Une croissance économique est censée améliorer le niveau de vie car elle se traduit par l’augmentation de la production et des revenus ce qui permet, en principe, plus de consommation et des investissements plus importants dans des secteurs stratégiques tels que la santé et l’éducation.
Qu’en est-il de la Tunisie où l’INS vient d’annoncer une croissance de 3,2 % au deuxième trimestre 2025 ? Le point ci-après :
Les chiffres qui restent têtus malgré toutes les interprétations, dont celles optimistes venant des officiels, n’annoncent pas une véritable relance de l’économie nationale. On y voit plutôt un chômage persistant des diplômés, un déficit commercial aggravé et des finances publiques fragiles. Ceci alors que les déclarations du gouverneur de la BCT, conseiller économique et financier du gouvernement sont des plus rassurantes !
Le fait est que le véritable enjeu est de créer un environnement d’affaires attractif et prévisible, alors que la volatilité des prix mondiaux des matières premières – céréales et hydrocarbures en tête – continue de peser sur la stabilité économique.
«Une croissance statistiquement forte mais socialement décevante.»
Conjoncture : une croissance vigoureuse mais fragile
Au deuxième trimestre 2025, le PIB a progressé de 1,8 % par rapport au trimestre précédent et de 3,2 % en glissement annuel, soit le rythme le plus élevé depuis 2010.
Les réserves de change ont atteint un niveau record, couvrant 107 jours d’importations. Une embellie trompeuse car le déficit commercial s’est creusé à 11,9 MMDT fin juillet (+23,6 % sur un an), soit près de 12 % du PIB. Les exportations reculent légèrement de -0,2 %, plombées par la chute des prix de l’huile d’olive de -17,5 % et l’essoufflement du textile.
La croissance annoncée haut et fort est donc contrastée. L’industrie et l’énergie progressent, mais la consommation reste atone, le crédit bancaire rare et les exportations en repli.
Emploi et chômage : une fracture persistante
La population active a atteint 4,26 millions de personnes au T2-2025, en hausse de 26,5 mille par rapport au trimestre précédent. Pourtant, le taux d’activité a reculé à 46,2 % contre 46,4 % au premier trimestre de l’année. Les créations d’emplois d’environ 40 100 au deuxième trimestre 2025 n’ont pas suffi à corriger les déséquilibres. On relève un chômage global de 15,3 %, en léger recul par rapport aux 15,7 % de 2025.
«Le chômage des diplômés illustre l’échec des politiques de l’emploi.»
Le chômage des jeunes (15–24 ans) est passé à 36,8 %, contre 37,7 % au 1er trimestre 2025. Celui des diplômés de 24 % est en hausse par rapport au premier trimestre où il était de 23,5 %, dont 31,3 % chez les femmes. Un constat s’impose : malgré la création d’emplois, l’économie tunisienne n’absorbe pas les diplômés, en particulier les femmes. Cet état de choses illustre l’échec des politiques de l’emploi dans un pays où les cursus universitaires ne prennent pas en compte l’évolution du marché du travail et les exigences des nouvelles économies et en prime celles dont les liens avec les technologies de pointe sont étroits.
Finances publiques : entre contraintes et vulnérabilités
Les comptes publics affichent un apaisement de façade. Au T1-2025, le budget a enregistré un excédent ponctuel de 409 MDT (0,2 % du PIB), une tendance fragile qui n’est pas illustrée par des fondamentaux économique solides. La dette publique s’élève à 127,8 Mds TND, soit près de 80 % du PIB, dont la moitié en devise avec un service de la dette de plus en plus lourd : 11,57 Mds TND, dont 8,3 Mds pour le remboursement du principal.
Les agences de notation maintiennent une appréciation sévère : Moody’s note la Tunisie Caa1 et Fitch CCC+, reflétant un risque de financement élevé
L’environnement externe : un risque permanent
Les prix mondiaux des matières premières demeurent volatils. Le blé est tombé à 217 $/tonne en juin 2025, grâce à des récoltes abondantes en Amérique du Nord et en Europe. À l’inverse, le pétrole Brent oscille autour de 70–71 $/baril fin juillet, sous l’effet combiné des décisions de l’OPEP+, des tensions géopolitiques au Moyen-Orient et des craintes de récession. La Tunisie, importatrice nette d’énergie et de céréales, reste très vulnérable à ces fluctuations, d’autant plus que la récolte céréalière de cette année n’est pas aussi exceptionnelle qu’on le prédisait.
« Le salut ne viendra pas des promesses d’emplois publics mais d’une refonte du climat des affaires. »
Prévisions des institutions internationales
Au mois de mai 2025, la Banque mondiale prédisait une croissance à 1,9 % en 2025 contre 1,4 % en 2024 avec une inflation en recul. Le rapport soulignait le potentiel de la Tunisie comme hub logistique régional, susceptible de générer jusqu’à 14 % du PIB additionnel si les réformes portuaires sont menées. Au mois d’avril 2025, le FMI, pour sa part, donnait des appréciations plus prudentes estimant une croissance de 1,4 % seulement en 2025. L’institution alerte sur la dépendance au financement extérieur et les déséquilibres persistants.
Que faire ?
Dépasser les « mesurettes » et les grandes annonces et oser des politiques économiques réalistes loin du populisme et des déclarations d’intention !
L’idée d’absorber les diplômés dans la fonction publique est une fausse solution. Elle gonfle une masse salariale déjà lourde, décourage l’initiative privée et accentue le décalage entre compétences et besoins réels. Les priorités devraient être simplifier et sécuriser l’environnement réglementaire, renforcer la concurrence et casser les rentes, développer le financement ciblé des PME exportatrices et orienter la formation et l’insertion vers les secteurs porteurs.
« Les fondamentaux restent fragiles : déficit commercial, dette publique et dépendance extérieure. »
La Tunisie n’est pas sortie de l’auberge. Elle fait face à une équation difficile : une croissance statistiquement forte mais socialement décevante, un chômage des diplômés qui ne recule pas et une dépendance accrue aux aléas mondiaux. Le salut ne viendra ni des promesses d’emplois publics, ni de rustines budgétaires, mais d’une véritable refonte du climat des affaires, seul garant d’une croissance durable, créatrice d’emplois et capable de relever le défi social.
Amel Belhadj Ali
EN BREF
- La Tunisie affiche 3,2 % de croissance au T2-2025, un niveau inédit depuis 2010.
- Derrière ce chiffre, les déséquilibres persistent : déficit commercial de 11,9 MMDT, dette à 80 % du PIB et chômage élevé.
- Les jeunes et diplômés, surtout les femmes, peinent à s’insérer sur un marché de l’emploi inadapté.
- Les finances publiques restent fragiles, malgré un excédent ponctuel.
- Les institutions internationales appellent à des réformes structurelles pour transformer cette croissance en développement durable.
(Source : Ecoweek et INS)
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