« La Tunisie a besoin de Sfax » : plaidoyer pour une renaissance économique
Dans une ville historiquement connue comme le poumon économique du pays, la situation est devenue critique, voire alarmante. À Sfax, les opérateurs économiques, les commerçants, les artisans et les citoyens n’en peuvent plus de ce qu’ils considèrent comme un abandon prolongé de la part des pouvoirs publics. Pour Slim Marrakchi, porte-parole de l’Union régionale de l’UTICA à Sfax, le dernier communiqué publié le 10 avril 2025 n’est que le reflet d’un profond désarroi. Mais aussi d’une ultime tentative de faire entendre la voix d’une région qui étouffe.
« Ce n’est pas notre premier communiqué. Mais nous espérons que ce sera le dernier », lance notre invité. Dès les premières minutes de l’entretien, Slim Marrakchi insiste sur le fait que cette prise de parole n’est pas un geste isolé. Depuis des années, l’UTICA de Sfax alerte, interpelle et propose. En vain.
« Nous avons déjà publié des communiqués, rencontré des ministres, discuté avec les directions centrales… Mais la situation reste inchangée ».
Le communiqué du 10 avril exprime une colère sourde, mais persistante. Celle d’une région qui se sent abandonnée. « Nous subissons une pression énorme. Cela fait des années que nous la vivons, mais récemment, notamment pendant le mois de Ramadan, la situation est devenue insoutenable. Le centre-ville, la Médina, sont devenus des zones désertes économiquement. La détresse est palpable ».
Un mal enraciné et des décennies de marginalisation
Pour comprendre les racines de cette crise, il faut, selon M. Marrakchi, remonter plusieurs décennies en arrière. « Depuis l’indépendance, Sfax n’a bénéficié que d’un seul grand investissement public : la ceinture de protection contre les inondations, réalisée en 1982 après une tragédie qui a coûté la vie à des dizaines de personnes. Depuis? Plus rien ».
Pire encore, les rares investissements publics réalisés ont été perçus comme nuisibles. Slim Marrakchi évoque ici les industries chimiques, notamment la SIAPE et la NPK, qui ont, non seulement pollué la ville, mais détérioré durablement la qualité de vie de ses habitants. « Ces projets n’ont apporté que des effets pervers sur la santé et la qualité de vie de ses habitants ».
Il dénonce aussi une politique de centralisation implacable, notamment à partir des années 90. « L’État a misé sur le Grand Tunis, au détriment du reste du pays. À Sfax, les investisseurs ont été harcelés fiscalement, poussés à délocaliser vers la capitale. Résultat : Sfax a perdu son rôle historique de locomotive économique du sud et du centre du pays ».
Des projets sur le papier, aucun sur le terrain
L’exaspération des Sfaxiens vient aussi d’un autre constat : sur le papier, la ville regorge de projets prometteurs, mais sur le terrain, rien ne bouge. Le responsable de l’UTICA cite notamment TAPARURA, projet emblématique lancé au début des années 80, qui stagne toujours. À titre de comparaison, le projet du Lac de Tunis, initié bien plus tard, est déjà dans sa troisième phase.
« Le métro léger? Un rêve. La cité sportive? Abandonnée. L’aéroport international? Largement sous-exploité, les vols réguliers vers Paris sont confiés à des compagnies privées; alors que la compagnie nationale se désengage. Le port de Sfax, jadis central pour le commerce en Méditerranée, a perdu son positionnement stratégique ».
Autant de signes d’une ville en déclin. « Partout où l’on regarde, c’est la même chose : des infrastructures négligées, un tissu économique effrité, une jeunesse désorientée. Même les investisseurs locaux quittent la ville. Ceux qui restent sont de véritables résistants ».
Une volonté politique absente
Pour M. Marrakchi, le problème n’est pas financier, mais politique. « Nous ne demandons pas des milliards. Ce que nous réclamons, c’est une volonté, un signal clair que le pouvoir central souhaite réellement réintégrer Sfax dans les plans de développement du pays ».
Selon lui, l’absence de volonté se manifeste dans tous les secteurs. « La pollution n’est pas traitée. Les déchets domestiques s’accumulent depuis 2020. Le phénomène migratoire est géré de façon chaotique. Les projets structurants ne démarrent pas ». Il insiste : « Relancer Sfax, ce n’est pas seulement sauver une région. C’est offrir une nouvelle chance au pays entier. Sfax a les moyens, les compétences, les ressources humaines et la culture du travail. Encore faut-il qu’on lui accorde une attention particulière pour concrétiser les projets bloqués et contribuer à la relance économique de la région et du pays ».
Des propositions concrètes prêtes à être présentées
L’UTICA régionale ne se contente pas de dénoncer. Elle envisage de préparer un livre blanc portant une vision stratégique pour la région, élaborée en coordination avec la société civile, les autorités régionales et les opérateurs économiques. L’objectif? Présenter une vision stratégique aux décideurs et aux différents ministères de tutelle. Cette vision repose sur plusieurs secteurs à fort potentiel : la santé, l’industrie mécanique, l’agriculture bio, les technologies propres… « Nous avons des dossiers prêts, des projets structurés. Ce qui manque, encore une fois, c’est l’engagement du gouvernement central ».
La Médina, symbole d’un patrimoine abandonné
La détresse de la Médina de Sfax incarne le mal-être de la ville. Autrefois cœur battant du commerce régional, elle est aujourd’hui à l’abandon. « Des bâtiments s’effondrent. La criminalité augmente. Après 16 heures, c’est une zone laissée à l’abandon ».
Des initiatives privées tentent de sauver ce patrimoine exceptionnel – la Médina de Sfax est la plus grande du pays en superficie. Mais sans appui de l’État, ces efforts sont voués à rester marginaux. « Il faut un partenariat public-privé solide pour redonner vie à la Médina. Elle peut redevenir un centre de commerce, de culture, de tourisme ».
Un appel : « Sfax, redonnez-lui sa place »
En conclusion, Slim Marrakchi lance un appel solennel aux trois présidences. « Sfax a donné au pays. Il est temps que le pays donne à Sfax. Donnez-nous un minimum de cadre de vie, pour que nos jeunes, nos investisseurs, restent ici ». Il prévient que même les investisseurs locaux ne tiennent plus. « On en compte encore quelques-uns, mais ils se réduisent comme peau de chagrin. Ceux qui restent, on les soutient, on les félicite, on essaie de les retenir. Mais sans changement, ils partiront eux aussi ». Et de conclure : « La Tunisie a besoin de Sfax. Redonnez-lui sa place. Nous avons les solutions, la vision, l’énergie. Il ne manque que la volonté politique ».
Retrouvez cet article dans L’Economiste Maghrébin N°918, disponible du 23 avril au 7 mai 2025.
L’article « La Tunisie a besoin de Sfax » : plaidoyer pour une renaissance économique est apparu en premier sur Leconomiste Maghrebin.