Etats-Unis, les droits de douane et après…
Chose promise, chose due. Donald Trump a mis ses menaces à exécution en décrétant des droits de douane, applicables dès cette semaine, sur l’ensemble des exportations vers les Etats-Unis, à des niveaux différents selon les pays d’origine.
Si cette décision est conforme à la politique protectionniste prônée par l’administration Trump, dont l’objectif est de lutter contre les déficits commerciaux des Etats-Unis avec ses principaux partenaires, elle peut surprendre par sa généralisation à l’ensemble du monde ou presque. L’analyse de cette décision permet de faire ressortir un certain nombre de critères qui ont conduit à la détermination des taux qui seront désormais appliqués aux produits des différents pays, qui sont à mon avis au nombre de trois :
• Le niveau du déficit commercial enregistré par les Etats-Unis avec le pays considéré.
• Les droits de douane appliqués par le pays partenaire sur les produits américains à l’importation.
• L’existence dans les pays partenaires d’industries étrangères, essentiellement européennes et chinoises, permettant
de contourner les droits de douane applicables à l’Union européenne et à la Chine.
C’est ainsi que l’on retrouve en tête de liste et sans surprise, la Chine et l’Union européenne, principales cibles dans cette guerre des droits de douane, avec lesquelles les Etats-Unis enregistrent les déficits commerciaux les plus importants. Viennent ensuite une série de pays asiatiques, dont le Vietnam, qui a accueilli de nombreux investissements chinois au cours des dix dernières années, servant à contourner les droits de douane décidés par Donald Trump, lors de son premier mandat, aux produits chinois. Cette décision appelle des ripostes des principales économies du monde, ce qui va entraîner l’économie mondiale dans une spirale inflationniste, avec un fort ralentissement des échanges commerciaux dans le monde, du fait d’une réduction de la demande et de la perturbation des chaines d’approvisionnement mon-
diales. Les pays européens ont d’ores et déjà commencé à revoir à la baisse leurs prévisions de croissance pour l’année en cours, ce qui laisse planer le spectre de la stagflation, sur l’économie européenne en particulier.
Certes, un ralentissement de l’économie mondiale conduirait à une baisse de la demande et donc du prix du baril, déjà passé sous la barre des 65$ depuis l’annonce, mais est-ce que cela sera suffisant pour compenser l’inflation sur les autres produits et intrants ? C’est loin d’être sûr. Mais cette spirale inflationniste, voire stag-flationniste, va aussi concerner les Etats-Unis, et le citoyen américain va être
le premier à être touché par ces décisions, qui vont conduire à une augmentation des prix sur le marché américain. Ensuite, les entreprises américaines elles-mêmes vont faire face à une augmentation des prix des matières premières, et donc enregistrer une baisse de leur compétitivité sur les marchés, européens en particulier. Les Etats-Unis exportent pour plus de 300 milliards d’euros vers l’Union européenne (données 2024 Eurostat), soit 1,25% du PIB américain. Jérôme Powell, le président de la FED, ne s’y est pas trompé,
déclarant dès vendredi 4 avril que cette décision allait « probablement augmenter l’inflation », avec le risque d’accroître le chômage et de ralentir la croissance aux Etats-Unis. Ajoutant, en réponse à la demande de Donald Trump de baisser les taux d’intérêt, qu’il était « trop tôt pour dire quelle est la politique monétaire appropriée ».
La position américaine est-elle tenable, politiquement et économiquement ? On peut raisonnablement penser que cela n’est pas le cas à moyen terme, et que Donald Trump cherche à amener ses principaux partenaires commerciaux à négocier, en vue d’obtenir des accords favorables à l’économie américaine. Face aux réactions des autres pays, mais aussi des Américains, Donald Trump a déclaré sur les ré-
seaux sociaux : « TENEZ BON, cela ne sera pas facile, mais le résultat final sera historique », laissant ainsi entendre qu’on est au début d’un processus et non d’une fin.
Dans le même temps, Elon Musk, probablement parmi les mieux informés de la stratégie de Donald Trump, a déclaré samedi 5 avril, que les Etats-Unis et l’Europe devraient idéalement évoluer vers une situation de droits de douane nuls, créant ainsi une zone de libre échange entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Le président américain assume donc le risque que ces taxes douanières font peser sur l’économie américaine, tout en considérant qu’il s’agit là d’une arme qui devrait permettre de réindustrialiser le pays et de réduire le chômage et le déficit commercial des Etats-Unis. Ce qui laisse entendre que Donald Trump ne cherche pas à mettre fi n à la mondialisation, mais plutôt à créer un nouvel équilibre plus favorable à Washington. Cet objectif est à la portée de Donald Trump, si l’on se fi e à la réaction mesurée de certains pays, qui prônent la négociation et la désescalade (Japon, Irlande, Allemagne, Vietnam…), consacrant l’adage que « la loi du plus fort est toujours la meilleure ».
Mais dans l’intervalle, et comme toujours malheureusement, cette guerre économique va affecter les économies les plus fragiles et en particulier les économies en développement, qui font face à un essoufflement des investissements directs étrangers, à une augmentation de la dette et à une baisse de la croissance. Le spectre de la stagflation fait peser aujourd’hui un risque supplémentaire sur la croissance et
l’investissement et sur les équilibres macroéconomiques. Outre l’impact direct de l’augmentation des droits de douane sur les produits tunisiens et donc sur notre compétitivité sur le marché américain, l’économie tunisienne va être prise en tenaille, entre la baisse de la demande en Europe, principal client, et l’augmentation des coûts de production en Chine, principal fournisseur. La seule marge de manœuvre reste d’engager les réformes nécessaires à la relance économique (gouvernance, fiscalité, investissement, transition énergétique…), non seulement pour être capable de faire face aux bouleversements mondiaux à venir, mais aussi pour être à même de tirer profit du nouvel ordre économique mondial qui se dessine
Article de Walid Belhaj Amor, expert en développement économique
Cet article disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 917 du 9 au 23 avril 2025
L’article Etats-Unis, les droits de douane et après… est apparu en premier sur Leconomiste Maghrebin.