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Egypte : accord de financement de 4,3 milliards d’euros avec l’UE au second semestre

27. MĂ€rz 2025 um 11:10

L’Egypte devrait signer un accord de 4,3 milliards d’euros avec l’Union europĂ©enne au cours du second semestre de l’annĂ©e 2025. C’est ce qu’a dĂ©clarĂ©, mercredi 26 mars, la ministre de la Planification, Rania Al-Massat, lors d’une confĂ©rence de presse.

Le plan financier intervient alors que l’Egypte cherche un soutien financier pour se remettre de sa crise Ă©conomique, estiment les analystes.

Rappelons Ă©galement que le conseil d’administration du Fonds monĂ©taire international (FMI) a annoncĂ© le 11 mars la validation d’un nouveau programme d’aide au profit de l’Egypte. Et ce, pour un montant de 1,2 milliard de dollars, dans le cadre de son Fonds de la rĂ©silience et de la soutenabilitĂ© (RSF).

A noter que l’Egypte est confrontĂ©e Ă  une dette extĂ©rieure considĂ©rablement croissante, ayant quadruplĂ© depuis 2015 pour s’établir Ă  155,2 milliards de dollars en septembre 2024. Une part significative de cette dette est associĂ©e Ă  d’ambitieux projets d’infrastructure, y compris la construction d’une nouvelle capitale situĂ©e Ă  l’est du Caire.

L’article Egypte : accord de financement de 4,3 milliards d’euros avec l’UE au second semestre est apparu en premier sur Leconomiste Maghrebin.

La décision de Kais Saïed de rompre les relations avec le FMI analysée par le modÚle du Minimax

25. MĂ€rz 2025 um 10:00

L’auteur, Ă©conomiste universitaire, se livre ici Ă  un exercice original : transposer le raisonnement Ă  la base du modĂšle de dĂ©cision trĂšs connu du Minimax Ă  la dĂ©cision que Kais SaĂŻed Ă  prise de rompre les relations avec le FMI. Aucune formation Ă©conomique ou autre n’est nĂ©cessaire pour comprendre cet article, juste un minimum d’esprit logique et de bon sens communs Ă  tout un chacun. Pour le reste, l’article se laisse lire facilement et sa conclusion est on peut plus claire.  (Ph. DerniĂšre rencontre entre KaĂŻs SaĂŻed et Kristalina Georgieva, DG du FMI, en marge d’un sommet financier en juin 2023 Ă  Paris). 

Dr. Sadok Zerelli

Parmi les disciplines qu’on enseigne aux maitrisards de l’Institut des hautes Ă©tudes commerciales (Ihec) et futurs gestionnaires d’entreprises et que j’ai eu personnellement plaisir Ă  enseigner, parmi d’autres disciplines, figure la thĂ©orie de dĂ©cision.

La problĂ©matique que traite cette thĂ©orie est que nous vivons tous dans un avenir incertain et que personne, Ă  moins d’ĂȘtre un prophĂšte, ne peut prĂ©voir de quoi sera fait demain, mais que nous devons quand mĂȘme prendre des dĂ©cisions importantes qui engagent notre avenir que ce soit sur le plan professionnel ou personnel.

Cette thĂ©orie comporte plusieurs modĂšles stochastiques (basĂ©s sur la thĂ©orie des probabilitĂ©s), plus ou moins compliquĂ©s, dont je vais prendre juste le raisonnement Ă  la base de l’un des plus simples d’entre eux, le modĂšle du Minimax, pour analyser avec cet outil de dĂ©cision le bienfondĂ© ou non de la dĂ©cision prise par notre prĂ©sident de rompre toute collaboration de la Tunisie avec le FMI.

Raisonnement Ă  la base du modĂšle du Minimax

Pour expliquer de la façon la plus simple ce raisonnement au grand public, je vais prendre un exemple que nous avons tous vĂ©cu ou que les jeunes gens vivront un jour ou l’autre.

Supposons qu’on fasse connaissance d’une jeune femme (ou d’un jeune homme s’il s’agit du genre opposĂ©) qui nous plaĂźt beaucoup et qu’on hĂ©site Ă  Ă©pouser ou pas (le raisonnement ne s’applique pas au cas oĂč on tombe fou amoureux et que l’on fonce tĂȘte baissĂ©e sans mĂȘme rĂ©flĂ©chir!). Dans ce cas, il y a quatre scĂ©narios possibles (on parle d’hypothĂšses dans la thĂ©orie de la dĂ©cision).

ScĂ©nario A : on dĂ©cide d’épouser la personne et l’avenir montrera qu’on a eu raison de le faire et qu’on sera heureux avec elle. Dans ce cas la perte subie est nulle puisqu’on a pris la bonne dĂ©cision 

ScĂ©nario B : on dĂ©cide de ne pas l’épouser et l’avenir montrera qu’on a eu raison de ne pas le faire parce cette personne qui n’était pas celle qu’il nous fallait et qu’on aurait Ă©tĂ© malheureux avec elle. Dans ce cas la perte subie est nulle aussi puisqu’on a pris la bonne dĂ©cision 

ScĂ©nario C : on a dĂ©cidĂ© de l’épouser mais l’avenir montrera que c’était une mauvaise dĂ©cision qu’on n’aurait pas dĂ» prendre. Dans la thĂ©orie de dĂ©cision, on appelle cela le risque de premiĂšre espĂšce. La perte MAXIMALE (au pire des cas) associĂ©e Ă  ce risque est un divorce, des enfants dĂ©chirĂ©s entre leurs parents divorcĂ©s, une pension alimentaire Ă  payer, peut-ĂȘtre mĂȘme une dĂ©pression psychologique, etc.

ScĂ©nario D : on dĂ©cide de ne pas l’épouser alors que l’avenir montrera que c’était une erreur parce c’était la personne qu’il nous fallait pour ĂȘtre heureux. On appelle cela le risque de deuxiĂšme espĂšce. Dans ce cas, la perte MAXIMALE qu’on subit est la valeur qu’on attache Ă  la vie en famille, Ă  avoir des enfants, etc.

Selon ce modĂšle, la meilleure dĂ©cision Ă  prendre est celle qui correspond au minimum du risque maximum associĂ© Ă  chaque dĂ©cision, d’oĂč le nom de modĂšle du Minimax.

En clair, dans cet exemple, si la valeur qu’on attache au coĂ»t financier et psychologique d’un divorce est plus Ă©levĂ©e que la valeur qu’on attache Ă  la vie en famille, avoir des enfants, etc., il faut prendre la dĂ©cision de ne pas se marier avec cette personne et inversement.

Ce modĂšle, tel qu’il est enseignĂ© Ă  l’universitĂ© aux futurs gestionnaires d’entreprises, s’applique surtout pour les dĂ©cisions Ă  prendre dans les domaines de l’investissement, d’achat d’actions et de placements financiers en bourse, etc., oĂč il est plus facile de traduire en termes financiers les coĂ»ts attachĂ©s aux risques de premiĂšre et deuxiĂšme espĂšce. Il se complique par l’introduction de probabilitĂ©s de rĂ©alisation de chaque scĂ©nario estimĂ© Ă  priori (au nez) ou en ayant recours Ă  des lois statistiques telles que la loi de Poisson (qui permet de calculer la probabilitĂ© d’un Ă©vĂšnement rare tel qu’un accident, une faillite, un divorce, etc.) et en raisonnant en termes d’espĂ©rance mathĂ©matique de coĂ»t (modĂšle de Bayes), ou en introduisant un coefficient d’optimisme/pessimisme (modĂšle de Hurwicz).

Mais bien sĂ»r je ne vais pas aller aussi loin dans cet article destinĂ© au grand public et je vais juste appliquer le raisonnement qui est Ă  la base de ce modĂšle Ă  la dĂ©cision qu’aurait dĂ» prendre notre PrĂ©sident en rapport avec les relations avec le FMI.

Risque de premiĂšre espĂšce de la dĂ©cision de Kais SaĂŻed 

Il s’agit du risque associĂ© Ă  la dĂ©cision d’accepter les conditions posĂ©es par le FMI pour dĂ©bloquer le prĂȘt de 1,9 milliards de dollars (et donc de ne pas rompre avec lui) alors que l’avenir montrera que c’était une erreur et qu’il n’aurait pas dĂ» accepter ces conditions et prendre cette dĂ©cision.

Quelle est la perte Maximale (au pire des cas) associée à ce risque?

Elle est la rĂ©sultante ou la somme des pertes associĂ©es Ă  la mise en Ɠuvre de chacune des conditions que le FMI avait posĂ© pour dĂ©bloquer son prĂȘt, Ă  savoir :

– la restructuration des entreprises publiques dĂ©ficitaires; 

– la rĂ©duction du poids de la masse des salaires des fonctionnaires dans le budget de l’Etat; 

– la suppression de la compensation des prix des produits Ă©nergĂ©tiques et de consommation de base.  

