Tunisie : syndrome de la table rase et quête d’identité
Selon l’analyste politique Elyes Kasri, la Tunisie se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins entre le syndrome de la table rase et une recherche effrénée d’une identité insaisissable. Ce paradoxe identitaire s’inscrit dans une mémoire collective brouillée et colonisée, qui empêche le pays de se construire sereinement. Pour retrouver sa souveraineté culturelle et politique, la Tunisie doit impérativement opérer une décolonisation de son histoire, en dépassant les mythes imposés et en réévaluant la place réelle de ses multiples héritages civilisationnels.
Le post d’Elyes Kasri: « La Tunisie entre le syndrome de la table rase et la quête effrénée d’une identité insaisissable.
De nombreux analystes tunisiens et étrangers imputent le bouillonnement et l’angoisse existentielle que vit le peuple tunisien à des séquelles d’une période révolutionnaire et à un prétendu détournement de ce moment historique de délivrance et de passage à la véritable démocratie, au bonheur et à la prospérité.
Imputer à Ennahdha et ses sbires de toute sorte ou au mouvement syndical et à la gauche ou au mouvement nationaliste arabe cette responsabilité historique pourrait a la limite recueillir certains arguments et éclairer certaines séquences de la dérive proche de la perdition que connait la Tunisie qui semble la recherche d’une identité et de repères socio-culturels pour se positionner entre les nations et se fixer des repères et balises pour toute construction future.
Toutefois, il y a lieu d’admettre que la Tunisie vit depuis son indépendance un paradoxe existentiel d’un pays qui ne cesse de faire table rase de son passé tout en invoquant à chaque phase un narratif politiquement orienté du passé et des origines pour justifier des choix politiques momentanés.
Il faut reconnaître que la quête identitaire du peuple tunisien ne remonte pas à la phase bourguibienne mais fait partie de son ADN historique et de sa mémoire collective brouillée par des phases occultées et très souvent déformées, le plus souvent en mal et quelques fois enjolivées à l’excès à l’instar des péripéties des conquêtes arabe et ottomane.
Les apprentis sorciers de l’identité et de l’authenticité trouvent un écho favorable chez le peuple tunisien qui a été tout au long de son histoire, depuis la civilisation capsienne, l’ère punique et celles qui les ont suivies, victime d’un vol de son histoire et d’un viol de son identité et de sa mémoire collective de même que de ses territoires historiques.
Si l’occident a pu entrer dans la modernité après le siècle des lumières et un long combat contre l’emprise de l’eglise et de la théologie sur la pensée, la société et l’etat, assortie d’une révolution copernicienne, la Tunisie a besoin avant toute chose de se réconcilier avec son histoire, son identité et sa mémoire collective.
Cette réconciliation devra se faire par un recentrage et une décolonisation de l’histoire et une distanciation avec les mythes plantés par les historiens occidentaux et arabes et surtout en relativisant la part arabo-musulmane dont l’épopée tunisienne mérite d’être démystifiée et mise dans un contexte adéquat pour éviter d’occulter et d’étouffer les autres pans de l’histoire et de l’identité du peuple tunisien.
L’histoire et la culture du peuple tunisien sont plus riches qu’un appendice d’une histoire de peuples orientaux de plus en plus démystifiée et qui ne fait que nous reléguer dans un no man’s land historique et civilisationnel pour faire de la Tunisie une entité socio-politique non identifiée et rejetée, tacitement sinon dans la pratique, par le monde européen avec lequel nous partageons pourtant de grandes séquences de notre histoire, par le monde arabe dont nous faisons notre première référence civilisationnelle et identitaire et qui nous regarde avec une méfiance teintée de mépris et par l’Afrique, notre continent auquel nous avons donné le nom et avec lequel le fossé se creuse de plus en plus rapidement surtout à la faveur de la crise migratoire et des réflexions et comportement qu’elle a pu susciter.
Plus qu’une panoplie de slogans identitaires et civilisationnels qui font du peuple tunisien un colonisé mental et mémoriel, la Tunisie a besoin de décoloniser son histoire et ses référentiels civilisationnels car une mémoire colonisée ou déformée par les anciens colons ne peut mener à une pensée libre, souveraine et émancipée de toute inféodation.
L’avenir de la Tunisie ne pourra se concevoir en termes positifs et optimistes que par un changement de paradigme identitaire et une décolonisation de son histoire et de sa conscience collective. »
L’article Tunisie : syndrome de la table rase et quête d’identité est apparu en premier sur Leconomiste Maghrebin.