L’image du Festival de Carthage ternie par l’«affaire Ségara»
Hélène Ségara était officiellement annoncée dans le programme de la 59e édition du Festival international de Carthage (FIC), avant que la direction de cette manifestation ne se rétracte et n’annonce, dans un communiqué publié mercredi 9 juillet 2025, avoir retiré la chanteuse française de sa programmation, sans donner la moindre explication à cette décision. On sait cependant que cette annonce fait suite à une campagne sur le web dénonçant les positions de Mme Ségara favorables à l’Etat d’Israël.
Imed Bahri
La polémique à ce sujet a tellement enflé que le président de la république Kaïs Saïed a cru devoir convoquer (et c’est le cas de le dire), hier, au Palais de Carthage, la ministre des Affaires culturelles, Amina Srarfi, pour lui rappeler que «les festivals tunisiens, à l’instar de ceux de Carthage, de Hammamet et de Tabarka sont reconnus à l’échelle mondiale comme espaces de créativité et de défense des causes de la liberté et de la libération» et qu’ils «doivent être ouverts à ceux qui portent une pensée libre et ne doivent pas accueillir ceux dont la seule motivation est de gagner de l’argent, sans égard pour les valeurs humaines».
«Tous ces festivals doivent s’inscrire dans le contexte de la lutte pour la libération que mène actuellement la Tunisie, et dans le cadre des positions de principe de l’État tunisien, qui émanent de la volonté libre du peuple tunisien», lit-on dans un communiqué de la présidence de la République. «Chaque manifestation culturelle ou artistique doit s’inscrire dans la défense des causes de la liberté et de la libération, non seulement en Tunisie, mais dans le monde entier», a souligné Saïed. Et de trancher : «Il n’y a pas de place dans ces festivals pour ceux qui ne partagent pas ces positions fondamentales».
Saïed n’a certes pas nommément cité la cause palestinienne mais l’allusion y est limpide.

Cependant, l’affaire serait restée tuniso-tunisienne si la chanteuse française n’a pas réagi à la «déprogrammation» de son concert en faisant savoir, dans une déclaration à l’AFP, qu’elle n’a signé aucun contrat avec la direction du FIC pour se produire cet été sur la scène de l’amphithéâtre romain de Carthage, ce qui a ajouté du piment à cette affaire.
Quoi qu’il en soit, que ce contrat existe ou pas, la direction du FIC a, dans cette affaire, fait preuve de légèreté et d’amateurisme, ajoutant le ridicule au pathétique. D’autant plus que le tropisme israélien de Mme Ségara est un secret de polichinelle et que, dans une volonté d’autojustification, et sans que personne ne le lui ait demandé, cette direction s’est fendue d’un communiqué où elle rappelle, au cas où on en aurait douté, «l’engagement constant de la Tunisie en faveur du peuple palestinien pour la restitution de l’ensemble de ses droits et l’établissement de son État indépendant avec pour capitale Al-Qods».
Une déshonorante reculade
Dans ce même contexte, la direction du FIC a affirmé aussi avoir «veillé à ce que cette édition comprenne des spectacles en soutien à la Palestine et à son peuple en hommage à leur résistance, à leur résilience et en défense de leur droit à la vie et à la liberté.» Et d’énumérer les spectacles où la cause palestinienne est évoquée d’une manière ou d’une autre. Avant de conclure par l’expression de «sa reconnaissance envers son fidèle public pour son engagement en faveur de la cause palestinienne et son rejet de toute forme de normalisation ce qui fait de la Tunisie et de son peuple une fierté parmi les nations.»
Cette reculade, qui déshonore la direction du FIC et jette le discrédit sur les autorités culturelles du pays dans leur ensemble, apporte la preuve du gabegie qui règne dans certains cercles de décision où l’improvisation tient souvent lieu de méthode de gouvernance et dont cette «affaire Ségara» est la parfaite illustration. Car si aucun contrat n’a été signé avec cette dame, on est en droit de nous demander avec quelle autre partie la direction du FIC a pris langue pour la faire venir à Carthage. Son imprésario, ou sa société de production ou encore quelque intermédiaire louche dont les coulisses de la culture pullulent ?
Un grave problème de crédibilité
Un grand opérateur du secteur, producteur de spectacles au long cours, qui a souvent contribué à la programmation des artistes occidentaux dans les festivals tunisiens, Mourad Mathari en l’occurrence, s’est exprimé sur cette affaire dans un poste Facebook où il ne se montre pas tendre avec les autorités culturelles tunisiennes qu’il connaît très bien pour les avoir côtoyées de près au cours des quatre dernières décennies. Il nous apprend d’ailleurs que «ce n’est malheureusement pas la première fois que des artistes sont annoncés publiquement dans une programmation, sans avoir été dûment informés, ni même contractualisés pour les concerts en question.»
«Cette pratique, bien que répandue dans certains contextes, soulève de graves problèmes de crédibilité, de transparence et de respect professionnel. Elle expose les organisateurs, les institutions partenaires et le pays lui-même à des malentendus sérieux avec les artistes et leurs représentants — sans parler des conséquences diplomatiques et juridiques potentielles», écrit Mathari. Et d’ajouter : «Un festival digne de ce nom ne peut exister sans le consentement explicite, l’accord formel et la confiance des artistes qu’il met en avant. Il est donc essentiel que les pratiques évoluent vers plus de rigueur et d’éthique, pour garantir la fiabilité des engagements pris et préserver l’image de la scène culturelle tunisienne à l’échelle internationale.»
A bon entendeur salut !
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