Dans mon avant dernier article intitulĂ© «Le PrĂ©sident Kais SaĂŻd avait-il raison de rompre avec le FMI ?», j’avais analysĂ© d’une façon approfondie l’impact et les modalitĂ©s possibles de mise en Ɠuvre de chacune de ces rĂ©formes structurelles que le FMI avait exigĂ©. Je ne vais pas reprendre cette analyse dans le prĂ©sent article pour ne pas me rĂ©pĂ©ter mais en faire juste une synthĂšse en faveur ou contre la dĂ©cision prise par notre PrĂ©sident.

Risque de premiĂšre espĂšce associĂ© Ă  la condition de restructuration des entreprises publiques 

Il s’agit d’une centaine (110 exactement) d’entreprises publiques structurellement et historiquement largement dĂ©ficitaires dont les dĂ©ficits d’exploitation pĂšsent de plus en plus lourd sur le budget de l’Etat l’obligeant Ă  chercher des sources de financement internes ou externes pour les financer.

Parmi les impacts négatifs de cette politique, je citerais :

– l’aggravation du dĂ©ficit budgĂ©taire : ces subventions et aides pĂšsent sur les finances publiques, rĂ©duisant les marges de manƓuvre pour d’autres investissements;

– le financement des entreprises publiques dĂ©ficitaires se fait souvent par l’endettement, soit directement par l’État, soit par des garanties accordĂ©es aux entreprises pour contracter des prĂȘts, ce qui la contribue Ă  l’augmentation du dĂ©ficit budgĂ©taire et Ă  l’endettement global du pays;

– la rĂ©duction des ressources pour les secteurs productifs : les fonds allouĂ©s au sauvetage des entreprises publiques sont souvent dĂ©tournĂ©s des secteurs productifs ou essentiels comme la santĂ©, l’éducation ou les infrastructures, ce qui limite la capacitĂ© de l’État Ă  financer des projets de dĂ©veloppement et amĂ©liorer le bien-ĂȘtre de la population et la croissance Ă©conomique;

– l’effet sur l’investissement privĂ© et la compĂ©titivitĂ© : les entreprises publiques dĂ©ficitaires fonctionnent souvent avec des coĂ»ts Ă©levĂ©s, un faible rendement et une gestion inefficace, ce qui nuit Ă  la compĂ©titivitĂ© de l’économie et peut dĂ©courager les investissements privĂ©s, qui craignent une concurrence dĂ©loyale ou un environnement Ă©conomique instable;

– la pression fiscale accrue : pour compenser les pertes des entreprises publiques et maintenir un niveau minimal de services, l’État est contraint d’augmenter les impĂŽts ou d’introduire de nouvelles taxes, ce qui impacte le pouvoir d’achat des citoyens et la compĂ©titivitĂ© des entreprises;  

– une plus grande injustice sociale : contrairement Ă  ce que pense notre PrĂ©sident, une telle politique augmente l’injustice sociale. Je citerais comme exemple le cas de la SNCFT oĂč toutes les recettes du trafic de voyageurs et de marchandises ne couvrent que 87% des charges salariales, ne laissant rien pour la consommation d’énergie, l’entretien du rĂ©seau, le renouvellement du matĂ©riel roulant
 Au nom de quel principe de justice sociale le citoyen qui habite a Sidi Bouzid ou Kairouan qui n’a pas la possibilitĂ© de prendre un train puisque ces villes ne sont pas connectĂ©es au rĂ©seau ferroviaire, doit-il contribuer, Ă  travers les taxes qu’il paie Ă  l’Etat, Ă  subventionner Ă  hauteur de 13% les salaires perçus par les cheminots? Je pourrais multiplier les exemples pour Tunisair, la Steg, la Sonede, etc.;

– enfin, au nom de quel principe l’Etat peut-t-il justifier le maintien d’une telle politique, d’autant plus que, comme je l’ai expliquĂ© dans mon article, il existe bel et bien plusieurs techniques de montages juridiques et financiers qui permettent de restructurer une entreprise publique et la rendre excĂ©dentaire sans avoir Ă  la privatiser (contrat programme, PPP, BOT, concession
)?

A moins que ce soit la politique de la fuite en avant ou de celle du proverbe qui dit «le dernier qui reste paiera le loyer», je ne trouve aucun argument en termes de justice sociale ou d’allocation optimale des ressources qui justifie le rejet par notre PrĂ©sident de cette rĂ©forme structurelle demandĂ©e par le FMI qui est absolument nĂ©cessaire Ă  court ou moyen terme pour Ă©quilibrer les finances publiques. En consĂ©quence, la perte associĂ©e Ă  cette condition posĂ©e par le FMI est Ă  mon avis non seulement nulle, mais on pourrait parler mĂȘme d’une opportunitĂ© ratĂ©e pour rĂ©soudre ce problĂšme de ces entreprises publiques structurellement dĂ©ficitaires Ă  ses racines.

Risque de premiĂšre espĂšce associĂ© Ă  la condition de rĂ©duction du poids de la masse salariale dans le budget de l’Etat 

Avec 56 fonctionnaires par 1000 habitants (contre 17 au Maroc et 14 en Jordanie, des pays Ă  taille et Ă©conomie comparables), l’administration tunisienne est l’une des plus plĂ©thoriques au monde. Il en rĂ©sulte un poids de la masse salariale des fonctionnaires sur le budget de l’État excessif : en 2025, les dĂ©penses salariales sont estimĂ©es Ă  24,389 milliards de dinars, marquant une augmentation de 8,1% par rapport Ă  2024. Cette somme reprĂ©sente 40,7% des dĂ©penses totales du budget et 13,3% du produit intĂ©rieur brut (PIB). 

Cette proportion Ă©levĂ©e des dĂ©penses salariales limite la capacitĂ© de l’État Ă  investir dans d’autres secteurs essentiels tels que l’infrastructure, la santĂ© et l’éducation. Son financement par le biais d’emprunts obligataires et de Bons du TrĂ©sor Ă  court, moyen ou long termes souscrits par les banques commerciales, coĂ»te trĂšs cher Ă  l’État en termes d’intĂ©rĂȘts Ă  payer et dĂ©tourne les banques commerciales de leur vocation de financer les entreprises et l’activitĂ© Ă©conomique pour favoriser la croissance. De mĂȘme que son financement par la BCT, Ă  travers le recours excessif au mĂ©canisme de la planche Ă  billets renforce l’inflation, rĂ©duit la compĂ©titivitĂ© des entreprises et aggrave le dĂ©ficit de la balance commerciale et dĂ©prĂ©cie la valeur du dinar, engendrant une plus grande baisse de la compĂ©titivitĂ©, un plus grand dĂ©ficit commercial, etc.

Le maintien d’une telle armĂ©e de fonctionnaires (640 000), ou pire son renforcement par 5000 autres parmi les diplĂŽmĂ©s de l’enseignement supĂ©rieur en chĂŽmage de longue durĂ©e comme vient de le dĂ©cider le chef de tout l’Etat, ne peut qu’aggraver la situation et obliger l’Etat Ă  continuer Ă  s’endetter davantage, s’il trouve qui veut bien lui prĂȘter, sinon augmenter davantage la pression fiscale qui est dĂ©jĂ  parmi les plus Ă©levĂ©es au monde.

En termes de perte liĂ©e au risque de premiĂšre espĂšce Ă  subir, on peut ainsi conclure qu’elle est nulle aussi et qu’au contraire, l’Etat a perdu une occasion d’assainir les finances publiques une fois pour toutes.

Risque de premiĂšre espĂšce associĂ© Ă  la suppression de la compensation 

Le systĂšme de compensation des prix en Tunisie, destinĂ© Ă  stabiliser les coĂ»ts des produits de base et Ă©nergĂ©tiques, reprĂ©sente une charge financiĂšre notable pour le budget de l’État. En 2024, les dĂ©penses de compensation sont estimĂ©es Ă  11 337 millions de dinars (MD), en lĂ©gĂšre baisse par rapport aux 11 475 MD de 2023. De plus, l’augmentation des prix du pĂ©trole et la dĂ©prĂ©ciation du dinar ont entraĂźnĂ© des dĂ©passements budgĂ©taires, notamment en 2017, oĂč une dĂ©rive de 900 millions de dinars a Ă©tĂ© enregistrĂ©e pour la compensation Ă©nergĂ©tique.

Ces fluctuations rendent le systĂšme de compensation vulnĂ©rable aux variations des marchĂ©s internationaux et aux facteurs Ă©conomiques internes. En particulier, la compensation des prix de l’énergie exerce une pression notable sur le budget de l’État : en 2024, une enveloppe de 7,086 milliards de dinars a Ă©tĂ© allouĂ©e Ă  la compensation des hydrocarbures et de l’électricitĂ©, contre 7,030 milliards en 2023. Cette situation limite la capacitĂ© de l’État Ă  investir dans d’autres secteurs essentiels tels que l’éducation, la santĂ© et les infrastructures.

