Blocages administratifs : Qui tire les ficelles ?
Il n’est pas facile de classer les agents de la fonction publique. L’évaluation de leur rendement ou de leur compétence n’obéit pas à des critères objectifs et pratiques. Elle relève, tout simplement, d’un jugement personnel de la hiérarchie ou de réglementations propres à la profession.
La Presse — Au premier abord, le Tunisien a une très mauvaise opinion des prestations administratives et des employés qui sont derrière. Mais force est de constater qu’il y a du bon et du moins bon (ou du mauvais et du moins mauvais selon qu’on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide).
Mais, malheureusement, le bon est noyé dans un océan de médiocrité.
“Reviens demain”: marque déposée
Ce qui fait que nous voyons les autorités prendre à bras-le-corps cette question de la réforme de l’administration. Et ce n’est pas une mince affaire. Tant s’en faut.
Malgré toutes les tentatives pour moderniser cette énorme machine, les réticences sont là et les vieux réflexes aussi.
Qui, parmi nous, ne connaît pas la célèbre manie de notre administration ?
Quel administré n’a pas entendu cette célèbre phrase “reviens demain” (arjaa ghodwa).
Cette formule magique (qui permet à nos ronds-de-cuir de procrastiner à l’infini et de se jouer des citoyens, sans crainte d’être réprimandés par n’importe quelle autorité) a encore de beaux jours devant elle. Et dire qu’on avait cru, l’espace d’un temps, que cette habitude allait disparaître. Il n’en fut rien. Elle est toujours là, bien ancrée dans les traditions des employés. Elle coule dans leurs veines.
Jadis, ces attitudes faisaient partie de notre quotidien et chacun composait avec comme il le pouvait.
Mais, maintenant, on est en droit de s’interroger. Doit-on se taire face à ce genre d’agents ? Doit-on laisser faire sans réagir ? Et, où sont les responsables ?
D’ailleurs, on ne comprend pas comment, dans un dispensaire de quartier, les soignants renvoient au lendemain un(e) patient(e) alors que dans le local il n’y a presque pas d’autres malades ? Ces derniers désertent ces lieux parce qu’ils n’y trouvent pas les soins attendus. Ni médicaments ni analyses médicales ni rien. Ils sont rabroués et ne trouvent même pas de responsable à qui se plaindre. Si tant est qu’il existe, encore, des responsables qui soient capables de se faire obéir par leurs subordonnés. C’est malheureux de le dire. Mais force est de se rendre à cette amère évidence.
Pourtant, les consignes, au plus haut niveau de l’État, sont on ne peut plus claires : le responsable qui n’assume pas sa mission n’a pas de place dans les institutions étatiques. Le Chef de l’État, lui-même, ne cesse de dénoncer ces agissements et d’accuser leurs auteurs de mettre des bâtons dans les roues et de bloquer tous les rouages du travail administratif. Ces agents sont les “tortionnaires du peuple” On n’ est pas loin du terme employé par le Chef de l’État en personne.
Démarches labyrinthiques
Des exemples de ces blocages abondent. C’est, aussi, le cas de telle ou telle administration qui vous renvoie plusieurs fois pour n’importe quel motif aussi futile soit-il : un document qui manque, une erreur insoupçonnée et on en passe.
Ainsi, le simple citoyen qui emprunte les voies légales doit faire des allers et retours pendant plusieurs jours pour accomplir une simple formalité qui n’exigerait, en fin de compte, qu’une demi journée ou, tout au plus, deux matinées.
Car, comment expliquer que la moindre démarche se transforme en un véritable calvaire pour l’administré ? Comment expliquer qu’on vous demande une autorisation de bâtir et une autre autorisation de la municipalité ainsi que divers autres papiers rien que parce que vous voulez faire installer un deuxième compteur Steg ou Sonede ? Que dire, aussi, du jeu de ping-pong auquel se livrent les services douaniers lorsque le Guichet unique renvoie vers les services La Fayette qui, de leur côté, assurent que telle ou telle prestation ne relève pas de leurs compétences et qu’il faut revenir au Guichet unique ? Quel tort l’administré a-t-il dans cet incompréhensible manège ?
Le tableau peut paraître sombre aux yeux de certains. Toutefois, c’est ce que vit la majorité de nos concitoyens malgré la bonne volonté politique de faciliter et de simplifier les démarches administratives.
Des récalcitrants et autres entêtés sont, toujours, là pour freiner tout effort visant à faciliter les formalités. Ces mêmes entêtés oublient qu’ils peuvent, eux-mêmes, être victimes des mêmes pratiques par d’autres “collègues” au cas où ils auraient à affronter le calvaire administratif.
Alors, comment identifier ces parias et séparer le bon grain de l’ivraie ?
Est-il possible de tenter une expérience visant à attribuer une note aux agents par l’administré ?
Certes, on ne peut que reconnaître qu’il y a des blocages à tous les niveaux et, que derrière, il y a des forces qui font tout pour freiner le moindre effort de modernisation.
Tout a l’air; bizarrement, fait pour ouvrir la voie à des pratiques illégales . Le citoyen épuisé par les démarches labyrinthiques et se désespérant des voies légales se trouve acculé à emprunter des circuits dévoyés. C’est, justement, ce que cherche cette catégorie d’employés qui empoisonne la vie des gens.
Pourquoi ne pas trouver un mécanisme capable d’évaluer un prestataire de services par le soi-disant bénéficiaire de ces services ?
On sait qu’il y a un véritable arsenal de circulaires pour motiver les personnels. Mais, il faut remarquer que les dispositions existantes sont devenues de simples formalités. Tout le monde obtient sa note administrative, sa prime de rendement, sa note pédagogique et d’autres primes sans coup férir. Ce système traite, quasiment, tout le monde de la même manière. Aussi n’y a-t-il aucune velléité d’initiative. À quoi bon si les décisions et les traitements sont les mêmes pour tous ?
Le jugement du public
Alors, laissons le public juger à travers un dispositif à créer en mettant à contribution les nouvelles technologies.
À ce propos, nous proposons d’effectuer des sondages dont pourraient se charger l’Ins (Institut national de la statistique) ou tout autre organisme compétent.
L’administré donnerait, alors, son avis sur le niveau des services.
On pourrait, aussi, attribuer des codes ou des matricules aux agents de façon à ce que le demandeur de service sache à qui il a affaire. D’un autre côté, l’administration aura la capacité d’identifier l’agent sur lequel le citoyen a attiré l’attention ou à qui il a attribué une note pour la qualité de l’accueil et des services.
Que, désormais, le travail se fasse dans la transparence et que l’on dévoile, une bonne fois pour toutes, ces saboteurs.