L ’Etat social ? Ancienne antienne remise au goût du jour. Le président Kaïs Saïed entend en faire l’alpha et l’oméga du budget de l’Etat 2026. La cheffe du gouvernement, Sarra Zaafrani Zenzri, s’en est fait l’écho au cours d’un récent Conseil ministériel consacré à cet effet. Elle prit soin d’insister également sur la nécessité de relancer l’économie nationale, sans quoi le budget de l’Etat ne serait pas ce qu’il est. C’est même, dira-t-on, le but ultime de toute architecture budgétaire.
Le budget de l’Etat, qui n’en est pas moins un plan de développement annuel, est l’expression de politiques publiques volontaristes à forte inflexion économique mâtinée de social, à moins que ce soit l’inverse. Ce qui ne manque pas de soulever quelques interrogations : où placer prioritairement le curseur ? Sur les prévisions de croissance, et donc l’exigence économique, ou sur l’impératif social ? Le pari sur une croissance inclusive est beaucoup moins risqué que courir après son ombre. Une chose est sûre : le choix qui en résulte doit être le reflet de la détermination du gouvernement d’aller jusqu’à la limite de notre potentiel de développement. Ce choix est loin d’être une sinécure. Il relève d’un exercice de haute voltige, au regard des contraintes financières, de l’état de santé de l’économie, du climat des affaires intérieur, de l’état d’âme des acteurs économiques et des lignes de fractures géopolitiques, avec leur lot d’incertitudes. Sommes-nous à la veille du crépuscule de l’hyperpuissance et de l’hégémonie américaine qui veut tout changer à son gré pour que rien ne change ? Ou est-ce le réveil de la Chine qui est en passe de détrôner l’Amérique ? Un vrai séisme se profile à l’horizon, dont on n’a pas fini de mesurer les effets.
Il ne suffit pas d’être attentif à ce basculement géo-politico-économique. Il faut pouvoir l’exploiter au mieux de nos intérêts, sachant que les politiques économiques ne sont plus ce qu’elles étaient, désincarnées et désinhibées. Elles doivent intégrer cette nouvelle donne, du reste au contour assez flou. C’est dans ces eaux troubles que se construit le budget. Qui n’est rien d’autre que l’affirmation d’une volonté, d’une vision, d’une ambition nationale, d’un cap et du refus de l’austérité qui ne fait qu’exacerber les crises et les tensions. Le budget de l’Etat est, de manière plus explicite, à la fois l’expression d’objectifs de croissance, de modes de répartition, de projets structurants et de transformations économiques et sociales.
L’ Etat a l’obligation de redistribuer, via – et surtout – l’école, la santé, le transport, le logement, la régulation des marchés, un revenu minimum… Il ne peut distribuer que ce qui est produit, que les richesses nouvellement créées. Il sera mal inspiré de développer une forme d’assistanat sans lendemain, faute de moyens.
L’Etat a l’obligation de redistribuer, via – et surtout – l’école, la santé, le transport, le logement, la régulation des marchés, un revenu minimum… Il ne peut distribuer que ce qui est produit, que les richesses nouvellement créées. Il sera mal inspiré de développer une forme d’assistanat sans lendemain, faute de moyens. Nos intérêts, sachant que les politiques économiques ne sont plus ce qu’elles étaient, désincarnées et désinhibées. Elles doivent intégrer cette nouvelle donne, du reste au contour assez flou. C’est dans ces eaux troubles que se construit le budget. Qui n’est rien d’autre que l’affirmation d’une volonté, d’une vision, d’une ambition nationale, d’un cap et du refus de l’austérité qui ne fait qu’exacerber les crises et les tensions. Le budget de l’Etat est, de manière plus explicite, à la fois l’expression d’objectifs de croissance, de modes de répartition, de projets structurants et de transformations économiques et sociales.
