La RĂ©serve fĂ©dĂ©rale amĂ©ricaine (Fed) a occupĂ© une place centrale dans les dĂ©bats macroĂ©conomiques et dâinvestissement ces derniĂšres annĂ©es, en raison de lâimpact dĂ©terminant des taux dâintĂ©rĂȘt et des politiques monĂ©taires sur la croissance, la liquiditĂ© et lâinflation. Cependant, ces derniers mois, une sĂ©rie de mesures prises par lâadministration Trump a redistribuĂ© les prioritĂ©s et dĂ©placĂ© le centre de gravitĂ© des discussions.
Ce changement sâexplique par les craintes dâune surchauffe inflationniste, dans lâhypothĂšse oĂč les politiques expansionnistes Ă©voquĂ©es pendant la campagne prĂ©sidentielle de Trump se concrĂ©tisaient. Pourtant, dĂšs le dĂ©but de son mandat, les questions douaniĂšres et les politiques commerciales ont monopolisĂ© lâagenda gouvernemental.
DĂšs lors, les risques pesant sur les perspectives macroĂ©conomiques amĂ©ricaines ont rapidement basculĂ© : la menace dâune surchauffe a cĂ©dĂ© la place Ă celle dâune Ă©ventuelle rĂ©cession. Le moral des investisseurs et des consommateurs sâest dĂ©gradĂ©, les principaux indices boursiers ayant enregistrĂ© une correction de plus de 10 % â une premiĂšre depuis plusieurs annĂ©es â, tandis que les ventes au dĂ©tail ont continuĂ© de faiblir et que les indicateurs de confiance des consommateurs se sont effondrĂ©s.
Un modĂšle de prĂ©vision de la Fed dâAtlanta anticipe dĂ©sormais une contraction de 2,8 % du PIB amĂ©ricain au premier trimestre 2025, contre une croissance de 2,3 % au trimestre prĂ©cĂ©dent.
Rendement des bons du Trésor US à 2 ans (taux annuel, %, 2024-25)
La Fed doit nĂ©anmoins continuer Ă opĂ©rer dans cet environnement hautement incertain. Ses dĂ©cisions de politique monĂ©taire pourraient jouer un rĂŽle clĂ© pour attĂ©nuer certains effets liĂ©s Ă cette incertitude ou Ă dâĂ©ventuels chocs nĂ©gatifs dâorigine politique.
Il ne sâagit pas dâune tĂąche facile. En effet, les taux dâintĂ©rĂȘt anticipĂ©s Ă moyen terme ont fortement fluctuĂ©, tĂ©moignant dâun consensus de marchĂ© instable sur le calendrier, et mĂȘme sur la direction future des taux des fonds fĂ©dĂ©raux. Les rendements des bons du TrĂ©sor Ă 2 ans, qui sâĂ©taient effondrĂ©s au deuxiĂšme et troisiĂšme trimestres 2024 dans un contexte de dĂ©sinflation rapide et dâattentes dâassouplissement monĂ©taire agressif, ont fortement rebondi au quatriĂšme trimestre, Ă mesure que Trump prenait la tĂȘte des Ă©lections grĂące Ă un programme de relance. Mais depuis fĂ©vrier 2025, lâimpact nĂ©gatif des mesures commerciales agressives et des politiques DOGE (ou dâautres politiques spĂ©cifiques , si câest une erreur de frappe) sur le moral des investisseurs et des consommateurs a de nouveau fait baisser les rendements.
Les marchĂ©s anticipent dĂ©sormais une reprise du cycle de baisse des taux entamĂ© en septembre 2024, avec quatre nouvelles rĂ©ductions de 25 points de base intĂ©grĂ©es dans les prĂ©visions dâici la fin de 2025, et des baisses supplĂ©mentaires envisagĂ©es pour 2026.
Ă notre avis, les anticipations actuelles du marchĂ© semblent cohĂ©rentes avec la conjoncture macroĂ©conomique, laissant suffisamment de marge de manĆuvre Ă la Fed pour poursuivre lâassouplissement de sa politique. Deux Ă©lĂ©ments principaux soutiennent cette analyse.
PremiĂšrement, les responsables de la Fed continuent de signaler leur intention de procĂ©der Ă dâautres baisses de taux cette annĂ©e. Le graphique Ă points (dot plot) de mars 2025, qui reflĂšte les projections de chaque membre du ComitĂ© fĂ©dĂ©ral de lâopen market (FOMC), montre des prĂ©visions proches de celles du marchĂ© pour les prochains trimestres. La plupart des responsables estiment que lâĂ©conomie ralentit progressivement, que lâinflation se normalise, et que les effets inflationnistes liĂ©s aux droits de douane sont probablement transitoires et peuvent ĂȘtre ignorĂ©s.
DeuxiĂšmement, la combinaison dâun affaiblissement Ă©conomique et de chocs politiques nĂ©gatifs affectant la confiance suggĂšre que de nouvelles baisses de taux ne sont pas seulement possibles, mais peut-ĂȘtre mĂȘme nĂ©cessaires. Lâutilisation des capacitĂ©s aux Ătats-Unis, mesurĂ©e par lâĂ©tat du marchĂ© du travail et la sous-utilisation industrielle, indique que lâĂ©conomie tourne en deçà de son potentiel. En dâautres termes, lâoffre de main-dâĆuvre reste suffisante pour les postes vacants, tandis que lâactivitĂ© industrielle demeure infĂ©rieure Ă sa tendance de long terme. Le marchĂ© du travail, qui avait atteint une tension maximale dĂ©but 2023 avec un taux de chĂŽmage Ă 3,4 %, est dĂ©sormais revenu Ă un niveau normalisĂ©, Ă 4,5 % en fĂ©vrier 2025. Ces conditions plaident pour un retour Ă des taux dâintĂ©rĂȘt plus accommodants, câest-Ă -dire infĂ©rieurs au seuil neutre estimĂ© Ă environ 4 %.
En rĂ©sumĂ©, malgrĂ© une inflation toujours supĂ©rieure Ă la cible et des pressions inflationnistes potentielles Ă court terme liĂ©es aux tarifs douaniers, la Fed devrait poursuivre les baisses de taux en 2025. Cela sâinscrit dans un contexte dâaffaiblissement de lâĂ©conomie et dans le besoin dâadopter une politique monĂ©taire moins restrictive (actuellement Ă 4,5 %) pour atteindre un niveau plus accommodant (infĂ©rieur Ă 4 %), afin dâĂ©viter une dĂ©cĂ©lĂ©ration Ă©conomique plus marquĂ©e, voire une rĂ©cession.
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