Le président de la République, Kaïs Saïed, a ordonné, mercredi 16 juillet 2025, une révision profonde du rôle des fonds sociaux afin de rétablir leur équilibre et leur pleine efficacité. Lors d’une rencontre avec le ministre des Affaires sociales, Issam Lahmar , il a insisté sur la nécessité d’un travail social intensif pour construire un État social, rejetant toute notion d’ »aumône » dans l’action publique.
Au cours de l’entretien, le chef de l’État a appelé à abandonner des « termes et concepts dépassés ». Tout en soulignant que le rôle social de l’État « n’est ni une faveur ni une grâce, mais un droit légitime ». Cette refonte s’inscrit dans sa vision d’un renouvellement des méthodes de travail et d’une approche innovante des politiques sociales.
Cette directive intervient dans un contexte de débat récurrent sur l’efficacité des dispositifs sociaux en Tunisie, souvent critiqués pour leur gestion opaque ou leur couverture limitée.
Le Président Saïed réaffirme ainsi sa priorité donnée à la justice sociale, un axe central de son discours depuis son arrivée au pouvoir.
Depuis son accession à la présidence de la république fin 2019, Kaïs Saïed n’a cessé de souligner sa vision étatiste du développement et son attachement à un Etat social au service des couches les plus démunies de la population, qui ont été oubliées par les gouvernements successifs. Cependant, plus de cinq ans après, où on est-on de ce changement qui se veut radical et profond qui qui n’a pu être mis en œuvre en raison de fortes résistances, au sein de la société, de l’Etat ou du «système», comme on dit aujourd’hui ?
Latif Belhedi
Pour justifier le retard pris dans la mise en œuvre de son projet socio-économique vaguement socialisant, Saïed ne cesse d’en imputer la responsabilité à ce qu’il désigne comme des lobbies d’intérêt, à l’intérieur et à l’extérieur, adossés à une administration publique servile ou complice. Et c’est là le principal point d’achoppement sur lequel semble buter la volonté présidentielle, d’où ses attaques continues contre ces pôles de résistance qui retardent la mise en œuvre de son projet de société plus égalitaire, et ses pressions constantes sur une administration publique récalcitrante ou un Etat profond plus soucieux de préserver ses privilèges acquis que d’imprimer les changements préconisés par le locataire du Palais de Carthage.
D’où aussi le malentendu qui empoisonne depuis quelque temps la vie publique et créé une ambiance délétère dans le pays, les acteurs publics et privés croisant les bras, se confinant dans un immobilisme calculé, pliant sous la poussée des vents contraires, tout en essayant de préserver leurs positions acquises, à défaut de pouvoir les améliorer, en attendant le prochain coup.
Le rôle social de l’Etat
Cette séquence, qui dure depuis quatre ou cinq ans, semble exaspérer Kaïs Saïed, qui s’impatiente et le fait savoir en revenant à chaque fois, dans toutes ses réunions avec les membres du gouvernement aux mêmes thématiques en lien avec ce qu’il appelle le «rôle social de l’Etat».
Cette thématique a d’ailleurs été au centre de sa réunion, hier, mercredi 16 juillet 2025, au Palais de Carthage, avec le ministre des Affaires sociales, Issam Lahmar, et qui a porté, comme indiqué dans le communiqué de la présidence, sur la nécessité d’«une révision radicale du rôle des caisses sociales, afin qu’elles trouvent l’équilibre requis et retrouvent pleinement leur rôle», le président soulignant, au risque de se répéter, «la nécessité d’avancer dans un travail social intensif pour édifier l’Etat social».
Dans le contexte de cette «révision radicale» recommandée avec force, le chef de l’État a appelé à «l’élimination d’un certain nombre de termes et de concepts», car, a-t-il expliqué, «le rôle social n’est pas une faveur ou un privilège, mais plutôt un droit légitime qui nécessite une nouvelle réflexion et de nouvelles méthodes de travail.» Et ce sont, on l’a compris, cette «nouvelle réflexion» et ces «nouvelles méthodes de travail» qui ont tardé à être mises en place par les cinq ou six gouvernements successifs que Kaïs Saïed a constitués depuis son accession au pouvoir fin 2019. Nos chers ministres semblant incapables de sortir des ornières des traditions bien installées et des habitudes d’une administration publique peu portée sur la nouveauté ou redoutant le changement.
Et c’est là le nœud du problème de la Tunisie actuelle, qui semble se complaire dans un conservatisme et un immobilisme vaguement rassurants.
La charrue avant les bœufs
On doit, cependant, reconnaître que les membres du gouvernement n’ont pas la tache facile, étant donné l’exiguïté de la marge de manœuvre dont ils disposent, du fait des difficultés financières actuelles du pays et qui sont le résultat de quatorze ans de croissance économique atone. Car un «Etat social» est par définition budgétivore, car il est censé distribuer des ressources qui se font rares et qui sont couteuses, sachant que le levier de l’endettement public, s’il est tentant dans une approche électoraliste, est à manier avec parcimonie, d’autant plus que l’argent coûte cher sur les marchés mondiaux et que notre économie est très dépendante des aléas climatiques et géostratégiques.
Les engagements d’aujourd’hui seront payés demain, sinon par nous-mêmes, du moins par nos enfants, et quand la dette publique plafonne à 85% du PIB, comme c’est le cas aujourd’hui en Tunisie, un pays sans grandes ressources, on ne doit pas avoir la dépense facile.
Que faire ? Les politiques sociales étant par définition budgétivores, il n’est pas recommandable de mettre la charrue de la distribution avant les bœufs de la croissance. Il s’agit d’inverser la tendance. Car seule une forte reprise de l’investissement, de la production, de l’exportation et de la croissance pourrait mettre les conditions idoines pour une distribution plus équitable et plus durable des richesses nationales. Sinon on irait vers la banqueroute collective…