Se pose alors l’épineux problème du financement. Les caisses de l’Etat sont sous d’énormes tensions, alors que le besoin de financement n’a jamais été aussi grand. Ce n’est pas tant le niveau de dépenses qui est en cause que l’usage qui en est fait. Les statistiques nationales sont, à cet égard, très révélatrices. Nous avons battu tous les records de dépenses budgétaires – en pourcentage du PIB – sans aucun effet ou presque sur la croissance, frappée d’un mal endémique. La raison est que l’essentiel de ces dépenses servait à couvrir les frais de fonctionnement d’un Etat boulimique. Les salaires de la fonction publique battent tous les records mondiaux, avec plus de 44% du total. Les dépenses de subventions et le remboursement du service de la dette se partagent quasiment le reste. Certes, les contraintes financières n’y sont pas pour rien, mais elles sont aggravées par une mauvaise affectation des ressources : les investissements productifs et d’avenir sont sacrifiés à l’autel du train de vie de l’Etat et des subventions sans discernement pour la consommation et les entreprises publiques.
Nous avons battu tous les records de dépenses budgétaires – en pourcentage du PIB – sans aucun effet ou presque sur la croissance, frappée d’un mal endémique. La raison est que l’essentiel de ces dépenses servait à couvrir les frais de fonctionnement d’un Etat boulimique. Les salaires de la fonction publique battent tous les records mondiaux, avec plus de 44% du total. Les dépenses de subventions et le remboursement du service de la dette se partagent quasiment le reste.
L’ennui est que le pays, devenu le mouton noir des marchés financiers, a du mal à se faire financer au plan international à des conditions qui ne soient pas onéreuses et dissuasives, sans que rien vienne stopper l’hémorragie des dépenses et l’implacable dérive réduisant à très peu de chose les dépenses d’équipement – à peine 5%. Exit ou presque les investissements d’avenir. Rien de bien consistant qui puisse motiver, stimuler, entraîner et tirer vers le haut toute la chaîne des investissements privés. Il est établi de longue date qu’il n’y a pas mieux que l’investissement public pour amorcer la pompe de l’investissement privé sous toutes ses formes. Ce n’est pas pour rien si le taux d’investissement (rapport au PIB) est tombé sous la barre des 10%. Moins de la moitié de son niveau d’avant la révolution et moins du tiers du taux marocain.
Certes, les contraintes financières n’y sont pas pour rien, mais elles sont aggravées par une mauvaise affectation des ressources : les investissements productifs et d’avenir sont sacrifiés à l’autel du train de vie de l’Etat et des subventions sans discernement pour la consommation et les entreprises publiques. L’ennui est que le pays, devenu le mouton noir des marchés financiers, a du mal à se faire financer au plan international à des conditions qui ne soient pas onéreuses et dissuasives, sans que rien vienne stopper l’hémorragie des dépenses et l’implacable dérive budgétaire.
Nous sommes au plus bas dans l’échelle d’appréciation des agences de notation qui nous ont relégués au rang de pays à haut risque. En butte au FMI, le pays est non seulement sanctionné par les marchés financiers, mais même les pays pompeusement qualifiés de frères et amis s’en détournent. Le marché local – crédit bancaire et emprunt national – ne saurait à lui seul servir de substitut, au risque de compromettre à jamais le financement de l’économie. Faute d’emprunts extérieurs à maturité longue et à des taux soutenables, le pays se livre à une sorte de cavalerie qui n’est pas d’un bon présage. Dans ces conditions, le « compter sur nous-mêmes » tourne au désastre pour le contribuable – personne physique ou morale – soumis à des taux d’imposition confiscatoire, les plus élevés d’Afrique et de la zone méditerranéenne.
Le poids des prélèvements obligatoires a fini par casser les ressorts de la consommation et de l’investissement. Et comme si cela ne suffisait pas, s’y ajoute le coût prohibitif du loyer de l’argent. Il n’en faut pas davantage pour provoquer l’arrêt des principaux moteurs de la croissance, à la grande satisfaction de nos compétiteurs de la région. Le pays est pris dans le tourbillon d’un cercle vicieux dont il a du mal à s’affranchir. La chute des investissements provoque le ralentissement sinon l’arrêt de la croissance, mettant encore plus à mal les ressources de l’Etat. Qui, dans l’urgence et pour éviter que ne s’écroule tout l’édifice, achève d’étrangler le contribuable et sollicite de nouveau les banques de la place, au risque d’aggraver l’effet d’éviction dont pâtit l’économie. Les banques sont dans leur zone de confort en finançant le déficit budgétaire sans risque aucun et à des taux à faire rêver les banquiers de la planète.
