Qui parmi les citoyens et contribuables respectables peut rejeter l’idée de lutter contre les corrompus, les spéculateurs, les trafiquants ou les contrebandiers ? La réponse est tout naturellement personne ! Mais est-ce à dire que nous devions expliquer politiques économiques hasardeuses, pénuries de certains produits de base ou encore déficit budgétaire ou commercial par les mauvaises pratiques indépendamment des stratégies et choix entrepris par les acteurs publics ? La réponse est tout bonnement non !
Justifier la pénurie des pommes de terre par uniquement la spéculation ne peut expliquer sa cherté ou encore l’insuffisance des quantités mises sur le marché. Lorsque nous en découvrons la raison, l’étonnement disparait (إذا عرف السبب بطل العجب).
Ainsi, selon la publication de l’ONAGRI (Observatoire National de l’Agriculture) sur la balance commerciale alimentaire des 10 premiers mois de l’année, (janvier/octobre 2024) les importations des pommes de terre ont accusé une baisse de 54,4% soit 10.000 tonnes importées en 2024, contre 22 milles tonnes en 2023.
La réduction des importations pourrait à la limite s’expliquer par le fait que l’on comptait sur des récoltes nationales satisfaisantes mais nombreux sont les agriculteurs qui n’ont pas emmagasiné des pommes de terre pour les semences de peur d’être accusés d’être des spéculateurs tout comme certains opérateurs possédant des entrepôts spécialisés dans la conservation des denrées périssables, la raison est la même : être confondus avec les trafiquants et les spéculateurs, ce qui n’a pas manqué d’impacter le marché.
La réduction des importations n’a pas concerné que les pommes de terre, elle a touché aussi le blé dur dont la quantité a été réduite de 30,7% en 2024 passant de 809,4 mille tonnes à 561,1 mille tonnes, sachant que les prix à l’importation des produits céréaliers ont enregistré une baisse variant entre 13% et 25%.
Le sucre dont les quantités sont passées de +de 350.000 tonnes à près de 214.000 tonnes, soit une baisse de 39%. Les importations de l’orge qui ont baissé de 12,4% passant d’un peu plus de 693.000 tonnes à 607,5 mille tonnes. La fameuse orge est, rappelons le, utilisée dans l’alimentation animale et sert aux fourrages.
La réduction des importations des denrées citées plus hauts pourrait être expliquée ou justifiée de mille et une manière par les décideurs publics qui peuvent avoir des raisons que les Tunisiens lambda ne connaissent pas mais un fait important est celui de reconnaître que l’une des raisons de leur rareté sur les marchés et dans les commerces est, entre autres, qu’elles n’y sont pas en quantités suffisantes, ceci indépendamment des mauvaises pratiques des acteurs du marché.
Une balance alimentaire excédentaire mais à quel prix ?
La balance alimentaire a gagné au change réalisant un taux de couverture de 124,7% contre 85% l’année dernière avec un excédent de 1386,4 MD contre un déficit de 915,7 MD en 2023. Une performance jamais réalisée.
En termes de valeur, affirme l’ONAGRI, les exportations alimentaires ont enregistré une hausse de 27,3% alors que les importations ont baissé de 12,5%. L’excédent enregistré est essentiellement le résultat de la hausse des exportations de l’huile d’olive (+47,7%) et des dattes (+30,9%) et d’autre part comme cité plus haut de la régression des importations du sucre (-34,3%) et des céréales (-22%).
La hausse du prix moyen à l’exportation de l’huile d’olive (26,72 DT/kg) a enregistré une croissance de 53,1% par rapport à l’année précédente et il faut espérer que l’arrestation récente de l’un des acteurs clés dans l’exportation de l’huile d’olive n’impacte pas la saison 2024 et ses réalisations à l’international.
Une balance alimentaire excédentaire peut être considérée comme une performance si ce n’est qu’elle a touché des aliments de base au lieu de s’attaquer au superflu tels les fruits exotiques, certains produits de grand luxe ou d’autres existant à l’échelle nationale concurrencés à outrance par ceux importés.
Le blé dur utilisé surtout dans la fabrication de pâtes alimentaires, du couscous et du boulgour est un aliment nécessaire en Tunisie tout comme l’orge et les pommes de terre. L’absence de stocks stratégiques n’arrange pas les choses.
Une balance alimentaire excédentaire et 112 jours d’importation, c’est rassurant, encore faut-il que l’on assure l’approvisionnement du marché intérieur en produits de base. Réduire les déficits est important, protéger le pouvoir d’achat est aussi important. Le rôle de l’Etat régulateur et son intervention quand c’est nécessaire est capital en la matière.
Encore une fois, nous ne pouvons tout expliquer par la spéculation ou le monopole, ce qu’il faut, c’est l’adoption de politiques appropriées de sécurisation des approvisionnements alimentaires par l’acquisition de stocks stratégique et en reprenant le statut de l’Etat régulateur, stratège et penseur.
Nous y reviendrons
Amel Belhadj Ali