La batterie de mesures prises lors du CMR présidé par le Chef du gouvernement vise à renforcer l’efficacité du secteur de la santé en Tunisie qui s’est nettement dégradé et consacrer le rôle social de l’État. Des objectifs déjà annoncés dans le manifeste électoral du Président Kaïs Saïed en octobre dernier lors de sa candidature à la magistrature suprême. On passe très vite de la parole à l’action.
Le démarrage en trombe de la nouvelle équipe gouvernementale n’est plus à démontrer avec la tenue de diverses réunions présidées par le Chef du gouvernement, Kamel Maddouri, s’instaurant dans le cadre du suivi et de la mise en exécution des directives présidentielles. Conseils ministériels restreints (CMR) et réunions ministérielles périodiques se succèdent à un rythme soutenu pour examiner aussi le suivi de l’état d’avancement des plans et programmes d’action. Le relâchement n’est plus permis face aux velléités de résistance aux changements qui prennent forme dans la mauvaise gestion et la corruption dans les services clés relevant du secteur public, à l’instar de ceux de la santé et de la couverture sociale.
Un Conseil ministériel restreint au Palais du gouvernement à la Kasbah a été récemment consacré à l’examen de plusieurs dossiers liés au secteur de la santé et à la couverture sanitaire. À ce propos, le Chef du gouvernement a mis en exergue l’importance de «concrétiser les dispositions constitutionnelles relatives au droit à la santé, à la sécurité et à la qualité des services de soins, ainsi qu’à la couverture sociale». Pour mieux dire les choses, l’ancien expert des caisses de Sécurité sociale et actuel Chef du gouvernement a recommandé «la mise en place de programmes et de politiques innovants en vue de réhabiliter le secteur public de la santé et en améliorer l’efficacité, conformément aux directives du président de la République visant à établir une couverture sanitaire pour tous les Tunisiens, et à procéder à une révision en profondeur du système d’assurance maladie afin d’assurer une prise en charge équitable et de qualité».
Réhabiliter le secteur public de la santé
Parmi les décisions urgentes prises lors de ce CMR, la mise en place d’un comité de pilotage incluant des représentants de la présidence du gouvernement, des ministères de la Santé, des Finances, des Affaires sociales et des professionnels de la santé. Ce comité sera chargé de «rendre les structures publiques de santé plus attractives et d’optimiser l’emploi des compétences et des équipements médicaux». Il s’agit aussi de «fournir les conditions de travail décentes pour le personnel médical et paramédical afin d’aiguiser leur motivation et de préserver la référence du secteur public».
Du côté du corps des médecins de la santé publique, cette mesure a été favorablement accueillie d’autant que les conditions parfois indécentes et même dégradantes dans lesquelles les jeunes médecins sont acculés à travailler les poussent à larguer les amarres. Le nombre de médecins tunisiens de différentes spécialités ayant été poussés au travail à l’étranger «est assimilé à une hémorragie interne qu’il faudrait rapidement diagnostiquer pour en connaître la cause et la stopper pour sauver le pays», souligne dans une étude DR Rym Haloues, socio-anthropologue de la santé. Selon l’INS, 3.300 médecins ont quitté la Tunisie au cours des cinq dernières années, ce qui équivaut à 5 promotions de la Faculté de médecine de Sousse, ajoute-t-elle.
Les facteurs incitant à la migration des médecins tunisiens sont inhérents aux salaires et conditions de travail dans l’hôpital public dont, en particulier, la surcharge des services hospitaliers, le manque ou la vétusté du matériel, le salaire non adéquat avec le cursus universitaire du médecin, le milieu de travail à risque avec de plus en plus de violence et d’actes d’agression à l’encontre du personnel médical. «Malgré leur importance, les forces d’attraction ne jouent qu’un rôle relativement secondaire comparativement à celles de répulsion. La migration est une décision difficile et complexe pour le médecin, car elle a des répercussions matérielles et psychologiques très élevées», souligne la même source.
Le manque de culture numérique : un handicap de taille
Parmi les autres décisions prises lors de ce CMR, le renforcement des outils de gouvernance, de la transformation numérique et de la surveillance pour améliorer la gestion des structures publiques de santé. Il faut rappeler à cet effet qu’un programme de développement de la santé publique a été élaboré en 2020 visant à réformer et moderniser le système d’information de la santé, mais c’est toujours la mise en application des objectifs tracés qui a fait défaut.
