L’augmentation salariale validée par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) sur trois ans risque de se transformer en piège inflationniste faute de mécanismes de soutien appropriés aux petites et moyennes entreprises (PME), prévient l’Association nationale des PME dans un contexte économique critique.
Dans une déclaration à l’Économiste Maghrébin, Abderrazek Houas, porte-parole de l’Association, qualifie cette mesure d’«arme à double tranchant». Concernant l’ensemble des secteurs public et privé ainsi que la fonction publique, elle intervient dans un contexte jugé particulièrement délicat. Bien que poursuivant un objectif social louable visant notamment la réduction de la pauvreté, une plus grande stabilité sociale et l’amélioration de la capacité des citoyens à financer leurs besoins essentiels en matière de santé, d’éducation, de transports et de logement, cette hausse menace d’aggraver l’inflation sans dispositifs d’accompagnement adéquats. L’augmentation salariale demeure un défi entre l’entreprise et le salarié.
Les PME : premières victimes de l’augmentation salariale
Les PME, et particulièrement les très petites entreprises qui constituent l’ossature de l’économie nationale et les principaux créateurs d’emplois, seront les premières victimes. Ces structures, déjà fragilisées par une sous-capitalisation chronique, un manque d’accompagnement institutionnel, l’absence de facilités bancaires et des marges bénéficiaires considérablement réduites, verront leurs coûts de production augmenter immédiatement. À titre d’exemple, une hausse de cinquante dinars du salaire d’un employé devra nécessairement être répercutée sur le prix final du produit commercialisé.
Au-delà de l’impact direct sur les coûts de production, cette mesure entraînera un alourdissement substantiel des charges fiscales et sociales. L’accroissement de l’Impôt sur le revenu des personnes physiques et des cotisations à la CNSS générera un drainage considérable de la trésorerie des petites structures, compromettant leur capacité à maintenir leurs activités dans des conditions financières saines.
Deux options stratégiques aux conséquences graves
Confrontées à cette augmentation, les PME disposeront essentiellement de deux options. La première consiste à augmenter substantiellement leurs prix de vente pour compenser les coûts supplémentaires, risquant d’entraîner une élévation généralisée des tarifs. La seconde implique l’adoption de mesures d’austérité internes, pouvant aller jusqu’à la réduction du personnel, par exemple en n’affectant qu’une seule personne à un poste qui en nécessiterait normalement deux.
Le double mécanisme inflationniste
L’augmentation des salaires présente toutefois des aspects positifs : amélioration de la productivité des travailleurs, réduction du taux de rotation du personnel, amélioration du pouvoir d’achat et dynamisation du cycle économique par l’augmentation de la consommation.
Cependant, ces effets bénéfiques comportent un revers préoccupant. Selon Abderrazek Houas, l’inflation découlant de la hausse salariale trouve son origine dans deux mécanismes économiques distincts mais convergents qui risquent de se conjuguer pour exercer une pression considérable sur l’ensemble du système économique tunisien. Le premier correspond à l’inflation par les coûts, directement liée à l’augmentation des charges de production supportées par les entreprises. Le second relève de l’inflation par la demande, générée par l’accroissement de la consommation résultant de l’amélioration du pouvoir d’achat.
Si le marché dispose d’une offre limitée, par exemple cent unités d’un produit donné, l’accroissement de la demande résultant de l’amélioration du pouvoir d’achat permettra aux producteurs d’augmenter leurs prix pour exploiter l’écart créé entre l’offre disponible et la demande croissante.
L’urgence d’un soutien étatique ciblé
L’Association insiste avec force sur la nécessité impérieuse pour l’État de mettre en œuvre des mécanismes d’accompagnement et de soutien appropriés, spécifiquement ciblés sur les petites et micro-entreprises. L’absence de tels dispositifs et le défaut d’une étude approfondie des pressions financières résultant de cette mesure risquent de faire répercuter l’intégralité de cette pression sur le marché, avec des conséquences potentiellement désastreuses pour l’économie nationale.
Cet accompagnement doit prioritairement se concentrer sur la question cruciale de la liquidité, afin d’assurer aux PME l’aisance financière indispensable à la poursuite de leurs activités dans des conditions viables. Cet appui financier doit permettre aux entreprises de ne pas répercuter intégralement l’augmentation de leurs coûts sur les prix à la consommation, évitant ainsi une spirale inflationniste qui anéantirait les bénéfices sociaux attendus de la hausse salariale.
La contradiction fondamentale : État social versus austérité
Le porte-parole met en lumière une incohérence majeure dans l’approche gouvernementale actuelle. Un véritable État social nécessite la mobilisation d’importantes ressources financières et un engagement budgétaire substantiel. Il apparaît contradictoire de chercher à mettre en œuvre un ambitieux programme d’État social tout en maintenant simultanément une stratégie d’austérité budgétaire stricte. Ces deux orientations politiques sont fondamentalement incompatibles et ne peuvent coexister sans générer de graves dysfonctionnements économiques, compromettant l’efficacité de la mesure et annulant ses bénéfices sociaux escomptés.
Pour illustrer le décalage entre les hausses salariales et l’évolution du coût de la vie, Abderrazek Houas relève que si les salaires peuvent être augmentés de cinquante dinars, les coûts du logement, notamment les loyers, progressent à un rythme bien supérieur, pouvant atteindre cent à deux cent mille dinars d’une année sur l’autre. Ce rythme d’augmentation des dépenses essentielles dépasse largement celui des hausses de salaires, relativisant fortement l’amélioration réelle du pouvoir d’achat des ménages.
Une double protection nécessaire
L’appel de l’Association revêt un caractère d’urgence. Si les autorités souhaitent véritablement faire progresser un programme à vocation sociale, l’État doit impérativement assumer une double responsabilité : protéger efficacement les consommateurs contre la cherté croissante de la vie et l’érosion de leur pouvoir d’achat, tout en protégeant simultanément les producteurs, particulièrement les PME.
Le porte-parole rappelle que la problématique de l’escalade continue des prix a véritablement débuté après la Révolution tunisienne. Il observe que les prix augmentent parfois de manière inexplicable, sans motif économique clair, notamment en fin d’année. Cette dérive récurrente et difficilement maîtrisable témoigne d’un dysfonctionnement profond des mécanismes de régulation du marché et de la nécessité d’une intervention structurelle des pouvoirs publics pour restaurer un équilibre économique durable et protéger le pouvoir d’achat de la population.
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