Alors que le paysage financier mondial se redessine à coups de technologies émergentes, les banques tunisiennes vinent, elles aussi, leur propre révolution discrète. Dans les coulisses du secteur bancaire, un rééquilibrage s’opère entre les instruments de paiement historiques et les nouvelles solutions digitales. C’est ce que révèle Mohamed Nakhili, professeur en droit bancaire, qui dresse le portrait d’un système en pleine mutation, oscillant entre résurgence des lettres de change et montée en puissance des moyens de paiement électroniques.
Ce qui semblait relégué au passé fait aujourd’hui un retour remarqué : la lettre de change, cet instrument classique de crédit à paiement différé, regagne du terrain. Invité récemment sur les ondes d’Express FM, Mohamed Nakhili a dévoilé une statistique révélatrice : les lettres de change ont connu une hausse de 3,6 % en un an, avec près de 15 000 documents quotidiens, principalement entre entreprises.
Cette résurgence ne relève pas d’un simple attachement à la tradition. Elle découle, selon l’expert, d’un durcissement législatif encadrant les chèques, désormais limités dans leur usage et interdits comme garanties. Confrontées à ces nouvelles contraintes, de nombreuses entreprises ont redécouvert les vertus pratiques de la lettre de change, notamment pour gérer des paiements différés ou échelonnés. Plus qu’un simple outil, elle devient un levier de souplesse dans un contexte économique tendu.
Une mécanique juridique qui rassure les créanciers
Au-delà de son rôle dans les transactions commerciales, la lettre de change s’impose également comme un outil juridique redoutablement efficace, pour peu que les délais soient respectés. En cas de non-paiement, le bénéficiaire peut initier une procédure de protestation auprès d’un huissier dans les 48 heures. S’ensuit une ordonnance de paiement, exécutable dans les 24 heures.
Mais ce dispositif rigoureux ne tolère aucun retard. Si la banque ne notifie pas le défaut de paiement dans les délais, le créancier perd l’accès à cette procédure accélérée et se voit contraint d’engager une action judiciaire classique, bien plus longue. Une précision cruciale, martelée par M. Nakhili, pour souligner la rigueur de cette architecture légale.
Un cadre légal en pleine évolution
Conscient de la nécessité d’adapter le droit aux réalités du terrain, plusieurs députés ont récemment proposé de réformer l’article 286 du Code de procédure civile et commerciale. Objectif : renforcer la force exécutoire des lettres de change et accélérer leur mise en œuvre.
Pour notre spécialiste, cette initiative s’inscrit dans une dynamique plus large de modernisation du système de paiement en Tunisie. Car si la lettre de change refait surface, elle ne constitue qu’une pièce du puzzle.
En parallèle, les banques tunisiennes mènent une course à l’innovation pour séduire une clientèle de plus en plus connectée.
Les banques tunisiennes à l’heure de la concurrence numérique
Dans cette nouvelle ère, la digitalisation des paiements devient incontournable. Le concept de “Buy Now, Pay Later” (BNPL), qui permet d’échelonner ses achats sur plusieurs mois, séduit de plus en plus les consommateurs. Contrairement aux cartes de crédit classiques qui offrent des délais bien plus longs, le BNPL propose un compromis souple, rapide et mieux adapté à certains profils d’acheteurs.
À cela s’ajoute le virement bancaire que M. Nakhili décrit comme « une alternative de plus en plus populaire pour sécuriser les transactions entre partenaires économiques ». Il observe une hausse constante dans leur usage, y compris pour des opérations basées sur la confiance plutôt que sur des contrats formels.
Vers une stratégie nationale du paiement numérique
L’expert insiste aussi sur l’importance croissante des cartes électroniques, aujourd’hui plafonnées à 1 000 dinars pour les particuliers et 10 000 dinars pour les entreprises. Un plafond que les autorités s’efforcent de relever, en développant — avec l’appui du ministère des Technologies de la communication, du ministère des Finances et de la Banque centrale — un nouveau système de cartes à usage international.
Pour M. Nakhili, ce chantier est stratégique : il conditionne la capacité de la Tunisie à rattraper son retard et à se positionner comme un acteur crédible dans l’économie numérique. Le pays, dit-il, pourrait même suivre la trajectoire de l’Inde, devenue une référence mondiale dans l’architecture des paiements dématérialisés.
Une révolution discrète mais décisive
Derrière les chiffres et les mécanismes juridiques, c’est une transformation de fond qui se joue. Entre résilience des instruments traditionnels et percée du digital, le système bancaire tunisien cherche un équilibre. Reste à savoir si la législation saura suivre le rythme et créer un cadre suffisamment souple pour accompagner, sans freiner, cette double dynamique.
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