De plus, la volatilitĂ© des prix internationaux du pĂ©trole des cours des produits alimentaires (blĂ©, orge, sucre, riz etc.) et les fluctuations du taux de change du dinar rendent difficile la prĂ©vision et la gestion efficace de ces dĂ©penses. 

Face Ă  ces dĂ©fis, le gouvernement tunisien doit tĂŽt ou tard procĂ©der Ă  des rĂ©formes pour rationaliser le systĂšme de subventions des prix des produits de consommation de base et Ă©nergĂ©tiques, avec pour objectif de rĂ©duire le fardeau financier sur le budget de l’État tout en protĂ©geant les populations vulnĂ©rables contre les hausses des prix de l’énergie. Une des solutions que j’avais proposĂ© dans mon avant-dernier article est de crĂ©er une caisse autonome de compensation financĂ©e par des taxes «pigurrienes» telles qu’un impĂŽt sur le capital oisif ou un impĂŽt sur le patrimoine, afin de dĂ©charger le budget de l’Etat du poids de la compensation et sans en priver  les catĂ©gories sociales les plus vulnĂ©rables.

Si on tient compte du fait que le FMI n’a jamais exigĂ© la suppression immĂ©diate et d’un seul coup de la compensation mais l’élaboration d’une stratĂ©gie et d’un programme Ă©talĂ©s sur plusieurs annĂ©es pour arriver Ă  cet objectif, on peut considĂ©rer que la perte maximale associĂ© au risque de premiĂšre espĂšce de cette rĂ©forme est faible.

Risque de premiĂšre espĂšce associĂ© Ă  la perte de la souverainetĂ© nationale 

C’est le principal argument avancĂ© par notre PrĂ©sident pour justifier non seulement le rejet des conditions de FMI mais mĂȘme la rupture de toute collaboration avec lui.A ce sujet, il faut bien qu’on ouvre les yeux et qu’on ne prenne pas nos rĂȘves pour de la rĂ©alitĂ©. En effet, de quelle souverainetĂ© nationale parle notre PrĂ©sident lorsqu’on doit importer 87% du blĂ© dur et 73% de l’orge que nous consommons chaque annĂ©e, que l’on doit taper Ă  la porte du FMI ou d’autres bailleurs de fonds pour obtenir des prĂȘts en devises pour rembourser notre dette et payer nos importations, ou que l’on doit demander l’aumĂŽne au Roi de l’Arabe Saoudite pour qu’il veuille bien nous accorder 87 millions de dollars pour financier la construction d’un hĂŽpital Ă  Kairouan ou Ă  l’Émir du KoweĂŻt pour qu’il nous accorde 100 millions de dollars pour construire quatre autres hĂŽpitaux, des sommes qui constituent des miettes pour ces Rois et Émirs?

La vĂ©ritable souverainetĂ© nationale ne viendra que le jour oĂč nous serons capables de produire nous-mĂȘmes ce que nous consommons, ou exporter nos produits pour pouvoir en importer d’autres. Tout le reste, ce sont des discours naĂŻfs, utopiques et populistes entiĂšrement dĂ©connectĂ©s de la rĂ©alitĂ© qu’on peut Ă  la limite tenir dans la buvette des facultĂ©s, mais pas quand on dĂ©tient le sort de 12 millions de Tunisiens entre les mains.

Pour rĂ©sumer, la perte maximale associĂ©e au risque de premiĂšre espĂšce liĂ© Ă  la dĂ©cision de Kais SaĂŻed, je prendrais l’exemple d’un cancer, que Dieu nous en prĂ©serve tous. Pour moi, tant les dĂ©ficits chroniques des entreprises publiques, que le poids de la masse salariale des fonctionnaires sur le budget de l’Etat et le fardeau de la compensation, sont comme des cancers qui rongent les finances publiques: soit on choisit de les ignorer avec le risque que l’économie nationale s’effondre au bout de quelques annĂ©es, soit de les soigner par des chimio ou radiothĂ©rapies avec tous les dĂ©sagrĂ©ments qui en rĂ©sultent : vomissements, diarrhĂ©es, perte de cheveux,.., avec l’espoir de guĂ©rison au bout. C’est aussi simple et dramatique que cela.

Risque de deuxiĂšme espĂšce associĂ© Ă  la dĂ©cision de Kais SaĂŻed 

C’est celui que reprĂ©sente la dĂ©cision de refuser les conditions posĂ©es par le FMI pour le dĂ©blocage du prĂȘt de 1,9 milliards de dollars et mĂȘme d’annoncer la rupture de toute collaboration avec lui, alors que l’avenir montrera que notre PrĂ©sident avait tort de prendre cette dĂ©cision

Comme pour le risque de premiĂšre espĂšce, la perte maximale (au pire des cas) est la somme de plusieurs pertes probables :

– perte des 1,9 milliards de dollars qui auraient Ă©tĂ© les bienvenus dans une conjoncture aussi difficile que celle que traverse notre Ă©conomie; c’est mĂȘme une perte certaine et non probable puisqu’on ne verra plus la couleur de ces dollars;

– nos entreprises publiques continueront Ă  ĂȘtre de plus en plus dĂ©ficitaires et incapables de rĂ©aliser les investissements nĂ©cessaires pour amĂ©liorer la qualitĂ© des services publics qu’ils fournissent aux usagers;

– la masse salariale des fonctionnaires continuera Ă  creuser le dĂ©ficit du budget de l’Etat, avec des difficultĂ©s de financement et un dĂ©tournement plus grand des ressources des banques locales pour le financement du dĂ©ficit de l’État plutĂŽt que des entreprises et des investisseurs privĂ©s;

– le budget de la compensation pĂšsera de plus en plus lourd sur le budget de l’Etat en raison de la fluctuation des cours internationaux des produits alimentaires et Ă©nergĂ©tiques et du glissement lent mais continu du taux de change du dinar;

– ces trois facteurs combinĂ©s alourdiront d’une annĂ©e Ă  l’autre les dĂ©ficits budgĂ©taires de l’État, augmenteront son endettement interne et externe et dĂ©trĂŽneront ses rares ressources de l’investissement en infrastructures, santĂ©, Ă©ducation, etc., pour amĂ©liorer la qualitĂ© des services publics, y compris pour les catĂ©gories sociales vulnĂ©rables pour la protection desquelles le PrĂ©sident a cru bon de refuser les conditions du FMI et mĂȘme rompre avec lui;

– ils accroissent aussi le risque d’une pression fiscale encore plus grande, faute de trouver d’autres sources de financement internes et externes;

– sans l’aval de FMI, les autres bailleurs de fonds n’accepteront pas de nous accorder des prĂȘts en devises pour honorer les Ă©chĂ©ances de notre dette extĂ©rieure et importer nos produits alimentaires, mĂ©dicaments, pĂ©trole, etc. A ce sujet, il faut bien noter que nos banques commerciales ne peuvent souscrire qu’à des emprunts libellĂ©s en dinars, et que la banque centrale ne peut crĂ©er grĂące Ă  la planche Ă  billets que des dinars aussi, et que ni les unes ni l’autre ne peuvent crĂ©er des dollars ou des euros qui ne peuvent provenir que de l’exportation de biens et de services, tels que le tourisme, ou des transferts effectuĂ©s par nos TRE au profit de leurs familles restĂ©es en Tunisie;

– tant que les investissements publics et privĂ©s restent faibles et que les taux de croissance Ă©conomique continuent Ă  osciller entre 1% et 2% (1,4% en 2024), soient des taux nettement plus fiables que les taux d’intĂ©rĂȘt auxquels nous avons empruntĂ© souvent Ă  long terme, le dĂ©faut de paiement de la dette publique est mathĂ©matiquement inĂ©luctable et le passage devant le Club de Paris n’est qu’une question de temps.

Dans ce cas, on risque de perdre pour de bon et dans des conditions humiliantes notre souveraineté nationale que Saïed pense avoir sauvé en rejetant les conditions du FMI et en rompant avec lui.

DĂ©jĂ  sans en arriver lĂ , ce que personnellement et en tant que Tunisien je ne souhaite pas, trouver dans le communiquĂ© du FMI en date du 14 mars 2025 le nom de la Tunisie parmi les rares pays dans le monde dont les consultations en vertu de l’article IV avec FMI sont retardĂ©es, tels que la Syrie, le YĂ©men, le Soudan et l’Afghanistan, des pays dont le seul nom Ă©voque la famine ou la guerre civile quand ce n’est pas les deux Ă  la fois, est une bien triste nouvelle et ne prĂ©sage rien  de bon pour l’avenir de notre pays.