Pour les contribuables, ménages et entreprises, c’est la double peine. Ils sont victimes d’un harcèlement fiscal et du loyer de l’argent quand les évadés fiscaux et les nababs de la contrebande cumulent les fortunes en reculant sans cesse les limites de l’économie informelle. Autant de sacrifices sans réelles contreparties, si l’on juge par l’état de délabrement des services publics. Au final, quoi d’autre sinon l’effritement de la classe moyenne, l’agonie et le dépérissement des PME/PMI, jadis fer lance de l’économie nationale ?
L’Etat social, c’est l’aboutissement d’une œuvre collective. A travers l’incarnation d’un Etat doté d’une plus grande sobriété en réduisant les dépenses inutiles et les impôts excessifs, d’acteurs économiques en pleine confiance qui ont foi en l’avenir et de salariés qui doivent se soucier autant de la courbe de productivité des entreprises que de leur fiche de paie.
Qu’adviendra-t-il de l’Etat social dans ces conditions ? Où trouver de nouvelles marges de manœuvre avec un espace budgétaire aussi réduit et d’énormes contraintes financières qui pourraient s’aggraver si la croissance n’est pas de retour ? L’Etat a l’obligation de redistribuer, via – et surtout – l’école, la santé, le transport, le logement, la régulation des marchés, un revenu minimum… Il ne peut distribuer que ce qui est produit, que les richesses nouvellement créées. Il sera mal inspiré de développer une forme d’assistanat sans lendemain, faute de moyens. Il ne pourra pas tirer de la sorte des milliers de personnes de la misère et de la pauvreté. Il risque même de les condamner à terme au dénuement le plus total.
Nous sommes à un moment charnière, un moment de bascule où il faut repenser et réinventer le rôle de l’Etat. A l’ère de l’IA, le pays a besoin d’un Etat-stratège qui conçoit, anticipe, légifère, accompagne, incite, stimule, libère les énergies et la créativité et se projette dans le futur, ouvrant de la sorte de vastes horizons et perspectives. Moins d’Etat et mieux d’Etat là où sa présence n’est pas dictée par des considérations régaliennes ou stratégiques. Au risque de nous répéter, l’Etat doit libérer les initiatives, l’investissement, la croissance et endosser l’habit d’un prestataire de service, coresponsable du développement des entreprises, des plus petites aux plus grandes. Le moment est venu – cela doit être porté au crédit du budget de l’Etat 2026 – de faire tomber le mur de la bureaucratie d’Etat à travers la généralisation de la digitalisation, comme ont réussi à le faire les pays aujourd’hui en émergence rapide.
La mondialisation a mis à mal l’Etat-providence, qui a su s’adapter sans disparaitre pour autant et sans freiner l’essor et les nécessaires transformations économiques et sociales. L’Etat social, épine dorsale du projet présidentiel, doit emprunter les mêmes voies de l’efficacité et de la rationalité. Sans investissements à forte valeur ajoutée, sans croissance portée à son plus haut niveau, il n’y aura pas suffisamment de création de richesses, d’emplois et de revenus pour mettre en place les jalons d’un Etat social, qui n’est pas sans coût (il a un prix des plus élevés). La cohésion sociale, l’apaisement politique et social, le consentement à défaut de consensus n’en sont pas les moindres.
L’Etat social, c’est l’aboutissement d’une œuvre collective. A travers l’incarnation d’un Etat doté d’une plus grande sobriété en réduisant les dépenses inutiles et les impôts excessifs, d’acteurs économiques en pleine confiance qui ont foi en l’avenir et de salariés qui doivent se soucier autant de la courbe de productivité des entreprises que de leur fiche de paie. Sans quoi, on privera d’espoir et d’espérance les sans-emplois, les jeunes d’aujourd’hui et de demain et les plus pauvres parmi les pauvres, laissés depuis longtemps sur le bas-côté de la route. Vaste programme pour le budget 2026 !
Cet éditorial figure dans le numéro 927 de l’Économiste Maghrébin, paru du 10 au 24 septembre 2025 et disponible actuellement en kiosque.
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