on ferme l’accès aux marchés extérieurs, plus on effraie les investisseurs ».
Un accord avec le FMI, une « obligation » selon l’analyste
Face à cette impasse, Khouloud Toumi estime qu’un accord avec le Fonds monétaire international n’est plus une option mais « une obligation ». « Le FMI n’est pas seulement un bailleur de fonds, c’est un catalyseur de confiance », explique-t-elle. « Il joue un rôle important pour les marchés extérieurs » et permet de signaler que le pays « s’engage dans une trajectoire de réforme, de transparence et de stabilité ».
L’analyste reconnaît que le FMI imposera une politique budgétaire restrictive, incluant des réformes structurelles de la masse salariale, des subventions et de la restructuration des sociétés publiques. Mais elle estime que ces réformes, bien que difficiles, permettront « à terme une croissance économique » et « ouvriront les portes aux autres bailleurs de fonds, ainsi qu’aux crédits multilatéraux et bilatéraux ».
Pour Khouloud Toumi, « on est arrivé à une économie fermée » et « le risque est moindre avec les réformes qu’en maintenant le statu quo ». La question n’est donc plus de savoir s’il faut négocier, mais « sur quelle base il faut négocier » avec le FMI.
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