En rĂ©sumĂ© de cet exercice de transposition du raisonnement qui est la base du modĂšle du Minimax Ă  la dĂ©cision que devait prendre Kais SaĂŻed en relation avec le FMI, il apparaĂźt clairement pour le commun des mortels dotĂ© du minimum de bon sens  que le minimum du risque maximum, en termes d’assainissement des finances publiques y compris en termes de prĂ©servation de la paix sociale et de la souverainetĂ© nationale, se  trouve bel et bien dans la dĂ©cision d’accepter les rĂ©formes structurelles demandĂ©es par le FMI quitte Ă  bien nĂ©gocier les conditions de le leur mise en Ɠuvre et le planning de leur exĂ©cution.

Pour conclure cet article, j’hĂ©site entre deux conclusions possibles:

– soit rappeler qu’en Ă©conomie, comme dans tous les domaines de la vie «celui qui n’avance pas recule» et que des petits pays qui n’ont pas davantage de ressource naturelles ou humaines, tels que la CĂŽte d’Ivoire ou le Rwanda ou l’Ethiopie ou mĂȘme la petite Gambie (1,5 millions d’habitants) arrivent Ă  faire 5 ou mĂȘme 7% de croissance Ă©conomique annuelle et sont donc en train de nous rattraper et mĂȘme de nous dĂ©passer grĂące Ă  leur seule bonne gouvernance Ă©conomique; 

– soit parler Ă  notre PrĂ©sident dans le langage qu’il semble comprendre le mieux, celui du bonheur ! Etant donnĂ© qu’il n’avait pas hĂ©sitĂ© Ă  proposer le plus sĂ©rieusement du monde de remplacer le calcul du PIB (Produit IntĂ©rieur Brut) par un autre PIB (Produit IntĂ©rieur du Bonheur), a-t-il pris le temps de lire, entre deux poĂšmes de Bayram Ettounsi, que, selon The World Happiness Report basĂ© sur des donnĂ©es rĂ©coltĂ©es par un sondage mondial Gallup dans plus de 140 pays au cours des trois annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, soit de 2022 Ă  2024, la Tunisie se classe 113e, loin derriĂšre l’AlgĂ©rie (84e) et mĂȘme la Libye (79e)?

Post scriptum : les lecteurs et lectrices, que je suis le premier Ă  regretter que mes analyses Ă©conomiques pessimistes dĂ©priment, peuvent toujours aller sur mon blog «PoĂšmes de la vie» pour rĂȘver avec moi d’un monde meilleur. Avec sa politique, Kais SaĂŻed peut nous enlever beaucoup de choses, mais ne pourra jamais nous enlever la capacitĂ© de rĂȘver !

* Economiste, consultant international.

L’article La dĂ©cision de Kais SaĂŻed de rompre les relations avec le FMI analysĂ©e par le modĂšle du Minimax est apparu en premier sur Kapitalis.

Quel modÚle de développement économique pour la Tunisie de Kais Saïed?

18. MĂ€rz 2025 um 10:00

L’auteur de cet article, un Ă©conomiste universitaire ayant enseignĂ© diffĂ©rentes disciplines de l’économie pendant vingt ans et l’ayant pratiquĂ© en tant que consultant international pendant vingt autres annĂ©es, se livre Ă  un exercice inĂ©dit : associer Ă  chacun des prĂ©sidents qui ont gouvernĂ© la Tunisie depuis son indĂ©pendance, le nom d’un grand Ă©conomiste dont lui ou son gouvernement ont appliquĂ© les idĂ©es souvent sans le savoir. Il propose Ă  la fin de son analyse au prĂ©sident Kais SaĂŻed une Ă©cole de pensĂ©e Ă©conomique et les axes d’un modĂšle de dĂ©veloppement qui tiennent compte de sa vision politique et de ses valeurs et lui permettront de transformer ses rĂȘves pour la Tunisie en rĂ©alitĂ©. Un article trĂšs pĂ©dagogique et didactique Ă  lire et Ă  faire lire aux plus hauts responsables du pays.

Dr. Sadok Zerelli

Il est un fait connu de tout le monde qu’il est plus facile de critiquer que de proposer et plus facile de dĂ©truire que de construire.

Conscient de cela, j’ai toujours fais personnellement des efforts dans tous les articles que j’ai publiĂ©s dans Kapitalis depuis quatre ou cinq ans (une bonne trentaine) de ne pas tomber dans ce travers et de proposer toujours une voie de sortie ou une solution, que je pense est la plus adaptĂ©e aux problĂ©matiques Ă©conomiques que j’analyse dans ces articles, qu’il s’agisse de la politique monĂ©taire suivie par la BCT, ou de la dĂ©cision de Kais SaĂŻed de rompre les relations avec le FMI, ou mĂȘme de cette derniĂšre loi catastrophique sur les chĂšques qui s’avĂšre non pas avant-gardiste en engendrant un moindre usage des billets de banques dans l’économie, comme le proclamaient haut et fort sur tous les mĂ©dias ses auteurs et dĂ©fenseurs, mais bien arriĂšre-gardiste qui s’est traduite, au contraire, par l’accroissement des paiements en espĂšces dont le montant a explosĂ© depuis la promulgation de cette loi, comme malheureusement je l’avais prĂ©dit dans quatre ou cinq articles que j’avais consacrĂ©s Ă  ce sujet (Notamment le dernier en date ‘‘Six questions aux auteurs de la nouvelle loi sur les chĂšques’’).

Il est une rĂ©alitĂ© aussi relevĂ©e par l’opinion publique, tous les responsables politiques et tous les observateurs Ă©conomiques, qu’alors que les plus grands dĂ©fis qui se posent pour la Tunisie depuis quelques annĂ©es dĂ©jĂ  sont d’ordre Ă©conomique, la dĂ©mission des Ă©conomistes de ce pays devant leurs responsabilitĂ©s est flagrante et leur silence est assourdissant.

En effet, Ă  part moi-mĂȘme et quelques autres Ă©conomistes qui se comptent sur les doigts d’une seule main, dont le Professeur Hachemi Alaya, l’un des meilleurs Ă©conomistes que ce pays a enfantĂ©s et l’un des rares qui mĂ©ritent de porter le titre de «Professeur des UniversitĂ©s» en sciences Ă©conomiques, contrairement Ă  plus de deux mille autres (dont je n’ai pas l’honneur de faire partie), dont on n’entend ni ne lit jamais les analyses, Ă  part quatre ou cinq bien introduits dans les cercles mĂ©diatiques et qui sont d’ailleurs toujours les mĂȘmes Ă  occuper le devant de la scĂšne audiovisuelle et dont la superficialitĂ© et la  banalitĂ© des analyses font Ă  mon avis honte Ă  la profession.

Un modÚle développement pour quelle Tunisie ?

J’ai tenu Ă  prĂ©ciser dans le titre de cet article que mon objectif final Ă  travers cet essai est de proposer un modĂšle de dĂ©veloppement pour la Tunisie de 2025 gouvernĂ©e par Kais SaĂŻed, qui n’est pas celle de 1956-1987 gouvernĂ©e par Bourguiba, ni celle de 1987-2010 gouvernĂ©e par Ben Ali, ni celle de 2011-2019 gouvernĂ©e par le tandem Ghannouchi/CaĂŻd Essebsi, suite Ă  leur fameuse rencontre Ă  Paris et leur entente pour se partager le pouvoir, l’un au Palais du Bardo et l’autre au Palais de Carthage.

En effet, il est clair que tant sur le plan du contexte politique international, que dĂ©mographique et sociologique propres Ă  la Tunisie ainsi que politique, il y a eu de grands changements d’une pĂ©riode Ă  l’autre, dont on doit compter si on veut ĂȘtre rĂ©aliste et appliquer avec rigueur la maxime de l’homme le plus riche du monde et le gĂ©nie du temps modernes, Elon Musk, Ă  savoir : un problĂšme bien posĂ© est un problĂšme Ă  moitiĂ© rĂ©solu.