Selon le ministère de la Santé, le taux de numérisation des services dans les hôpitaux universitaires a atteint 92%, et 77% dans les hôpitaux régionaux, tandis que le nombre total d’établissements de santé connectés au réseau national de santé est de 295. Plus de deux mille centres de santé de base seront également digitalisés au cours de la période à venir.
Lors d’une séance de travail tenue en présence du directeur général du Centre d’informatique du ministère de la Santé, réservée au suivi de l’avancement des projets de numérisation dans le secteur et la discussion des plans futurs, le ministre de la Santé, Mustapha Ferjani, a appelé à mobiliser toutes les ressources disponibles pour mettre en œuvre les projets de digitalisation le plus rapidement possible. Le ministre a souligné le rôle crucial de la digitalisation dans l’amélioration de la gouvernance des établissements de santé et le renforcement de la transparence et de l’efficacité. Il faut souligner que l’intelligence artificielle joue un rôle prépondérant en médecine. Il est donc inadmissible que les services sanitaires restent figés dans le temps n’offrant que de piètres perspectives de modernisation. Mais il faut tenir compte du fait que le manque de culture numérique du côté du citoyen et des agents a constitué aussi une entrave à la digitalisation dans les services de santé, sans oublier l’insuffisance des infrastructures numériques dans le secteur de la santé.
Révision du système d’assurance maladie
Le second volet du CMR tenu sous l’égide du Chef du gouvernement concerne le lancement d’une révision approfondie du système d’assurance maladie en tenant compte des études évaluatives réalisées et des suggestions des parties prenantes du secteur. L’initiative est ambitieuse et doit impérativement accompagner la réforme du système de la santé, car les deux secteurs sont intrinsèquement liés et impliquent aussi celui des médicaments.
À cet effet, il a été décidé de renforcer les ressources financières pour la Pharmacie centrale de Tunisie par des fonds supplémentaires, en plus des versements mensuels de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), ainsi que la création d’une commission unifiée pour fixer les prix des médicaments de manière régulière sous la supervision de l’Agence nationale des médicaments, et avec la participation des ministères concernés. Il a été décidé aussi l’accélération de la mise en place du système d’échange de données électroniques entre la Cnam et les prestataires de services de santé dans les deux secteurs public et privé, en garantissant les moyens nécessaires à la généralisation de la carte «labes» de soins électronique.
Parmi les autres mesures annoncées lors de ce CMR, l’amélioration de la coordination entre le ministère de la Santé et la Cnam pour optimiser les critères de prise en charge des services de santé selon les normes et pratiques internationales et garantie du versement des contributions en suspens des caisses sociales auprès de plusieurs établissements publics pour permettre le règlement des créances de la Pharmacie centrale et des structures publiques de santé. Ces mesures sont susceptibles de mettre fin, d’une manière définitive, au cercle vicieux des dettes des deux caisses sociales (Cnss et Cnrps), de la Cnam et de la Pharmacie centrale qui ont fortement impacté le secteur de la santé en 2022.
Cette batterie de mesures vise à renforcer l’efficacité du secteur de la santé en Tunisie qui s’est nettement dégradé et consacrer le rôle social de l’Etat en assurant aux citoyens une prise en charge équitable et de qualité. Par ailleurs, le ministère des Affaires sociales avait annoncé au début de cette année l’augmentation du plafond annuel des montants des services de santé externes pris en charge dans le cadre du régime d’assurance maladie.
Il est beaucoup plus question aujourd’hui de mettre de l’ordre dans deux secteurs extrêmement interdépendants, à savoir celui de la santé publique qui s’est nettement dégradé et a été gangréné ces dernières années par la corruption et la mauvaise gestion, provoquant au passage la fuite de nos jeunes médecins, des crises à répétition et des drames jamais vécus en Tunisie, à l’instar de la mort de 12 nouveau-nés dans un hôpital et de 29 mille personnes suite à la pandémie de Covid-19. Sans oublier les dettes des institutions publiques et privées à l’égard des caisses de sécurité sociale qui s’élèvent à plus de 9.000 millions de dinars, selon une déclaration rapportée par la TAP en février 2024, du directeur général de la Sécurité sociale au ministère des Affaires sociales, Nader Ajabi.
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