De la santé au tourisme, en passant par l’agriculture et la finance, tous les intervenants partagent le même constat : la Tunisie dispose d’atouts considérables mais reste freinée par une gouvernance déficiente, des réglementations étouffantes et une administration lente.
Le pays peut devenir un acteur régional majeur s’il réussit à simplifier son cadre réglementaire, moderniser son financement et valoriser ses complémentarités avec l’Afrique. Mais sans réformes structurelles, ces secteurs resteront en mode survie, incapables de transformer leur potentiel en croissance durable. C’est ce qui ressort du panel « Accélération économique par la valorisation des secteurs à haut potentiel », organisé le 18 septembre 2025 à Tunis dans le cadre de l’événement Tunisie 2.0.
Le tourisme médical, promesse d’un hub régional
Pour Ryhm Ghachem, présidente de l’Ordre des médecins, la Tunisie peut devenir un pôle médical régional grâce à sa formation de qualité et à sa position géographique. Déjà attractive pour la chirurgie esthétique, la procréation assistée ou les soins aux seniors, cette filière exige toutefois une approche « zéro faute » : certification stricte, élimination de la lourdeur administrative et respect éthique.
Une charte éthique publiée en mars 2025 encadre désormais la communication médicale, interdisant notamment de montrer le visage des patients. Ghachem insiste aussi sur l’importance d’expliquer en détail les interventions pour éviter litiges et déceptions post-opératoires. Elle appelle enfin à développer des spécialités comme la diététique et à lancer un marketing international coordonné.
Le tourisme balnéaire en crise structurelle
Dora Miled, présidente de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie, décrit un secteur en « mode survie » : 170 hôtels fermés et seulement 10 millions de visiteurs, alors que le potentiel réel dépasse les 20 millions.
Selon elle, les erreurs des années 90 (surendettement, surinvestissement à bas capital) pèsent encore. Elle propose une restructuration financière inspirée de la méthode du spin-off, séparant actifs lourds et légers. Un livre blanc élaboré en 2017 n’a jamais été appliqué faute de consensus.
Autre défi : les ressources humaines. Cette année, 5 000 Tunisiens ont travaillé comme saisonniers en France contre 3 500 l’an dernier. Miled plaide pour lever le tabou du recours à une main-d’œuvre étrangère légale, comme en Europe.
Elle rappelle que le tourisme tunisien était diversifié (golf, thalassothérapie, chasse), mais ces segments ont reculé. Pour relancer le tourisme régional, il faut d’abord améliorer les transports intérieurs, indispensables au développement hors zones balnéaires.
Une agriculture résiliente mais bridée
Pour Leith Ben Becher, ancien président du syndicat des agriculteurs, l’agriculture tunisienne maintient une croissance malgré des obstacles majeurs : hyperlégislation, bureaucratie excessive et libéralisation brutale après les années 90.
Il cite l’exemple du transport : « deux sacs de plus dans une camionnette » suffisent à provoquer un contrôle pour défaut de facturation. L’absence de lien entre production et transformation pénalise aussi le secteur, notamment pour les céréales et le lait, dominé par un acteur unique face à des milliers de petits éleveurs.
Concernant l’huile d’olive, cinq opérateurs publics mal coordonnés diluent les efforts. Ben Becher dénonce un « biais urbain » qui privilégie les consommateurs au détriment des producteurs, et appelle à des choix culturaux durables adaptés aux ressources limitées.
Coopération Sud-Sud : opportunité pour l’Afrique
Adama Lam, président des employeurs du Sénégal, voit une complémentarité forte avec la Tunisie. Le Sénégal importe chaque année 1,2 million de tonnes de riz, 800 000 de blé et 400 000 de maïs : autant d’opportunités pour l’agriculture tunisienne via des joint-ventures.
Mais il souligne un frein commun : des administrations lentes et « concurrentes » du secteur privé. Il prône des réformes pour rendre l’État plus agile et rééquilibrer le financement, rappelant que les taux de crédit de 7-10 % freinent des économies qui croissent à peine de 1-3 %.
Lam insiste sur la nécessité d’intégrer le numérique et l’intelligence artificielle pour saisir les opportunités offertes par le recul des grandes puissances, et appelle à élargir l’assiette fiscale pour réduire la pression sur les entreprises formelles.
Un marché financier sous-exploité
Bilel Sahnoun, DG de la Bourse de Tunis, constate que le marché financier ne finance que 5 à 10 % de l’économie, contre 30 % dans des pays comparables et 40-60 % dans les économies développées. Les banques assurent encore 95 % du financement mais montrent des signes d’essoufflement. La Bourse compte seulement 75 sociétés cotées, principalement financières, alors que des secteurs clés comme le tourisme, l’agriculture ou les énergies sont absents. La capitalisation atteint à peine 20 % du PIB, loin des 50 % observés ailleurs.
Sahnoun propose de réformer les textes réglementaires, de diversifier l’offre (produits dérivés, marchés de commodités, activités IT) et d’imposer, comme aux États-Unis ou en Inde, l’introduction en bourse obligatoire pour certaines grandes entreprises. Cette mesure renforcerait transparence et gouvernance, tout en dynamisant la capitalisation.
La Tunisie possède des secteurs porteurs capables de rayonner régionalement. Mais sans simplification administrative, modernisation du financement et meilleure gouvernance, elle restera enfermée dans un cycle de survie, incapable de transformer son potentiel en moteur de croissance durable.
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