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Lettre à Boualem Sansal │ Le marathon des mots

07. Juni 2025 um 09:07

Les Editions Asmodée Edern (Bruxelles) ont publié en mai, ‘‘Amorces de récit en soutien à Boualem Sansal’’, ouvrage qui regroupe les textes de 40 auteurs, réunis par Liliane Schraûwen, Pen club de Belgique. Voici la lettre que Tahar Bekri adresse à l’auteur et qui figure dans l’ouvrage.

Tahar Bekri

Cher Boualem,

La prison, les barreaux de la cellule, je connais,

La privation de la liberté, je connais, mais je sais aussi que j’ai demandé qu’on m’apportât en prison, ‘‘Les Chemins de la liberté’’ [roman de Jean-Paul Sartre, Ndlr] à relire,

Je sais ce que tu peux endurer !

On peut empêcher ton corps frêle et fragile de respirer l’air libre mais pas tes mots, ils sont dehors, ils volent de leurs propres ailes.

Ta place n’est pas là, mais derrière ta plume, vigilante, exigeante, au regard critique, ciselée, percutante, aiguisée comme un scalpel. 

Tu te souviens, j’avais écrit un article sur l’un de tes premiers romans ‘‘Harraga’’, ces «brûleurs» des mers, cherchant fortune, au prix de leur naufrage.

Puis il y a eu Toulouse et Le marathon des mots, les mots du «printemps arabe», qui tentaient d’éclore, les mots des cris des peuples contre leurs oppresseurs, les mots qui chantaient leur douleur, chargée de toute la peine du monde,

Je te retrouvais, ensuite chez moi, en Tunisie, sous l’acropole, à Carthage, où nous étions invités au Marathon des mots, tu intervenais à un débat, je faisais une lecture de poésie à laquelle tu voulais assister, tu t’es excusé, avec ta courtoisie amicale, car on t’a happé pour un autre rendez-vous, sache qu’en ton absence, les mots du poème «Epopée du thym de Palestine» furent emportés par l’écho de la cathédrale/acropole jusqu’au tombeau de Mahmoud Darwich.

Mais tu le sais, dans ce cas, nous sommes les marcheurs dans le désert, le sable couvre souvent nos mots,

Je te retrouvais le soir au Collège de philosophie, pour dîner chez notre amie Hélé Beji, si généreuse, il y avait là mes amis, le romancier égyptien, Jamel Ghitani et mon compatriote, le poète Sghaïer Ouled Ahmed que je n’ai pas vu depuis des années, paix à leur âme.

Nos échangions des mots fraternels, ces réunions de détente, sont devenues dans nos régions, de plus en plus rares, un luxe par les temps qui courent.

Nous les arrachons aux parcours sinueux et tortueux de l’écriture, car nous ne sommes jamais sûrs sous nos cieux, qu’ils ne soient emportés par les torrents comme du bois mort.  

Dans le hall de l’hôtel, avec ta valise prête, tu étais sur le point du départ, nous avions un peu de temps pour nous dire au revoir et échanger quelques mots, entre espoir et désenchantement, hélas, ceux qui «détournent le fleuve» sont plus nombreux que ceux qui irriguent la terre. 

Tu attendais un éditeur tunisien, à la hâte, pour une traduction arabe de l’un de tes romans, mais je ne sais si cela a été fait.

Tu le sais, peut-être, les Tunisiens ont depuis les années soixante-dix créé une collection «Le retour du texte» et traduit les auteurs algériens de langue française, afin que leurs mots soient compris par les arabophones, 

Ceux-là ne sont pas les islamistes extrémistes que tu condamnes, à juste titre, et qui ont causé tant de malheurs, lors de la décennie noire.

Les arabophones modernistes, de progrès, démocrates, existent.

Les musulmans tolérants, qui pratiquent leur foi, sans déranger personne, existent.

La laïcité m’a appris le respect de tous, quelle que soit la croyance de chacun.   

J’étais heureux de te revoir chez moi, l’Algérie a occupé tant d’années et de place dans ma vie, ses littératures dans ses différentes langues obligent.

L’idée de Maghreb m’a toujours paru si naturelle, une réalité évidente, pour des raisons historiques et géographiques.

Aussi, te lire, lire les auteurs algériens de langue arabe ou française, est-il pour moi comme un devoir, il nous faut réunir nos peuples dans leurs luttes pour leur liberté, leur progrès, oui, les Lumières méritent tous nos engagements et je souscris à tes craintes.  

Pour dissiper l’obscurantisme, il nous faut saisir et maîtriser la clarté,          

Cher Boualem,

En Algérie, les mots ont tué, je ne t’apprends rien, Tahar Djaout, Youcef Sebti, Abdelkader Alloula, Lounès Matoub, auteurs francophones, arabophones et berbérophones.

Si tu le permets, ce n’est ni la langue ni la religion qui les a tués, mais l’intransigeance suprême dans la course aux cimes du pouvoir, érigée en objectif sacré, juste comme échelle pour cueillir le fruit. Au nom du religieux, qui n’a rien de tel, on brandit des étendards noirs et verts, et on est à l’abri des crimes,

Je te retrouvais à Paris à l’Ambassade de Tunisie, où l’on remettait des insignes et des décorations à des Juifs amis, le pays reconnaissant. Le nouveau Chef d’Etat, était un ancien ministre et ambassadeur du Président Bourguiba,

Les années nous ont séparés, mes ennuis de santé, mon absence, presque, de la vie publique, j’ai continué à te lire, à suivre tes propos et autres déclarations sur les médias et les réseaux sociaux,

Je suis surpris, je te l’avoue, par tes prises de position, sans nuances, limitée à la seule critique de Hamas, et qui considèrent tous les Palestiniens de la sorte, comme s’ils étaient coupables des malheurs et de la tragédie de l’Histoire.

Tes mots sur le territoire national laissent perplexe.

Sur la religion musulmane dont il faut se débarrasser, dis-tu, est-ce ainsi qu’on peut aider à la paix, la paix entre les Humains?

Cher Boualem,

Tout comme les écrivains algériens qui ont chanté leur terre, les écrivains palestiniens n’ont jamais fait défaut à la leur; Fatwa Toucan, Mahmoud Darwich, Emile Habibi, Sahar Khalifa, Samih al-Qassim, Tawfik Zyad, Jabra Ibrahim Jabra, Salma Al-Jayussi, Ghassan Zaqtan, Ibrahim Nasrallah, Liana Badr, Elias Sanbar, Zakariya Mohamed, Bassem Al-Nabreece, Nathalie Handal, Deema Shehabi, etc., toutes générations confondues, ont-ils jamais existé, que faut-il en faire?

Cher Boualem,

Je ne suis pas d’accord avec tes derniers propos, parce qu’ils ne peuvent faire de la souffrance humaine une affaire sélective, de la mémoire des uns un effacement de la mémoire des autres, ou alors je me trompe.

De toutes mes forces, j’appelle à ta liberté, car tes mots ont le droit absolu d’exprimer ce que tu penses et ce que tu écris.  

C’est au lecteur de les juger, non à la police !

(Remerciements à l’éditeur).

« Amorces de récits en soutien à Boualem Sansal », ouvrage dirigé par Liliane Schraûwen, Pen Club de Belgique, Ed. Asmodée Edern, 2025. 204 p. 22 Euros.

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