Ainsi, sur le plan du contexte international et si je m’en tiens Ă  comparer les deux pĂ©riodes les plus extrĂȘmes dans le temps, celle de Bourguiba et celle de Kais SaĂŻed, il est Ă©vident qu’il y a une grande diffĂ©rence entre le contexte de la guerre froide et de la vive compĂ©tition entre les blocs Est et Ouest des annĂ©es 1960/1970 et celle de la guerre d’Ukraine avec domination des Etats-Unis comme seule superpuissance mondiale qu’on vit actuellement. MĂȘme la personnalitĂ© et le charisme des principaux dirigeants du monde ne sont plus les mĂȘmes : on ne peut pas comparer un Donald Trump Ă  un John Kennedy ou un Emanuel Macron Ă  un Charles De Gaulle


Sur le plan dĂ©mographique et sociologique, on ne peut pas comparer la Tunisie de Bourguiba avec des familles souvent nombreuses et une mĂšre souvent au foyer qui s’occupent bien de ses enfants Ă  la Tunisie Kais SaĂŻed avec des familles de deux ou trois enfants, des mĂšres qui travaillent et des enfants souvent livrĂ©s Ă  eux-mĂȘmes. Les jeunes ne sont plus les mĂȘmes et n’ont plus les mĂȘmes valeurs et visions de la vie : entre jouer Ă  la toupie ou aux billes et lire Taha Hussein, comme ma gĂ©nĂ©ration le faisait du  temps de Bourguiba, et lire Harry Potter et naviguer sur Tik-Tok ou Facebook comme le font les enfants d’aujourd’hui, il y de sacrĂ©es diffĂ©rences qui impactent la personnalitĂ© et les comportements des jeunes et donc des futurs consommateurs et producteurs qu’ils seront.

Sur le plan du rĂ©gime politique aussi, et sans trop m’avancer sur ce terrain minĂ© et courir le risque de dĂ©tourner l’objet de cet article qui est d’ordre Ă©conomique et non politique, je dirais que le type de rĂ©gime prĂ©sidentiel, la rĂ©partition des pouvoirs au sein d’un mĂȘme type, et les dispositions des constitutions de 1958, 2014 et 2021 sont forts diffĂ©rentes, ce qui doit ĂȘtre pris en compte dans le choix du modĂšle de dĂ©veloppement Ă©conomique Ă  proposer Ă  Kais SaĂŻed, car le lien entre l’économique et le politique n’est plus Ă  dĂ©montrer.

Les sciences Ă©conomiques, au pluriel 

Ce n’est pas un hasard qu’on ne parle pas de la science Ă©conomique au singulier mais des sciences Ă©conomiques au pluriel, parce qu’il existe effectivement plusieurs Ă©coles de pensĂ©e qui prĂ©sentent chacune une vision diffĂ©rente du type de sociĂ©tĂ© visĂ©, des objectifs Ă  atteindre en matiĂšre de rĂ©partition de la richesse nationale entre plusieurs classes de la sociĂ©tĂ© et des politiques Ă©conomiques les plus efficaces pour y arriver. 

L’ objet de cet article, qui se veut pĂ©dagogique et didactique, est justement de prĂ©senter et d’expliquer dans le langage le plus simple accessible au grand public, les principales Ă©coles de pensĂ©es Ă©conomiques, d’identifier laquelle se trouve Ă  la base des diffĂ©rentes politiques Ă©conomiques menĂ©es en Tunisie depuis son indĂ©pendance et de «marier» chacun des PrĂ©sidents qui ont gouvernĂ© notre pays au grand Ă©conomiste, considĂ©rĂ© comme le chef de file de l’école de pensĂ©e, dont ce PrĂ©sident ou son gouvernement a Ă©pousĂ© les idĂ©es et les a appliquĂ©es consciemment ou pas. L’objectif final est d’identifier pour le PrĂ©sident SaĂŻed, qu’on peut considĂ©rer comme encore «cĂ©libataire» dans le sens oĂč il est manifestement encore Ă  la recherche de l’école de pensĂ©e Ă©conomique avec laquelle il pourrait Â«se fiancer» et qui lui permettrait de rĂ©aliser le modĂšle de sociĂ©tĂ© dont il rĂȘve pour la Tunisie de l’aprĂšs le 25 juillet 2021.

Le couple Bourguiba/Keynes 

John Maynard Keynes (1883-1946) est un Ă©conomiste anglais qui a probablement le plus marquĂ© l’histoire de la pensĂ©e Ă©conomique, plus mĂȘme que le fondateur de l’économie en tant que discipline, Adam Smith (1723-1790), qui a Ă©tĂ© anoblit par la reine d’Angleterre pour ses travaux de recherche synthĂ©tisĂ©s dans son fameux livre qui s’enseigne encore dans toutes les facultĂ©s de sciences Ă©conomiques dans le monde (‘‘La ThĂ©orie gĂ©nĂ©rale de l’emploi, de l’intĂ©rĂȘt et de la monnaie’’,1936). Dans ce livre, il remet en question les idĂ©es classiques et nĂ©oclassiques en vigueur Ă  son Ă©poque, selon lesquelles l’économie s’autorĂ©gule et le marchĂ© assure naturellement et Ă  long terme le plein emploi. Keynes montre dans cet ouvrage que l’économie peut rester bloquĂ©e Ă  court terme en situation de sous-emploi (chĂŽmage et rĂ©cession persistants) et que l’intervention de l’État est nĂ©cessaire pour relancer l’activitĂ© Ă©conomique. Un de ses arguments est sous la forme d’une boutade restĂ©e cĂ©lĂšbre qui a consistĂ© Ă  dire que, mĂȘme si les classiques et nĂ©oclassiques avaient raison de considĂ©rer que le libre fonctionnement du marchĂ© permet d’atteindre Ă  long terme le plein emploi, Â«Ă  long terme on est tous morts», et personne ne sera encore lĂ  pour le vĂ©rifier !

La pensée keynésienne repose sur quatre idées fondamentales trÚs novatrices à cette époque qui était dominée par la pensée néoclassique :

  • la demande globale (consommation publique et privĂ©e + investissement + exportation) est le moteur de la croissance Ă©conomique;
  • une politique budgĂ©taire expansionniste, qui consiste Ă  augmenter les dĂ©penses publiques mĂȘme en recourant s’il le faut Ă  un budget volontairement dĂ©ficitaire, permet de relancer la croissance et rĂ©sorber le chĂŽmage;
  • il faut baisser les impĂŽts directs et indirects pour stimuler la consommation et l’investissement, donc la croissance Ă©conomique;
  • il faut appliquer une politique monĂ©taire accommodante basĂ©e sur la rĂ©duction du taux directeur de la banque centrale et de faibles taux d’intĂ©rĂȘt bancaire pour inciter les entreprises et les mĂ©nages Ă  emprunter et Ă  investir.  

La pensĂ©e keynĂ©sienne a Ă©tĂ© appliquĂ©e avec succĂšs par tous les pays occidentaux Ă  la sortie de la deuxiĂšme guerre mondiale (notamment par le ‘New Deal’ du PrĂ©sident Roosevelt aux Etats-Unis), et a gĂ©nĂ©rĂ© ce qu’on appelle encore aujourd’hui avec nostalgie «les trente glorieuses» en rĂ©fĂ©rence aux trente annĂ©es durant lesquelles les principaux pays occidentaux ont connu une forte croissance Ă©conomique sans chĂŽmage et une nette Ă©lĂ©vation des niveaux de vie (1950-1980).

Bourguiba, un grand visionnaire comme l’était Keynes, a su Ă©pouser les idĂ©es de ce dernier et a lancĂ© dĂšs le dĂ©but de l’indĂ©pendance un vaste programme d’emploi massif de dizaines de milliers de chĂŽmeurs sur des chantiers qu’il savait pratiquement improductifs mais qui permettaient de leur distribuer des salaires pour augmenter leur consommation et donc la demande globale.

Dans le domaine de l’investissement, autre composante de la demande finale, sa politique Ă©conomique d’inspiration keynĂ©sienne s’est traduite par la crĂ©ation de grands pĂŽles de dĂ©veloppent rĂ©gionaux (raffinerie Ă  Bizerte, usine de cellulose Ă  Kasserine, de sucre Ă  BĂ©ja, chimique Ă  GabĂšs, El-Fouledh Ă  Menzel Bourguiba, etc.), souvent financĂ©s par le recours Ă  l’endettement extĂ©rieur, et une politique monĂ©taire accommandante de la part de la BCT qui se traduisait par de faibles taux d’intĂ©rĂȘt, comme le prĂ©conisait Keynes.

Soixante ans aprĂšs, on peut dire avec le recul que le couple Bourguiba/Keynes a plutĂŽt bien rĂ©ussi Ă  relever les dĂ©fis qui se posaient Ă  l’époque et que leurs progĂ©nitures, en l’occurrence toute ma gĂ©nĂ©ration, en ont largement profitĂ© sous forme d’enseignement gratuit, de bourses d’études, de soins mĂ©dicaux gratuits, etc.

