Tunisie : le protectionnisme intelligent, une voie de salut économique
Et si la clé du redressement économique tunisien se trouvait dans un retour raisonné à certaines barrières douanières ? Alors que le libre-échange a longtemps été présenté comme une évidence, un vent de réalisme économique souffle sur la planète. Les États-Unis, sous l’ère Trump puis Biden, ont remis au goût du jour le « America First » industriel, et les premiers résultats, affirment-ils, seraient au rendez-vous.
Notre pays, lui, est à la croisée des chemins. Avec un déficit commercial abyssal où ses exportations ne couvrent même pas la moitié de ses importations, la poursuite d’une ouverture tous azimuts n’est plus tenable. Le think tank IACE lance une proposition : s’inspirer de ce nouveau pragmatisme global pour repenser le modèle national. Le pays regarde outre-Atlantique avec intérêt. Aux États-Unis, les mesures du protectionnisme mises en place auraient contribué à un rebond de la croissance, une baisse du chômage et un dollar plus fort. L’objectif consiste à privilégier la production nationale et les emplois locaux; même si cela signifie accepter des prix légèrement plus élevés. Une philosophie à l’exact opposé du dogme du « moins cher à tout prix » pour le consommateur.
Pour la Tunisie, l’urgence est criante. En 2024, le déficit commercial atteint des sommets. Il est tiré notamment par les flux en provenance de Chine, qui représentent près de la moitié du déficit total. Mais aussi depuis la Turquie, qui en compte pour 15 %. La facture est lourde et la dépendance dangereuse.
Deux leviers pour une renaissance industrielle
L’IACE esquisse une feuille de route articulée autour de deux axes stratégiques. Le premier consiste à produire localement ce que le pays importe actuellement. L’idée n’est pas de tout fabriquer, mais de cibler des secteurs accessibles. Certaines industries, jadis solides en Tunisie comme les industries mécaniques et électriques ou les matériaux de construction, pourraient renaître. D’autres, telles que les produits pharmaceutiques, les ouvrages en bois et en acier, les meubles ou les jouets, sont désormais technologiquement à portée. L’État aurait un rôle clé à jouer en termes de soutien, de cadre réglementaire et de subventions ciblées, sur le modèle des programmes de mise à niveau du passé. Cette politique devra être impérativement limitée dans le temps et accompagnée de réformes structurelles pour alléger les coûts locaux, notamment le financement et la logistique.
Le deuxième pilier propose de racheter une partie des importations par le biais d’une politique de compensation commerciale. Pour importer des véhicules, un poste qui a englouti 4,8 milliards de dinars en 2024, ou des articles textiles et en cuir, les concessionnaires seraient contraints d’exiger de leurs fournisseurs qu’ils s’approvisionnent en pièces détachées ou composants locaux. Une pratique déjà en vigueur chez certains concessionnaires européens, qu’il s’agirait d’étendre, particulièrement aux marques asiatiques en plein essor.
Protectionnisme : le pari et ses écueils
Ce virage stratégique n’est pas sans risque. Le premier écueil serait une inflation des prix sans gain de qualité correspondant pour le consommateur tunisien. Le second défi, d’ordre diplomatique, consisterait à manœuvrer sans heurter de front des partenaires comme l’Union européenne, liée par des accords d’association.
La clé du succès, selon l’IACE, réside dans la finesse et la sélectivité de l’approche relative au protectionnisme . Il ne s’agit pas d’ériger des murs, mais de dresser des barrières temporaires et surtout qualitatives. Et ce, en jouant sur les normes techniques ou les mécanismes de financement, plutôt que de recourir à des taxes purement quantitatives. L’objectif final n’est pas de se couper du monde, mais de corriger en priorité les déséquilibres avec les partenaires asiatiques.
La balle est désormais dans le camp des décideurs politiques. Le rôle de l’État sera décisif pour piloter cette transition, secteur par secteur, dans un cadre macroéconomique stable. La question fondamentale n’est plus de savoir s’il faut ou non protéger l’économie nationale; mais plutôt quoi protéger, comment le faire et jusqu’à quand. Le protectionnisme intelligent, perçu autrefois comme une hérésie économique, apparaît aujourd’hui pour certains comme une stratégie de survie économique.
L’article Tunisie : le protectionnisme intelligent, une voie de salut économique est apparu en premier sur Leconomiste Maghrebin.