Dans ce siĂšcle, marquĂ© par un regain de suprĂ©matisme blanc et de retour du colonialisme illustrĂ© par la montĂ©e de lâextrĂȘme droite sioniste et le redĂ©coupage des frontiĂšres de Gaza au Groenland, devons-nous, nous poser des questions sur la place de la Tunisie dans la nouvelle carte gĂ©opolitique et gĂ©oĂ©conomique mondiale et surtout nous demander si notre pays nâa pas perdu plus de temps quâil nâen a Ă la recherche de son identitĂ© Ă©conomique.
Le 27 Mai 2022, je publiais un article titrĂ© : « Il nâest pas trop tard pour Kais SaĂŻed de trouver son Eleanor ». Un article encore dâactualitĂ© car force de constater que prĂšs de trois ans aprĂšs, les limites que jâavais cernĂ© chez Najla Bouden me donna raison et que les gouvernements successifs nâont pas favorisĂ© la politique du New Deal.
Que reste-t-il donc Ă Kais SaĂŻed qui nâest pas au fait de la chose Ă©conomique ou financiĂšre, mais pas moins que certains rois de France qui eurent de grand ministre des Finances tel que Colbert, Richelieu ou Mazarin, pas plus que Mao qui eut Deng Xiaoping, ou Roosevelt et son Brain Trust cabinet ?
Il Ă©tait clair que la ministre des Finances Sihem Nemsia nâavait guĂšre une tĂąche facile Ă savoir sauvegarder le salaire dâenviron 750 000 fonctionnaires alors que ce nombre Ă©tait proche des 430 000 Ă la fin du rĂšgne de Ben Ali, un des taux le plus Ă©levĂ© au monde. Je ne rentrerai pas dans les dĂ©tails de la productivitĂ© de ce personnel et de la qualitĂ© des services.
Cet article nâa pas pour but de faire le bilan de lâĂšre Nemsia pendant laquelle, mis Ă part, une amĂ©lioration lĂ©gĂšre de la balance commerciale et le paiement des dettes, les chiffres macro-Ă©conomiques se sont dĂ©tĂ©riorĂ©s. La dette a explosĂ© impactant le rating du pays, la fiscalitĂ© est devenue quasi confiscatoire pour les haut revenus et les entreprises, impactant les investissements. Je ne reviendrai pas sur la loi sur les chĂšques laquelle avec un taux de bancarisation dâĂ peine 17% poussera encore plus les citoyens vers lâĂ©conomie parallĂšle.
Bien-sĂ»r aucun nâautre ministĂšre ne fait mieux, ni le ministĂšre de lâĂ©nergie, ni le ministĂšre de lâagriculture, aussi responsables du dĂ©ficit de la balance commerciale.
Le but de cet article est de proposer lâordoliberalisme comme une autre solution de dĂ©veloppement Ă©conomique.
NĂ© dans les annĂ©es 1930, il est dĂ©fini comme un courant de pensĂ©e libĂ©ral selon lequel la mission Ă©conomique de lâĂtat est de crĂ©er et de maintenir un cadre normatif permettant la « concurrence libre et non faussĂ©e » entre les entreprises . Ce fut lâaxe de dĂ©veloppement de lâAllemagne dâaprĂšs la deuxiĂšme guerre mondiale, axe qui a permis Ă lâAllemagne dâĂȘtre cette puissance industrielle, on parlait du miracle Ă©conomique allemand.
Comme du cĂŽtĂ© amĂ©ricain suite Ă la crise 1929 et le new deal de Roosevelt, Ludwig Erhard, un des pĂšres du futur miracle Ă©conomique allemand, avait comme objectif la lutte contre le chĂŽmage, cela tombe bien câest lâactuelle situation de la Tunisie. LâĂ©cole ordolibĂ©rale vise Ă fonder une science de lâĂ©conomie politique 2.4. Une science qui tient compte aussi des particularitĂ©s nationales [1].
Chez les ordos libĂ©raux Ă la Eucken, il nây a donc pas dâordre spontanĂ©, mais une profonde mĂ©fiance envers la nature humaine vue comme excessivement tentĂ©e par le pouvoir et la domination [2]. Ainsi, la lutte contre la corruption, les monopoles liĂ©s Ă elle et la facilitĂ© dâentreprendre avec moins dâautorisations, et lâintervention pilotĂ©e de lâEtat, sont de bonnes stratĂ©gies que pourrait adopter Kais SaĂŻed afin de favoriser la libre concurrence des nouveaux entrants dans le marchĂ©. La stabilitĂ© monĂ©taire fait partie des fondations de ce courant de pensĂ©e correspondant bien Ă lâactuel politique de la BCT.
