CHRONIQUE – Tunisie – Fin 2025 : une stabilité monétaire à l’épreuve de l’économie mondiale
À la fin de l’année 2025, les indicateurs monétaires et financiers tunisiens dessinent le portrait d’une économie maintenue en équilibre précaire. Derrière une apparente stabilité des taux et un marché monétaire fonctionnel, se cachent des déséquilibres persistants, gérés au prix d’un interventionnisme monétaire élevé et d’arbitrages budgétaires contraints. Cette situation s’inscrit dans un environnement international lui-même marqué par le ralentissement, la fragmentation financière et l’incertitude géopolitique.
Une trésorerie publique structurellement fragile
Le solde du compte courant du Trésor, ramené à 1 269 MDT au 25 décembre, confirme la pression chronique qui pèse sur les finances publiques. En cette période de clôture budgétaire, la concentration des décaissements – salaires, subventions, service de la dette – met en évidence la faiblesse du matelas de trésorerie de l’État et la rigidité de ses recettes.
Cette contrainte n’est plus conjoncturelle mais structurelle. Le Trésor demeure un acteur central de l’absorption de liquidité. Ce qui transfère la tension vers le système bancaire et renforce la dépendance indirecte à la Banque centrale. L’État finance ainsi son équilibre courant moins par la croissance des ressources que par la mobilisation permanente du circuit monétaire.
Lire aussi: Abondance financière et déficit d’investissement : le grand paradoxe!
Banques : liquidité rare, mais stabilité préservée
Le recul du solde du compte courant des banques, conjugué à la hausse continue des billets et monnaies en circulation – désormais à plus de 26 400 MDT – traduit une raréfaction persistante de la liquidité bancaire. Le phénomène est accentué par des facteurs saisonniers, mais il reflète surtout une économie où l’informalité et la thésaurisation en cash demeurent élevées.
Pour autant, le système bancaire continue de fonctionner sans rupture majeure. Cette stabilité repose largement sur l’action de la Banque centrale de Tunisie, qui assure un rôle d’amortisseur systémique dans un contexte de déséquilibre durable entre les besoins de financement de l’État, ceux de l’économie et les ressources disponibles.
Marché monétaire : un pilotage fin dans un corridor étroit
Avec un refinancement global dépassant 10 400 MDT, la BCT maintient une présence massive sur le marché monétaire. La structure des interventions – appels d’offres à court terme, opérations à plus long terme, ajustements via les facilités permanentes – révèle une gestion fine, destinée à éviter toute rupture de liquidité tout en conservant un signal de discipline monétaire.
Le maintien du taux directeur à 7,50 %, combiné à un taux du marché monétaire légèrement inférieur, traduit une volonté de stabilisation plutôt que de relance franche. La Banque centrale cherche à préserver un équilibre délicat : soutenir le fonctionnement du système financier sans alimenter de nouvelles tensions inflationnistes, dans un contexte où la croissance reste atone.
La progression des transactions interbancaires, notamment à terme, constitue néanmoins un signal positif, indiquant que la confiance entre établissements demeure, malgré la contrainte globale.
La Banque centrale cherche à préserver un équilibre délicat : soutenir le fonctionnement du système financier sans alimenter de nouvelles tensions inflationnistes, dans un contexte où la croissance reste atone.
Dette intérieure : soulager le présent, alourdir l’avenir
La recomposition rapide de la dette intérieure est l’un des faits saillants de l’année. L’effondrement de l’encours des bons du Trésor à court terme, compensé par une forte hausse des bons assimilables, traduit une stratégie d’allongement des maturités.
Cet arbitrage réduit le risque immédiat de refinancement et atténue les tensions de trésorerie, mais il reporte la charge dans le temps. Il renforce également l’interdépendance entre l’État et le système bancaire domestique, au détriment potentiel du financement de l’investissement productif. La dette devient ainsi plus soutenable à court terme, mais plus rigide à moyen terme.
Un environnement international peu porteur
Cette gestion sous contrainte s’inscrit dans un contexte international défavorable. L’économie mondiale ralentit, sous l’effet du resserrement monétaire prolongé dans les grandes économies, de la fragmentation géopolitique et du tassement du commerce mondial. Les flux financiers vers les pays émergents restent volatils, sélectifs et conditionnés au risque souverain.
La baisse relative du dollar face à certaines devises a offert un répit temporaire à des pays importateurs nets comme la Tunisie, en limitant l’inflation importée. Mais ce facteur est exogène et réversible. Dans un monde où les banques centrales avancent avec prudence et où les marchés restent nerveux, la marge de manœuvre des économies fragiles demeure étroite.
Secteur extérieur : des flux vitaux, un stock vulnérable
Les recettes touristiques et les revenus du travail des Tunisiens à l’étranger continuent de jouer un rôle stabilisateur essentiel. Ces flux, non générateurs de dette, constituent aujourd’hui l’un des principaux remparts contre l’aggravation du déficit courant.
En revanche, les réserves de change, avec une couverture d’environ 108 jours d’importations, restent à un niveau fonctionnel mais insuffisant pour absorber des chocs externes majeurs. Toute perturbation des flux touristiques, des transferts ou des importations énergétiques pourrait rapidement raviver les tensions.
Lire également : Tunisie – Baisse de 14% des services de la dette extérieure
Une stabilité sous perfusion
En définitive, la Tunisie termine 2025 dans une situation de stabilité administrée. Le système tient, mais au prix d’un interventionnisme monétaire élevé, d’un endettement intérieur restructuré et d’une croissance toujours insuffisante.
La question centrale pour 2026 n’est donc pas celle de la stabilité immédiate, mais celle de sa soutenabilité économique et sociale à moyen terme.
Dans un environnement international incertain, cette stabilité reste fragile. Sans relance de l’investissement productif, amélioration durable des finances publiques et réintégration progressive de l’économie informelle, le risque est celui d’une économie figée : ni en crise ouverte, ni en véritable redressement.
La question centrale pour 2026 n’est donc pas celle de la stabilité immédiate, mais celle de sa soutenabilité économique et sociale à moyen terme.
==============================
Références :
(1) Sources principales consultées pour le contexte international : World Bank MENAAP (26dec. 2025), données prix Brent / marché pétrolier (26dec. 2025), minutes Fed / prises de position récentes, analyses Reuters sur la réaction des marchés aux tensions régionales. (Banque Mondiale)
(2) (*) https://www.bct.gov.tn/bct/siteprod/indicateurs.jsp
(**) https://www.ins.tn/
==============================
* Dr. Tahar EL ALMI,
Economiste-Economètre.
Ancien Enseignant-Chercheur à l’ISG-TUNIS,
Psd-Fondateur de l’Institut Africain
D’Economie Financière (IAEF-ONG)
L’article CHRONIQUE – Tunisie – Fin 2025 : une stabilité monétaire à l’épreuve de l’économie mondiale est apparu en premier sur Leconomiste Maghrebin.