Le couple Nouira/ Marshall

AprĂšs l’échec cuisant en 1969 de la politique collectiviste des coopĂ©ratives agricoles prĂŽnĂ©e par Ahmed Ben Salah, Bourguiba en vĂ©ritable «animal» politique qu’il Ă©tait, a effectuĂ© un virage de 180° et a confiĂ© les rĂȘnes de la politique Ă©conomique Ă  Hedi Nouira, Gouverneur de la Banque Centrale, qui ne cachait pas ses idĂ©es libĂ©rales. Celles-ci sont basĂ©es sur les enseignements de l’école nĂ©oclassique, menĂ©e par Alfred Marshall (1842-1924) qui, par son ouvrage ‘‘Principles of Economics’’ (1890), a jouĂ© un rĂŽle central dans la formalisation de cette Ă©cole de pensĂ©e, notamment en dĂ©veloppant les concepts d’élasticitĂ©et de coĂ»t marginal et en structurant l’économie comme une discipline mathĂ©matisĂ©e et analytique.

L’idĂ©e Ă  la base de cette thĂ©orie est que les marchĂ©s sont efficaces et que l’offre et la demande dĂ©terminent naturellement le niveau des prix et le volume de la production. Son hypothĂšse de base est qu’il existe un «Homo Ɠconomicus», un ĂȘtre imaginaire parfaitement rationnel et bien informĂ©, qui cherche toujours Ă  maximiser sa fonction d’utilitĂ© tandis que les entreprises cherchent toujours Ă  maximiser leurs bĂ©nĂ©fices.

Contrairement Ă  l’école keynĂ©sienne, l’école nĂ©oclassique prĂ©conise que l’Etat ne doit pas intervenir dans la vie Ă©conomique d’un pays et qu’il doit juste assumer ses fonctions rĂ©galiennes de puissance publique (justice, police, diplomatie, armĂ©e, etc.).

Un des enseignements de cette thĂ©orie est que tous les facteurs de production (travail et capital) doivent ĂȘtre rĂ©munĂ©rĂ©s selon leur productivitĂ© marginale (supplĂ©ment de production) en particulier les travailleurs, justifiant ainsi l’inĂ©galitĂ© des salaires entre les cadres et les ouvriers et la distribution inĂ©gale du revenu national entre les travailleurs et les capitalistes et entre les classes sociales.

Avec l’élection de Margaret Thatcher au Royaume-Uni et de Ronald Reagan aux États-Unis au dĂ©but des annĂ©es 1980, deux dirigeants mondiaux conservateurs, cette Ă©cole de pensĂ©e nĂ©oclassique, qui date du XIXe et du dĂ©but du XXe siĂšcle, est redevenue Ă  la mode.

Ce sont les idĂ©es de cette Ă©cole de pensĂ©e, qu’on appelle aussi l’école marginaliste, qui ont inspirĂ© Hedi Nouira pour promulguer la fameuse loi de 1972 qui ouvre largement les portes de la Tunisie aux investissements directs Ă©trangers (IDE), en tablant sur les bas salaires des ouvriers qui doivent ĂȘtre payĂ©s, conformĂ©ment Ă  la thĂ©orie nĂ©oclassique, selon leur productivitĂ© marginale qui est faible en raison de leurs faibles qualifications.

Le couple Ben Ali / Lucas

L’économiste American Robert Lucas (1937-2023) a expliquĂ© dans son cĂ©lĂšbre livre ‘‘Les anticipations rationnelles’’ (1970), que les individus anticipent les dĂ©cisions Ă©conomiques du gouvernement, ce qui rend inefficaces les politiques de relance keynĂ©siennes.

L’idĂ©ologie nĂ©olibĂ©rale, dont il est considĂ©rĂ© comme le chef de file, est une idĂ©ologie Ă  la fois politique et Ă©conomique, qui applique certaines idĂ©es nĂ©o-classiques mais va plus loin en prĂŽnant des rĂ©formes structurelles pour libĂ©raliser l’économie, supprimer les rĂ©gulations qui entravent le marchĂ©, rĂ©duire les barriĂšres douaniĂšres pour ouvrir davantage l’économie au marchĂ© international, privatiser les entreprises publiques etc. 

Cette idĂ©ologie, qui est Ă  l’origine de l’apparition dans les annĂ©es 1990 du phĂ©nomĂšne de la mondialisation, se retrouve encore aujourd’hui dans le type de rĂ©formes structurelles que le FMI et la Banque Mondiale exigent des pays qui leur demandent des prĂȘts, comme conditions prĂ©alables pour leur en accorder (c’est ce qui a justifiĂ© la derniĂšre dĂ©cision de Kais SaĂŻed de rompre les relations avec le FMI).

C’était le cas pour Plan d’Ajustement Structurel (PAS), appliquĂ© par la Tunisie dans les annĂ©es 1990 qui avait pour but de stabiliser l’économie et de rĂ©former les finances publiques aprĂšs la crise Ă©conomique et la forte dette accumulĂ©e durant les annĂ©es 1980.

Les objectifs et mesures du PAS Ă©taient : 

  • stabilisation macroĂ©conomique : rĂ©duction des dĂ©ficits budgĂ©taires et maĂźtrise de l’inflation; 
  • libĂ©ralisation de l’économie : suppression de certaines subventions, privatisations, ouverture aux investissements Ă©trangers;  
  • rĂ©duction du rĂŽle de l’État : privatisation d’entreprises publiques et baisse des dĂ©penses publiques;  
  • rĂ©forme monĂ©taire et fiscale : dĂ©valuation du dinar, encouragement des exportations et modernisation du systĂšme fiscal;  
  • dĂ©rĂ©glementation du marchĂ© du travail : rĂ©forme des codes du travail pour favoriser la flexibilitĂ©.  

Force est de reconnaitre qu’avec le PAS,  le couple Ben Ali/Lucas a obtenu un succĂšs relatif dans le sens oĂč :

– une certaine stabilisation macroĂ©conomique a Ă©tĂ© obtenue (rĂ©duction de l’inflation et des dĂ©ficits budgĂ©taires);

– la Tunisie a connu une croissance Ă©conomique soutenue dans les annĂ©es 1990 Ă  2010 grĂące Ă  l’investissement aussi bien public que privĂ©, l’industrialisation et au dĂ©veloppement des exportations;  

– le pays est devenu plus attractif pour les investissements Ă©trangers.  

Mais comme dans tout couple, le bonheur apparent cache quelque fois de profondes fissures qui finissent avec les annĂ©es par apparaitre :

– la dĂ©valuation du dinar a entraĂźnĂ© une perte du pouvoir d’achat pour la population;  

– les privatisations ont profitĂ© Ă  une minoritĂ© liĂ©e au pouvoir, favorisant la corruption;

– la rĂ©duction des dĂ©penses publiques a affectĂ© l’éducation, la santĂ© et les services sociaux;  

– le chĂŽmage est restĂ© Ă©levĂ©, notamment chez les jeunes et les diplĂŽmĂ©s;

– l’augmentation des inĂ©galitĂ©s sociales et rĂ©gionales a nourri un mĂ©contentement qui a culminĂ© avec la RĂ©volution de 2011.  

En conclusion, je dirais que le couple Ben Ali/Lucas a rĂ©ussi Ă  obtenir une bonne stabilisation macroĂ©conomique, mais a creusĂ© davantage les inĂ©galitĂ©s sociales et rĂ©gionales et a ainsi semĂ© les graines de la rĂ©volte de 2011, dont les rĂ©percussions bouleversent encore aujourd’hui la vie Ă©conomique et politique du pays

Le couple Ghannouchi/Friedman

Il s’agit de la pĂ©riode entre 2011 et jusqu’à la premiĂšre Ă©lection de Kais SaĂŻed comme PrĂ©sident en 2019, durant laquelle on peut considĂ©rer pour ne pas tomber dans un dĂ©bat de politique politicienne, que Rached Ghannouchi a effectivement gouvernĂ© le pays, soit seul Ă  travers les gouvernements dirigĂ©s par ses disciples Hamadi Jebali et Ali Larayedh soit conjointement avec BĂ©ji Caid Essabsi au Palais de Carthage et lui-mĂȘme au perchoir de l’ARP.

Les gouvernements qui se sont succĂ©dĂ© durant cette pĂ©riode ont tous appliquĂ©, probablement sans mĂȘme le savoir, une politique Ă©conomique monĂ©tariste, surtout aprĂšs la promulgation de la loi de 2016 qui a accordĂ© Ă  la BCT l’indĂ©pendance de dĂ©cision.

Cette Ă©cole de pensĂ©e, dont le chef de fille est Milton Friedman (1912-2006), cherche Ă  dĂ©terminer comment la monnaie influence l’économie et comment les politiques strictement monĂ©taires peuvent ĂȘtre utilisĂ©es pour relancer la croissance, rĂ©sorber le chĂŽmage et stabiliser l’économie.