« Cela conduit selon Eucken à « Une sorte de monitoring permanent des processus Ă©conomiques » et ce qui nâest pas pour dĂ©plaire au prĂ©sident de la RĂ©publique, lâordo-libĂ©ralisme place la morale au cĆur de son programme.
Encourager la stabilité monétaire et la responsabilité individuelle au détriment du plein-emploi et de la hausse des salaires
En 1949, Ludwig Erhard est nommĂ© ministre fĂ©dĂ©ral de lâĂ©conomie dâun pays quasi en ruine et ruinĂ©. Le marchĂ© noir Ă©tait la rĂšgle. Il appliqua une politique Ă©conomique inspirĂ©e de lâordolibĂ©ralisme privilĂ©giant la recherche de la stabilitĂ© monĂ©taire et la responsabilitĂ© individuelle au dĂ©triment du plein-emploi et de la hausse des salaires. Cette politique conduit en particulier Ă la libĂ©ration des prix, Ă la crĂ©ation du deutsche Mark (juin 1948), Ă lâouverture au libre-Ă©change international et Ă des privatisations sĂ©lectionnĂ©s.
Les rĂ©formes Erhard furent violentes financiĂšrement parlant, sous la pression amĂ©ricaine le Reichsmark perdait son court lĂ©gal remplacĂ© par le Deutsche Mark. LâĂ©pargne privĂ©e Ă©tait Ă©changĂ©e Ă 1/10 de sa valeur. Heureusement la Tunisie nâest pas encore Ă ce niveau. La levĂ©e des restrictions et des prix et la circulation de la nouvelle monnaie a eu pour effet visible de supprimer le marchĂ© noir et les Ă©talages pouvaient se remplir du jour en lendemain.
La politique Ă©conomique de lâEtat tunisien, sâest souvent rĂ©fĂ©rĂ© Ă des principes compatibles avec cette approche tout en Ă©tant orientĂ©s vers des principes communistes, oĂč partage des richesses rimait souvent avec un partage de la pauvretĂ©, ceci associĂ© Ă une imposition quasi confiscatoire de la classe socioprofessionnelle aisĂ©e encourageant les sociĂ©tĂ©s communautaires qui nous rappellent lâĂšre soviĂ©tique. Cela Ă©tant, il faut tout de mĂȘme savoir que ces sociĂ©tĂ©s qui ne reprĂ©sentent mĂȘme pas 1% de la crĂ©ation des entreprises ont un coĂ»t proportionnellement Ă©norme pour lâEtat.
Depuis son arrivĂ© au pouvoir, Kais SaĂŻed a mis en avant une vision Ă©conomique oĂč lâĂtat joue un rĂŽle central, marquĂ©e par un rejet des politiques nĂ©olibĂ©rales jugĂ©es responsables des maux Ă©conomiques du pays. Il a appelĂ© Ă une ârĂ©volution Ă©conomiqueâ qui sâarticule autour de la justice sociale et de la redistribution des richesses.
Toutefois, ses déclarations manquent souvent de détails opérationnels, laissant planer un flou sur les mesures concrÚtes à adopter et des résultats plutÎt médiocres faute de personnes compétentes.
MalgrĂ© des intentions affichĂ©es, les mesures concrĂštes prises sous le mandat de Kais SaĂŻed nâont pas favorisĂ© une relance de lâĂ©conomie :
- **ContrÎle des prix** : PlutÎt que de favoriser la concurrence, le gouvernement a mis en place des contrÎles des prix pour certains biens de consommation. Cette approche a dés-incité la production et a conduit à des pénuries.
- **Interventions Ă©tatiques directes** : PlutĂŽt quâune rĂ©gulation subtile, des interventions directes ont Ă©tĂ© privilĂ©giĂ©es, ce qui a crĂ©Ă© des distorsions sur le marchĂ© et a exacerbĂ© la mĂ©fiance des investisseurs.
Les rĂ©sultats de ces choix politiques sont alarmants. Selon les donnĂ©es de la Banque mondiale, la Tunisie a connu une contraction Ă©conomique significative. Les indicateurs tels que le chĂŽmage et lâinflation ont atteint des niveaux critiques, affectant directement le pouvoir dâachat des Tunisiens. La dĂ©tĂ©rioration du climat des affaires a accentuĂ© la fuite des capitaux et a freinĂ© les investissements Ă©trangers. Le gouvernement de Kais SaĂŻed souffre dâun manque de vision stratĂ©gique Ă long terme. La dĂ©pendance Tunisienne de lâaide extĂ©rieur a limitĂ© la capacitĂ© du pays Ă dĂ©velopper une Ă©conomie autonome et rĂ©siliente, crĂ©ant un scepticisme croissant de la part des bailleurs de fonds internationaux.
Les réformes pour la relance économique existent, encore faut-il les adopter !
