Une fuite relayĂ©e par le New York Times et confirmĂ©e par plusieurs sources secoue les milieux diplomatiques et militaires : prĂšs de 408,6 kg dâuranium enrichi Ă 60 % auraient Ă©chappĂ© aux frappes amĂ©ricaines menĂ©es dans la nuit du 21 au 22 juin contre des installations iraniennes. Cette matiĂšre fissile, proche du seuil militaire, pourrait suffire Ă produire jusquâĂ 9 bombes nuclĂ©aires.
Par Mahjoub Lotfi Belhedi *
La piste dâune fuite fiable gagne de crĂ©dibilitĂ©
Washington a reconnu ignorer lâemplacement exact de ce stock stratĂ©gique. Lâinformation est jugĂ©e plausible par les experts du renseignement : lâIran dispose dâun rĂ©seau dâinstallations souterraines, mobiles ou clandestines, difficilement repĂ©rables mĂȘme par les frappes de haute prĂ©cision.
Le facteur centrifugeuse : maĂźtrise technologique iranienne
LâIran a acquis une indĂ©pendance industrielle dans le domaine de lâenrichissement : ses centrifugeuses IR-1, IR-2m et IR-6 sont conçues localement, avec des piĂšces issues dâun rĂ©seau dâusines sidĂ©rurgiques avancĂ©es. Cette autonomie technologique est la clĂ© : mĂȘme sous sanctions, TĂ©hĂ©ran peut maintenir voire accĂ©lĂ©rer son programme.
Du 60 % au 90 % : quelques jours suffisent
Les experts en sciences atomiques sâaccordent sur un point crucial : le passage de lâuranium enrichi Ă 60 % au grade militaire (90 %) peut prendre quelques jours Ă quelques semaines, selon le nombre de centrifugeuses mobilisĂ©es. Le vrai dĂ©fi rĂ©side ensuite dans la conversion en mĂ©tal dâuranium et lâassemblage dâune ogive nuclĂ©aire, ce qui pourrait prendre entre 2 Ă 6 mois⊠ou plutĂŽt moins, si des recherches ont Ă©tĂ© menĂ©es en parallĂšle.
Des bombes, oui â mais des vecteurs aussi
Avoir la bombe ne suffit pas. Il faut pouvoir la lancer. Or lâIran possĂšde dĂ©jĂ des missiles balistiques (jusquâĂ 3 000 km) et dĂ©veloppe des drones militaires avancĂ©s. Certains experts estiment que la miniaturisation nĂ©cessaire pour monter une petite charge nuclĂ©aire sur ces vecteurs est Ă portĂ©e de ses ingĂ©nieurs.
Lâombre de Medvedev
La dĂ©claration rĂ©cente de Dmitri Medvedev â Ă peine voilĂ©e par les organes de veille stratĂ©gique au monde, excluant toute livraison de tĂȘtes nuclĂ©aires russes Ă lâIran â pourrait ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme un aveu implicite : si TĂ©hĂ©ran nâa pas besoin dâaide, câest peut-ĂȘtre quâil est dĂ©jĂ prĂȘt. La Russie, tout en affichant sa non-implication, semble reconnaĂźtre la maturitĂ© nuclĂ©aire du programme iranien.
LâaprĂšs-bombe : le sĂ©isme gĂ©opolitique
Un Iran dotĂ© de lâarme nuclĂ©aire ne se contenterait pas dâun simple rĂŽle dissuasif. Une telle Ă©volution bouleverserait profondĂ©ment lâĂ©quilibre stratĂ©gique du Proche-Orient.
Ce serait la fin dâune Ăšre : celle de la suprĂ©matie nuclĂ©aire absolue dâIsraĂ«l au Moyen-Orient. Depuis plusieurs dĂ©cennies, lâĂtat sioniste reste la seule puissance nuclĂ©aire non dĂ©clarĂ©e de la rĂ©gion, bĂ©nĂ©ficiant ainsi dâun avantage stratĂ©gique dĂ©cisif. LâĂ©mergence dâun Iran nuclĂ©aire remettrait radicalement en question cet Ă©quilibre.
Face Ă cette nouvelle donne, des puissances rĂ©gionales comme lâArabie saoudite, la Turquie ou lâĂgypte pourraient ĂȘtre tentĂ©es dâentrer Ă leur tour dans la course Ă lâatome. Une prolifĂ©ration en chaĂźne deviendrait alors plausibleâŠ
Les Ătats-Unis, traditionnellement garants de la sĂ©curitĂ© de leurs alliĂ©s dans la rĂ©gion, seraient contraints de revoir leur posture stratĂ©gique. Leur capacitĂ© Ă imposer des lignes rouges, Ă prĂ©venir lâescalade et Ă maintenir la dissuasion serait mise Ă lâĂ©preuve. Washington devrait composer avec une nouvelle rĂ©alitĂ© multipolaire, dans laquelle ses marges de manĆuvre seraient rĂ©duites.
Le TNP (TraitĂ© de non-prolifĂ©ration nuclĂ©aire), pilier du rĂ©gime international de non-prolifĂ©ration, subirait un coup dur. DĂ©jĂ affaibli, il verrait sa crĂ©dibilitĂ© encore davantage entamĂ©e. LâincapacitĂ© Ă empĂȘcher lâIran de se doter de lâarme atomique pourrait sonner le glas dâun ordre nuclĂ©aire basĂ© sur la limitation de lâaccĂšs Ă lâarme suprĂȘme.
Une porte désormais entrouverte
Les 408,6 kg dâuranium enrichi Ă 60 % ne sont pas quâun chiffre, une donnĂ©e technique ou un simple seuil critique : ils incarnent une bascule historique. Ce stock place lâIran dangereusement prĂšs de la capacitĂ© Ă produire de lâuranium enrichi Ă 90 %, qualitĂ© militaire, en un laps de temps rĂ©duit. Il ne manque quâune dĂ©cision politique pour franchir le pas.
DerriĂšre ce chiffre se cache une transformation silencieuse mais lourde de consĂ©quences : celle dâun monde oĂč les rĂšgles du jeu nuclĂ©aire ne seraient plus dictĂ©es uniquement par les grandes puissances Ă©tablies. Une porte sâentrouvre sur une Ăšre dâaccentuation des incertitudes stratĂ©giques, marquĂ©e par la remise en cause des tabous nuclĂ©aires, la tentation de la prolifĂ©ration rĂ©gionale dâoĂč lâarme nuclĂ©aire pourrait cesser dâĂȘtre un privilĂšge dâĂtats puissants pour devenir un instrument de pouvoir revendiquĂ© par tout rĂ©gime en quĂȘte de statut ou de sĂ©curitĂ©.
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*Chercheur en rĂ©flexion stratĂ©gique & digitale // Data scientist & aiguilleur dâIA
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