ECLAIRAGE – Géopolitique – La Tunisie à l’épreuve du néomercantilisme mondial (2/3)
Alors que les grandes puissances redessinent les lignes de fracture de l’économie mondiale à coups de barrières tarifaires, de restrictions technologiques et de relocalisations industrielles, un vieux spectre resurgit : celui du mercantilisme. Sous son nouveau visage – le néomercantilisme – il ne s’agit plus de coopérer, mais de dominer. La mondialisation s’effrite, les blocs se reforment et les plus faibles risquent d’en payer le prix fort. Pour la Tunisie, le défi est clair : ne pas sombrer dans le mimétisme stratégique, mais inventer une souveraineté économique adaptée à ses réalités et à ses atouts.
Le retour brutal des États-puissance
Depuis la pandémie de Covid-19 et la montée des tensions géopolitiques, l’économie mondiale n’est plus guidée par le libre-échange ou les règles communes. Elle est désormais le terrain d’un affrontement feutré mais implacable entre grandes puissances. Les États-Unis imposent des droits de douane massifs, l’Europe subventionne ses industries « vertes », la Chine verrouille ses exportations stratégiques. Tous avancent un même objectif : sécuriser leurs intérêts nationaux dans un monde devenu instable. Cette montée en puissance des États s’accompagne d’un durcissement des accès aux marchés, aux technologies et aux ressources, au détriment des pays qui n’ont pas les moyens de riposter.
Un monde fermé aux économies vulnérables
La nouvelle architecture économique mondiale se structure en blocs. Ceux qui dictent les règles d’accès aux circuits financiers, aux innovations technologiques ou aux ressources naturelles ne sont plus dans une logique de partage, mais de contrôle. Pour les économies émergentes et en développement, cette fermeture est synonyme de marginalisation. La Tunisie, comme d’autres pays du Sud, risque de se retrouver enfermée dans une périphérie stratégique, exposée à des conditionnalités plus sévères et à une dépendance accrue vis-à-vis de flux exogènes.
Le piège de l’imitation
Dans ce contexte, la tentation est grande de calquer les choix des grandes puissances : protectionnisme, relocalisation, préférence nationale. Mais cette voie serait dangereuse pour un pays comme la Tunisie. Elle ne dispose ni d’un marché intérieur suffisant, ni de marges budgétaires, ni d’un appareil productif assez robuste pour soutenir une économie fermée. Adopter ces recettes sans les moyens d’en assumer les conséquences reviendrait à créer des niches étroites, inefficaces, coupées de l’innovation et de la compétitivité internationale.
Une souveraineté économique ouverte et maîtrisée
La Tunisie ne peut se permettre un repli. Elle doit au contraire bâtir une souveraineté économique lucide et intelligente. Cela implique de repenser son intégration mondiale, non pas en la refusant, mais en en maîtrisant les termes. La souveraineté ne consiste pas à s’isoler, mais à choisir ses dépendances, à diversifier ses partenariats, à anticiper les mutations et à renforcer ses capacités à négocier. L’avenir tunisien se joue dans sa capacité à s’insérer dans des alliances régionales solides – notamment avec l’Afrique et la Méditerranée – et à identifier les créneaux technologiques et industriels porteurs, en lien avec ses ressources et ses compétences.
La crise du multilatéralisme, une opportunité à saisir
Ce basculement vers le néomercantilisme s’inscrit dans un contexte plus large : celui d’un affaiblissement du multilatéralisme. Les institutions internationales perdent de leur influence, les règles communes vacillent, les rapports de force prennent le dessus. Ce vide normatif crée une instabilité globale, mais aussi un espace pour inventer autre chose. La Tunisie ne doit pas se contenter d’être spectatrice de cette recomposition, ni se soumettre à des modèles extérieurs. Elle peut, si elle le décide, devenir un acteur stratégique de cette transition mondiale, en misant sur l’innovation, la formation, la diplomatie économique et la projection régionale.
Inventer une voie tunisienne dans un monde fragmenté
Le néomercantilisme n’est pas une fatalité, mais un symptôme du désordre global. La Tunisie doit éviter deux écueils : celui de l’isolement et celui de la soumission. Elle a la possibilité de définir une voie originale, fondée sur la résilience, l’intelligence collective et le choix stratégique de ses interdépendances. Dans ce nouveau monde, la souveraineté ne se proclame pas à grand renfort de discours, elle se construit dans le détail des décisions, des alliances et des investissements.
In fine, penser l’après-mondialisation, pour la Tunisie, ce n’est pas tourner le dos à la mondialisation, mais refuser d’en subir les dérives. C’est affirmer une capacité à exister autrement, à faire entendre sa voix, à participer pleinement à la reconfiguration du monde – non pas comme un simple rouage, mais comme un acteur à part entière.
A suivre…
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* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
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