Certaines rĂ©formes structurelles peuvent couter peu Ă lâĂ©tat et permettent de dĂ©gager des marges de manĆuvre tel que la fusion des banques publiques, la rĂ©duction de leur personnel et la vente de leurs immeubles peuvent permettre de gĂ©nĂ©rer des Ă©conomies de quelques centaines de millions de dinars.
LâĂ©tat doit permettre aux citoyens dâouvrir des comptes en devises afin dâencourager la thĂ©saurisation des devises dans chaque famille. LâĂ©pargne et lâexportation sont les clĂ©s de rĂ©ussites dâun pays, car un pays qui ne vend pas ou nâachĂšte pas dâusines, de sociĂ©tĂ©s Ă lâĂ©tranger est un pays qui se vend au plus offrant.
Il y a une mesure qui pourrait permettre de gĂ©nĂ©rer 1,8 milliard de dollars dans une rĂ©forme sur les sicav monĂ©taires et sur une rĂšglementation plus adaptĂ©e de lâor.
Il y a des dizaines de reformes Ă faire par ministĂšre, en passant du ministĂšre des finances jusquâau ministĂšre de la culture qui peut sâinspirer des musĂ©es Ă©gyptiens, de la promotion des films comme Ă Malte, ou encore du ministĂšre des transport proposant un prix libre au taxi a conditions dâacheter une voiture construite en Tunisie (Wallyscar ou autre), de mĂȘme que les voitures de fonctions de lâarmĂ©e ou autre qui pourraient prĂ©fĂ©raient ce mĂȘme constructeur. Wallyscar devrait sâintroduire en bourse pour lever plus de capitaux. LâĂ©tat devrait aussi favoriser cela en prenant aussi une participation minimum.
Je ne parlerai pas du transport, chemin de fer ou de la formation. Ainsi concernant cette derniere, il est par exemple plus facile de former des ouvriers non qualifiĂ©s ou peu qualifiĂ© du textile Ă la soudure Ă lâarc qui est trĂšs demandĂ© Ă travers le monde. Il est aussi plus facile de former des diplĂŽmĂ©s Ă lâIA que de les voir manifester dans la rue. Dâailleurs, Karim Beguir CEO dâInstadeep a un projet de former 10 000 spĂ©cialistes de lâIA en Tunisie.
Dans un monde ou la Tunisie fait face Ă des Etats continents, elle ne peut se permettre de ne pas crĂ©er des synergies avec lâAlgĂ©rie, la Libye jusquâĂ lâIndonĂ©sie afin de crĂ©er des marchĂ©s intĂ©grĂ©s et complĂ©mentaires. Des synergies qui doivent avoir lieu aussi entre les Tunisiens qui ont rĂ©ussi afin dĂ©velopper encore plus leurs projets, câest ensemble que ces tunisiens peuvent ĂȘtre encore plus fort.
Une dĂ©pense publique judicieusement gĂ©rĂ©e peut crĂ©er des emplois et gĂ©nĂ©rer des recettes fiscales lorsquâelle est correctement orientĂ©e. La Tunisie doit augmenter la taille de son gĂąteau et ne pas partager les miettes.
A ce propos, pourquoi pas un referendum avec une question simple à savoir : « Au vue de la situation économique du pays, préfériez-vous baisser les salaires et les pensions, ou réduire le nombre de fonctionnaires » ?
Cela pourrait permettre enfin de rĂ©Ă©quilibrer le budget et enfin faire chuter lâinflation sans une forte dĂ©valuation du dinar. Une forte participation redonnerait de la force Ă ce prĂ©sident tout en justifiant le tournant lĂ©gĂšrement libĂ©ral.
Cela devra sâaccompagner de baisse dâimpĂŽt et dâun retour au chĂšque qui permet de dynamiser lâĂ©conomie Ă moindre de frais.
Par Oilid Ben Yezza
DiplÎmé de la New York University, Founder hedgefundsrating (Luxembourg)
*Lâordo libĂ©ralisme (ou ordo-libĂ©ralisme) est une doctrine politique libĂ©rale qui, partant du constat que le marchĂ© nâest pas un phĂ©nomĂšne naturel, attribue Ă lâEtat le rĂŽle de garantir une concurrence libre et non faussĂ©e entre les entreprises pour permettre Ă lâĂ©conomie libĂ©rale dâatteindre son optimum thĂ©orique.
[1] Walter Eucken, The fondations of economics, London, The fondations of economics, 1950.
[2] Patricia Commun, Les ordolibĂ©raux, histoire dâun libĂ©ralisme Ă lâallemande, Paris, Les belles-lettres, 2016
Lâarticle TRIBUNE : Et pourquoi pas un referendum et lâordo libĂ©ralisme ? est apparu en premier sur WMC.