Sacrifice
Y aura-t-il du méchoui cette année ? La question s’est posée et pendant un certain temps, on a vraiment craint le pire. On a cru qu’il n’y aura pas de sang versé le jour de l’Aïd al-Adha. Il y avait de quoi glacer notre sang dans nos veines. On a eu chaud et il aura fallu l’intervention de l’Office de l’Ifta pour refroidir les ardeurs de ceux qui s’enthousiasment des rumeurs concernant l’annulation du rituel sacrificiel. Dans un communiqué, sans équivoque et signé par le mufti de la République tunisienne lui-même, l’institution dément fermement cette information et rappelle que ce rite prophétique est une sounna confirmée.
C’est là, la signature d’une main de maître, qu’on n’est pas des moutons de Panurge pour suivre aveuglément certains pays, qui ont invité leurs concitoyens à ne pas égorger le mouton en raison des difficultés climatiques et économiques affectant l’élevage. Une prise de position qui a donné des idées à quelques brebis galeuses de chez nous qui ont suggéré de faire pareil, estimant que notre pays rencontre des problèmes similaires. Ils ajoutent à l’argument que la pratique de l’Aïd, essentiellement ostentatoire, perd beaucoup de sa valeur symbolique et que Dieu ne charge pas une âme au-delà de ses capacités.
En voilà des idées, et puis, de quoi elles se mêlent, ces gales? Heureusement que notre mufti est là pour ramener ces brebis au troupeau, histoire d’assurer notre portion annuelle de protéine. En tout cas, le dossier est clos. Le sacrifice aura lieu et notre cheptel ovin saura désormais à quoi s’en tenir. Nos moutons peuvent toutefois se dire qu’ils ne seront pas les seuls à passer à l’autel. A cela, ils partagent le sort des hauts responsables qui ont fini de la même sorte. La liste est longue et cela devra quelque part consoler nos animaux à cornes.
Le parallèle ne s’arrête pas là. C’est que, comme pour eux, le rite se fait dans la joie, sous les applaudissements des spectateurs qui se régalent du spectacle, celui des « chaises musicales ». On parle là de ce jeu en vogue dans lequel l’animateur enlève chaque fois une chaise pour piéger celui qui n’a pas su, ou n’a pas pu, regagner une place à temps.
C’est pour dire que chez nous, on s’amuse comme on peut, même quand on pense que tout le monde continue à tourner dans le vide, tout en prétendant, tous sans exception, connaitre la musique. Pour les chaises, il y en a manifestement pour tous, à tour de rôle il faut dire. Que celles-ci soient éjectables ne semble pas émouvoir plus que ça.
Le dernier en date des chefs de gouvernement en sait quelque chose. Il sait désormais que quand le peuple dit avoir raison, il faut bien qu’il y ait un bouc émissaire, en particulier quand tous les remèdes sont basés sur une erreur de diagnostic initiale.
En parlant de diagnostic, il y en a un qui ressort en ce moment d’une manière crue : qu’en est-il du projet de loi portant amendement de certaines dispositions du Code du travail, qui vise, entre autres, à interdire et à criminaliser la soustraitance ainsi qu’à mettre fin au contrat à durée déterminée (CDD) ? Un projet mû par une volonté d’en finir avec la précarisation de l’emploi, tout en imposant une politique sociale qui protège les travailleurs.
C’est beau, c’est même louable. Reste à savoir si tout cela s’adapte à la réalité du terrain. Un terrain escarpé par des années de disette économique et qu’on risque de sacrifier en le privant d’une main-d’oeuvre devenue très exigeante. La logique économique dit qu’il est plus rentable de laisser un terrain en friche que de le cultiver à perte. Une idée à cultiver en attendant une fatwa pour tirer tout cela au clair, avec l’idée qu’il ne faut pas souffler sur la braise avant de sacrifier le mouton .
Mot de la fin est disponible dans le Mag de l’Economiste Maghrébin n 916 du 26 mars au 9 avril 2025
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