À l’occasion de la Journée mondiale sans tabac, une table ronde organisée par la plateforme médicale med.tn et animée par le journaliste Malek Aouni a réuni des experts pour évaluer les stratégies de lutte contre le tabagisme en Tunisie. Les intervenants, le cardiologue Dr. Dhaker Lahidheb et le psychologue Dr. Anas Laouini, ont dressé un constat sévère : malgré les efforts, le pays régresse dans ce combat de santé publique.
Avec près d’un homme adulte sur deux fumeur (49,8 %), la Tunisie affiche l’un des taux de tabagisme les plus élevés d’Afrique et de la région Méditerranée orientale, selon l’OMS. Chez les jeunes, la situation est critique : 14 % des 15-17 ans fument régulièrement, et l’âge d’initiation peut descendre jusqu’à 7 ans. Les cigarettes électroniques gagnent du terrain chez les mineurs, avec plus de 17 % d’utilisateurs en 2023.
Si la prévalence globale stagne chez les hommes adultes, elle augmente chez les 20-24 ans (49,9 % en 2023 contre 44 % en 2018) et les 35-39 ans (58,9 % contre 47,5 %). Le tabagisme reste majoritairement urbain, et le taux de mortalité prématurée lié au tabac a bondi de 20 % depuis 2010.
Pourquoi la Tunisie échoue-t-elle ?
Les experts pointent plusieurs échecs : non-application des lois (interdiction de fumer dans les cafés, écoles et hôpitaux), campagnes de sensibilisation inefficaces et prohibitionnistes, et normalisation du tabac via les séries télé et réseaux sociaux. « Les campagnes actuelles manquent d’empathie et ne proposent pas d’alternatives », déplore le Dr. Laouini, qui regrette les tournées éducatives des années 2000, aujourd’hui disparues.
Une addiction multidimensionnelle
Le tabagisme n’est pas qu’une habitude, mais une dépendance complexe, mêlant aspects comportementaux, cognitifs et émotionnels. Les thérapies cognitives et comportementales (TCC) offrent des résultats durables, mais 70 % des rechutes sont liées à des déclencheurs sociaux (cafés, fêtes).
Les jeunes, cible vulnérable
Un adolescent sur trois fume par imitation, séduit par des arômes fruités ou l’image de maturité associée à la cigarette. Les filles fument désormais autant que les garçons dans certains groupes, avec des risques spécifiques (infertilité, cancers). « Parents, enseignants et influenceurs ont une responsabilité dans cette normalisation », insiste le Dr. Laouini.
Tabac chauffé et cigarette électronique : un débat clivant
Le Dr. Lahidheb défend ces alternatives comme outils de réduction des risques : « Elles diminuent de 90 % les substances toxiques et aident les fumeurs dépendants. » Il cite l’exemple du Royaume-Uni et de la Nouvelle-Zélande, où la vape est intégrée dans les programmes de sevrage.
Le Dr. Laouini met en garde : « Ces produits ne doivent pas devenir une porte d’entrée pour les jeunes. » Un consensus émerge : ces alternatives doivent être réservées aux fumeurs adultes, dans un cadre médicalisé.
Vers une stratégie nationale intégrée
Les experts appellent à une approche globale : prévention précoce, messages clairs, alternatives encadrées et mobilisation des médias, enseignants et influenceurs. « Le tabagisme est un enjeu de santé publique, pas un vice individuel », concluent-ils. La Tunisie doit agir vite : sans politique courageuse, la chaîne du tabac ne sera pas brisée.
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