Elle repose sur la fameuse Ă©quation quantitative de la monnaie, connue sous le nom de «Equation de Cambridge» (que j’avais exposĂ©e et expliquĂ©e dans plusieurs de mes articles trĂšs critiques Ă  l’égard de la politique monĂ©taire suivie par la BCT, notamment le dernier ‘‘Plaidoyer en faveur de l’amendement de la loi de la BCT’’), qui affirme qu’une augmentation de la masse monĂ©taire entraĂźne mĂ©caniquement une hausse proportionnelle des prix si la vitesse de circulation et la production restent constantes Ă  court terme. Elle attribut la premiĂšre responsabilitĂ© pour lutter contre l’inflation aux banques centrales qui disposent de trois instruments pour le faire :

 â€“ les taux directeurs qui, Ă  travers le taux du marchĂ© monĂ©taire (TMM)  influencent le coĂ»t du crĂ©dit;

 â€“ les opĂ©rations d’«open market» qui se traduisent par l’achat/vente d’obligations et autres actifs financiers pour rĂ©guler le volume de monnaie en circulation;

 â€“ le contrĂŽle des rĂ©serves obligatoires des banques commerciales qui dĂ©terminent leur capacitĂ© Ă  accorder des crĂ©dits Ă  leurs clients et Ă  crĂ©er ainsi de la monnaie scripturale et gonfler la masse monĂ©taire en circulation.

Il faut dire que les enseignements de cette thĂ©orie ont Ă©tĂ© appliquĂ©s souvent avec succĂšs dans les pays dĂ©veloppĂ©s pour maĂźtriser l’inflation Ă  travers la manipulation du taux directeurs fixĂ©s par les banques centrales (BCE, FED
).

Par exemple, c’est grĂące Ă  une telle politique monĂ©taire que des pays comme la France ou les Etats-Unis, qui ont connu des taux d’inflation Ă  deux chiffres (supĂ©rieurs Ă  10%) juste aprĂšs le dĂ©clenchement de la guerre en Ukraine et la flambĂ©e des cours du pĂ©trole et des matiĂšres premiĂšres qui s’en est suivie, ont rĂ©ussi Ă  les ramener pratiquement Ă  2% aujourd’hui en moins de deux ans.

Mais, en Tunisie, la mĂȘme politique monĂ©taire du taux directeur appliquĂ©e depuis que la BCT est devenue indĂ©pendante en 2016 s’est avĂ©rĂ©e un Ă©chec cuisant, puisque l’inflation a atteint Ă  un moment donnĂ© 11,3% et qu’elle reste encore Ă©levĂ©e jusqu’à aujourd’hui (6,7%). La raison est que les deux conditions de base que Friedman lui-mĂȘme a bien indiquĂ©es pour le succĂšs d’une politique du taux directeur pour la maĂźtrise de l’inflation, Ă  savoir une vitesse de circulation de la monnaie stable Ă  court terme et l’existence d’un bon mĂ©canisme de transmission entre l’économie rĂ©elle et l’économie monĂ©taire, sont loin d’ĂȘtre remplies en Tunisie en raison de l’importance du secteur informel (qui reprĂ©sente jusqu’à 54% du PIB, selon certains experts) et de la faible inclusion financiĂšre (seuls 35% des mĂ©nages disposent d’un compte courant bancaire ou postal).

J’ai personnellement publiĂ© depuis trois ou quatre ans une bonne dizaine d’articles Ă  ce sujet, expliquant de long et en large les causes structurelles de cet Ă©chec, formule mathĂ©matique de l’équation quantitative Ă  l’appui et citant mĂȘme Friedman
 mais cela n’a pas empĂȘchĂ© l’ex-gouverneur de la BCT d’augmenter Ă  huit reprises successives le taux directeur jusqu’à atteindre 8% et le nouveau gouverneur (qui n’est mĂȘme spĂ©cialiste en Ă©conomie monĂ©taire mais en Ă©conomie de l’énergie) de le garder Ă  ce niveau jusqu’à aujourd’hui, asphyxiant ainsi les mĂ©nages, les entreprises et prenant en otage les investissements et la croissance Ă©conomique, sans rĂ©ussir pour autant Ă  maĂźtriser l’inflation.

Quant Ă  l’excuse derriĂšre laquelle l’ex comme le nouveau gouverneur ont l’habitude de se cacher pour Ă©chapper Ă  leur responsabilitĂ©, Ă  savoir que c’est le conseil d’administration de la BCT qui dĂ©cide en la matiĂšre, elle est Ă  rejeter d’un revers de la main, parce les membres de ce conseil sont des directeurs gĂ©nĂ©raux dans diffĂ©rents dĂ©partements ministĂ©riels (agriculture, commerce, industrie, transport, etc.) qui, mĂȘme s’ils sont compĂ©tents dans leur domaine, n’ont aucune formation Ă©conomique pour savoir quelle est la politique monĂ©taire la plus adaptĂ©e aux spĂ©cificitĂ©s de l’économie tunisienne et Ă  quelles conditions l’équation quantitative de la monnaie de Friedman, dont ils n’ont probablement jamais entendu parler, pourrait s’appliquer avec succĂšs. Quant aux trois Ă©conomistes universitaires qu’il revient au gouverneur de nommer dans son conseil d’administration, ils le sont souvent sur la base d’affinitĂ© sinon d’amitiĂ© personnelles, compte tenu des Ă©normes jetons de prĂ©sence qu’ils touchent Ă  ce titre.

Pourtant, il existe une autre politique monĂ©taire beaucoup plus efficace et facile Ă  mettre en Ɠuvre pour lutter contre l’inflation, que tous les Ă©conomistes disciples de Friedman mentionnent et que j’ai rappelĂ©e dans tous mes articles, celle des rĂ©serves obligatoires (voir plus haut). En effet, il suffit d’augmenter de quelques points le taux de rĂ©serves obligatoires que les banques commerciales sont tenues de dĂ©tenir pour rĂ©duire drastiquement et mĂ©caniquement leur capacitĂ© Ă  crĂ©er de la monnaie scripturale (on dĂ©montre mathĂ©matiquement que le processus de crĂ©ation monnaie scripturale par les banques commerciales est une suite algĂ©brique qui converge vers l’inverse du taux de rĂ©serves obligatoires).

Il ne fait pas de doute pour moi que si j’habitais le Palais de Carthage, je convoquerais, dĂšs demain, le Gouverneur de la BCT et lui ferais signer dans mon bureau mĂȘme deux circulaires Ă  adresser aux banques commerciales de trois mots chacune : l’une stipule que le taux directeur est de la BCT est diminuĂ© de 8% Ă  4% (c’est son niveau dans des pays Ă  Ă©conomie similaire Ă  la nĂŽtre, tels que le Maroc ou la Jordanie) et l’autre stipulant que le taux de rĂ©serves obligatoires est augmentĂ© de 4%. Si la consommation des mĂ©nages, les investissements des entreprises et la croissance Ă©conomique ne reprendront pas en moins de trois mois sans produire pour autant plus d’inflation, alors je ne suis pas un Ă©conomiste mais un charlatan!

Il reste une question que tous les lecteurs et lectrices se posent certainement et Ă  laquelle je me dois de leur apporter une rĂ©ponse mĂȘme subjective : pourquoi les responsables de la BCT s’entĂȘtent-ils Ă  appliquer une politique du taux directeur pour essayer de maĂźtriser l’inflation plutĂŽt qu’une politique du taux de rĂ©serves obligatoires qu’ils doivent certainement connaĂźtre (c’est du niveau d’un maĂźtrisard en sciences Ă©conomiques)?

La seule rĂ©ponse que je trouve est que la premiĂšre permet aux banques d’accroĂźtre considĂ©rablement leurs bĂ©nĂ©fices puisque le taux de rĂ©munĂ©ration des bons du TrĂ©sor que l’Etat est obligĂ© d’émettre pour financer son dĂ©ficit budgĂ©taire (selon un article pernicieux de la loi de 2016) sont indexĂ©s au taux directeur de la BCT, alors que la seconde rĂ©duit considĂ©rablement leur capacitĂ© Ă  accorder des crĂ©dits, leurs chiffres d’affaires et donc leurs bĂ©nĂ©fices. De lĂ  Ă  dĂ©duire que la BCT est au service du lobby bancaire, je laisse Ă  chacun(e) la libertĂ© de franchir ou non ce pas.

Toujours est-il qu’avec l’échec pour la maitrise de l’inflation, un taux de chĂŽmage dĂ©passant 16% de la population active et mĂȘme 40% parmi les diplĂŽmĂ©s de l’enseignement supĂ©rieur et un taux officiel de croissance Ă©conomique nĂ©gatif de -1,8% en moyenne par an durant la pĂ©riode 2012 et 2021, on ne peut pas dire que le couple Ghannouchi/Friedman a laissĂ© de bons souvenirs aux Tunisiens !

