Le romancier Boualem Sansal, otage des relations exécrables entre Paris et Alger ?
« La colonisation a laissé l’Algérie en ruines ». Tel est le constat implacable du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, en évoquant les relations exécrables entre Alger et Paris devant le Parlement. L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, incarcéré dans les geôles algériennes, semble en faire les frais.
Les langues de vipère avancent l’idée qu’Alger n’a élargi un si grand nombre de prisonniers que pour maintenir son détenu actuellement le plus célèbre, le romancier et essayiste Boualem Sansal, au fond d’une cellule.
Pour rappel, le romancier franco-algérien de 75 ans a été interpellé puis incarcéré le 16 novembre dernier à son arrivée à l’aéroport d’Alger. Malade, il alterne depuis les séjours à l’hôpital de Mustapha à Sidi M’Hamed, près d’Alger, et la prison. Au demeurant, il risque l’enfermement à perpétuité, poursuivi au titre de l’article 87 bis du Code pénal algérien ; un texte qui sanctionne les actions « visant la sûreté de l’État, l’intégrité du territoire, la stabilité et le fonctionnement normal des institutions ».
Le 11 décembre, sa demande de remise en liberté a été rejetée par la chambre d’accusation de la Cour d’appel d’Alger. Son avocat français, maître François Zimeray, peine encore à obtenir un visa pour voir son client.
« Un imposteur »
Or, alors que son comité de soutien en France s’attendait à un « geste » de la part des autorités algériennes – la présidence algérienne ayant annoncé dans un communiqué, le 24 décembre, que le chef d’État Abdelmadjid Tebboune était sur le point de faire bénéficier 2 471 détenus de la grâce présidentielle, ajoutant – qu’ « il a, en outre, décidé des mesures d’apaisement au profit de huit détenus en détention provisoire ou en attente de jugement », cet espoir fut douché dimanche 29 décembre, quand, réagissant publiquement pour la première fois à l’arrestation du Franco-algérien, le chef de l’Etat algérien s’en est pris avec une rare violence au détenu dans les prisons algériennes.
« Voilà un imposteur, a-t-il déclaré devant le Parlement algérien, qui ne connaît pas son identité, ne connaît pas son père et vient dire que la moitié de l’Algérie appartient à un autre Etat ».
Une affaire d’Etat
Visiblement, l’auteur du Serment des barbares (Gallimard, 1999) paie la facture des conflits frontaliers historiques entre le Maroc et l’Algérie.
En effet, à l’occasion de la sortie de son nouveau livre Le français, parlons-en!, l’invité du média français « Frontières », réputé d’extrême droite, déclara le 2 octobre 2024 que « quand la France a colonisé l’Algérie, toute la partie Ouest de l’Algérie faisait partie du Maroc : Tlemcem, Oran et même jusqu’à Mascara. Toute cette région faisait partie du royaume ».
Ainsi, l’homme de lettres né d’un père marocain et d’une mère algérienne reprend la position du Maroc selon laquelle son territoire aurait été tronqué sous la colonisation française au profit de l’Algérie. Des propos d’une extrême gravité qui remettent en cause l’intégrité même du territoire algérien !
Règlement de comptes
D’autre part, dans le même discours à la nation prononcé devant les deux chambres du Parlement, Abdelmadjid Tebboune, réélu pour un deuxième mandat début septembre, aura évoqué le cas Boualem Sansal pour s’en prendre vivement à l’ancienne puissance coloniale.
« Ceux qui disent que les Français ont laissé un paradis à l’Algérie devraient savoir que 90 % du peuple algérien était analphabète au moment de l’indépendance », a souligné le chef de l’Etat, estimant que « la colonisation a laissé l’Algérie en ruines » ; ajoutant qu’« ils doivent admettre qu’ils ont tué et massacré des Algériens ».
A la même occasion, le locataire du palais d’Al Mouradia n’a pas manqué d’impliquer la France dans le dossier du Sahara occidental, une ex-colonie espagnole dont le Maroc contrôle 80 % du territoire mais qui est revendiquée par les indépendantistes du Front Polisario soutenus par l’Algérie, en soutenant qu’il s’agissait d’« une question de décolonisation et d’autodétermination; ajoutant que le plan d’autonomie « sous souveraineté marocaine » défendu par Rabat est « une idée française, pas marocaine ». Sachant qu’Alger a retiré son ambassadeur à Paris fin juillet, quand le président français Emmanuel Macron apporta un soutien appuyé aux propositions marocaines sur le Sahara occident, avant de se rendre à Rabat fin octobre.
Sanction
Au final, la crise diplomatique actuelle entre Alger et Paris a-t-elle atteint un point de non-retour? Il est évident que, outre que l’Italie est devenue le premier partenaire commercial de l’Algérie, surclassant ainsi l’ancienne puissance coloniale, et suite à la reconnaissance par Paris de la marocanité du Sahara occidental, Alger aura rétorqué en coupant quasiment tous les canaux de communication avec Paris, y compris ceux des services de renseignements. Or, ces derniers comptent sur leurs partenaires algériens pour échanger afin de prévenir d’éventuels attentats terroristes contre le territoire français. Et ce n’est qu’un début.
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