Les possibles «fiançailles» de Kais Saïed avec Arthur Pigou

On peut considĂ©rer notre PrĂ©sident qui, d’aprĂšs ses discours, sait quel type de sociĂ©tĂ© il veut construire pour la Tunisie et quelles valeurs il veut dĂ©fendre, comme un «cĂ©libataire» qui n’a pas encore «trouvĂ© chaussure Ă  son pied», dans le sens oĂč il est encore Ă  la recherche de l’école de pensĂ©e Ă©conomique et du modĂšle de dĂ©veloppement qui lui permettront de rĂ©aliser la Tunisie dont il rĂȘve.
Compte tenu des idĂ©es qu’il dĂ©veloppe dans  ses discours que je ne rate jamais, je lui propose de «se fiancer, en vue d’un futur mariage si entente mutuelle», comme il est d’usage de le dire dans ces circonstances, avec la thĂ©orie Ă©conomique du bien-ĂȘtre (Welfare Theory)  qui a Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©e par plusieurs Ă©conomistes dont le chef de file est Arthur Pigou (1877-1959) dans son cĂ©lĂšbre ouvrage ‘‘The Economics of Welfare’’ (1920).

Pigou a dĂ©veloppĂ© l’idĂ©e que l’État peut amĂ©liorer le bien-ĂȘtre Ă©conomique en corrigeant les dĂ©faillances du marchĂ© et a introduit ce que les Ă©conomistes appellent les «taxes pigouviennes» pour rĂ©duire les effets nĂ©gatifs des externalitĂ©s (exemple : taxe carbone pour lutter contre la pollution, taxe sur le capital oisif que j’avais proposĂ©e dans mon dernier article ‘‘Le prĂ©sident SaĂŻed a-t-il raison de rompre les relations avec le FMI’’).  

L’objectif recherchĂ© par cette Ă©cole de pensĂ©e est la rĂ©alisation de l’optimum de Pareto, qui dĂ©signe une situation d’allocation des ressources matĂ©rielles et humaines disponibles optimale dans le sens oĂč aucune amĂ©lioration du bien-ĂȘtre d’un individu ne peut se faire sans dĂ©tĂ©riorer celui d’un autre.

En pratique, il s’agit de maximiser une fonction d’utilitĂ© collective que Paul Samuelson (1915-2009) appelle «fonction de bien-ĂȘtre social», qui permet d’agrĂ©ger les prĂ©fĂ©rences individuelles pour Ă©valuer le bien-ĂȘtre collectif, et que Kenneth Arrow (1921-2017) a dĂ©montrĂ© par son «thĂ©orĂšme d’impossibilité» qu’elle ne peut pas ĂȘtre construite par simple agrĂ©gation des utilitĂ©s individuelles. Par exemple, si chaque individu dĂ©cide pour maximiser son utilitĂ© individuelle de se rendre dans sa voiture Ă  son travail, il en rĂ©sultera un tel embouteillage sur les routes que personne n’arrivera Ă  temps Ă  son bureau.

Il se trouve que je suis moi-mĂȘme «marié» Ă  cette Ă©cole de pensĂ©e depuis que j’avais soutenu en 1979 Ă  la Sorbonne une thĂšse Doctorat d’Etat portant sur ‘‘L’investissement en infrastructures des transports selon la thĂ©orie d’allocation optimale des ressources’’, devant un jury prĂ©sidĂ© par Maurice Allais qui a reçu en 1988 le prix Nobel d’économie pour ses recherches dans ce domaine. J’en applique les enseignements depuis plus de 30 ans pour l’évaluation de la rentabilitĂ© Ă©conomique d’un grand nombre de programmes projets d’infrastructures rĂ©alisĂ©s en Tunisie et dans une trentaine de pays africains pour le compte des bailleurs de fonds multinationaux tels que la BAD, la BEI, la Banque Mondiale, etc.

Sans trop entrer dans des dĂ©tails techniques et thĂ©oriques, je dirais Ă  l’intention de notre PrĂ©sident que la thĂ©orie du bien-ĂȘtre cherche un Ă©quilibre entre l’objectif d’efficacitĂ© et de croissance Ă©conomique et celui d’une plus grande justice sociale, une prĂ©occupation majeure qu’on retrouve dans tous ses discours. Elle est utilisĂ©e pour justifier et analyser les interventions Ă©conomiques de l’État, notamment :  

– les politiques de redistribution (impĂŽts progressifs, allocations sociales) pour corriger les inĂ©galitĂ©s; 

– les politiques de rĂ©gulation pour corriger les dĂ©faillances de marchĂ© (monopoles, externalitĂ©s nĂ©gatives comme la pollution);

– la justification des investissements publics dans l’éducation, la santĂ© et les infrastructures de transport, qui augmentent le bien-ĂȘtre global.  

Quel ModÚle de développement économique pour la Tunisie de Kais Saïed

La Tunisie a adoptĂ© plusieurs modĂšles de dĂ©veloppement Ă©conomique au fil des dĂ©cennies, mais aucun n’a rĂ©ellement permis d’atteindre un Ă©quilibre durable entre croissance, inclusion sociale et stabilitĂ© financiĂšre. Aujourd’hui, la question du modĂšle de dĂ©veloppement est au cƓur des dĂ©bats, car le pays peine Ă  sortir de la crise Ă©conomique persistante.  

En se basant sur les enseignements de la thĂ©orie du bien-ĂȘtre comme cadre thĂ©orique, et face aux dĂ©fis actuels (croissance faible, dette Ă©levĂ©e, chĂŽmage, inflation, corruption
), les axes du modĂšle de dĂ©veloppement que je propose Ă  notre PrĂ©sident sont :  

  • un modĂšle basĂ© sur l’économie de la connaissance et l’innovation : la Tunisie possĂšde une jeunesse instruite et un fort potentiel en matiĂšre de numĂ©rique. Miser sur l’économie du savoir (technologies, intelligence artificielle, industrie 4.0, biotechnologies
) permettrait d’attirer des investissements et de crĂ©er des emplois qualifiĂ©s;  
  • une transformation vers une Ă©conomie productive et diversifiĂ©e : la Tunisie doit rĂ©duire sa dĂ©pendance aux services et au tourisme en dĂ©veloppant des industries Ă  plus forte valeur ajoutĂ©e, comme l’aĂ©ronautique, les Ă©nergies renouvelables et l’agro-industrie. Cela implique des rĂ©formes pour amĂ©liorer l’environnement des affaires et soutenir les entreprises locales;
  • un modĂšle axĂ© sur le dĂ©veloppement durable : avec la crise climatique et la raretĂ© des ressources naturelles, une transition vers une Ă©conomie verte est nĂ©cessaire. L’investissement dans les Ă©nergies renouvelables, l’agriculture biologique et l’économie circulaire pourrait permettre Ă  la Tunisie de se positionner comme un leader rĂ©gional en matiĂšre de dĂ©veloppement durable.  
  • Une Ă©conomie plus inclusive et Ă©quilibrĂ©e : la croissance ne peut ĂȘtre durable que si elle bĂ©nĂ©ficie Ă  toutes les rĂ©gions du pays. Un dĂ©veloppement rĂ©gional Ă©quilibrĂ©, avec une meilleure rĂ©partition des infrastructures et des opportunitĂ©s Ă©conomiques, est crucial pour rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s sociales et territoriales.  

Ce modĂšle nĂ©cessitera des rĂ©formes profondes pour amĂ©liorer la gouvernance, renforcer l’éducation, moderniser l’administration et attirer les investissements. Sans ces transformations, la Tunisie risque de rester dans un cercle vicieux de crises Ă©conomiques et sociales, avec le risque de dĂ©faut de paiement et le Club de Paris Ă  l’horizon

Post Scriptum 1 : Je doute fort qu’un tel article acadĂ©mique et didactique soit lu par notre PrĂ©sident, qui paraĂźt-il, prĂ©fĂšre la lecture des poĂšmes de Bayram Ettounsi
 que ce genre d’articles Ă©conomiques rĂ©barbatifs.   Cependant, s’il m’aurait permis d’enrichir la culture Ă©conomique du public et partager avec lui un tant soit peu mes connaissances acquises au prix d’une vie d’études universitaires et de pratique de l’économie un peu partout dans le monde, je ne regretterais pas de l’avoir rĂ©digĂ©.

Post Scriptum 2 : Le seul bĂ©nĂ©fice que je peux espĂ©rer retirer de la rĂ©daction de ce genre d’article que je fais gratuitement et qui me demande beaucoup d’efforts, est quelques visiteurs de plus de mon blog «PoĂšmes de la vie», pour y lire mes poĂšmes sur ce que les poĂštes grecs appellent la «finitude» et que j’appelle «l’insignifiance des ĂȘtres et des choses». Ils y trouveront un dernier poĂšme que j’ai appelĂ© «Donne-moi la main pour traverser ensemble» (il ne s’agit pas de traverser la MĂ©diterranĂ©e sur un bateau de fortune pour immigrer clandestinement
 !).

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