RĂ©unissant dans le jeu dâacteurs des comĂ©diens tunisiens, parmi lesquels Jamal Madani et Moncef Ajengui, avec en tĂȘte dâaffiche lâacteur franco-camerounais Alexandre Bouyer, le long-mĂ©trage âFanonâ du rĂ©alisateur français de Guadeloupe (CaraĂŻbes), Jean-Claude Barny a Ă©tĂ© projetĂ©, Ă lâinitiative du cinĂ©-club de Tunis, le samedi 12 avril 2025, dans la salle de cinĂ©ma Le Rio Ă Tunis, en prĂ©sence de lâĂ©quipe du film.
Sorti dans les salles tunisiennes le 11 avril, ce long-mĂ©trage retrace une pĂ©riode cruciale de la vie de Frantz Fanon, psychiatre et acteur majeur des luttes anticoloniales, dans le contexte de la guerre dâindĂ©pendance algĂ©rienne.
Le rĂ©cit revient sur le passage de Fanon Ă lâhĂŽpital psychiatrique de Blida, en AlgĂ©rie, oĂč il introduit des mĂ©thodes thĂ©rapeutiques rĂ©volutionnaires, centrĂ©es sur lâhumanitĂ© et la dignitĂ© des patients algĂ©riens. Ce choix suscite une vive rĂ©action de lâadministration française ainsi que de ses collĂšgues. TrĂšs vite, le parcours de Fanon Ă©volue. De mĂ©decin, il devient militant aprĂšs sâĂȘtre rapprochĂ© des dirigeants du Front de libĂ©ration nationale (FLN) dâAlgĂ©rie, notamment Abane Ramdane. Il choisit de sâengager dans la lutte pour lâindĂ©pendance de lâAlgĂ©rie, se retrouvant ainsi, aux cĂŽtĂ©s de son Ă©pouse Josie, en confrontation directe avec les forces coloniales.
Jean-Claude Barny : le film surfe entre cinĂ©ma dâauteur et cinĂ©ma grand public
Lors du dĂ©bat qui a suivi la projection, Jean-Claude Barny a confiĂ© que sa relation avec Fanon avait commencĂ© Ă lâadolescence, Ă travers la lecture de ses Ćuvres. Ces lectures lui ont permis, dit-il âde comprendre mon identitĂ© et ma place dans la sociĂ©tĂ©â.
Ce film, quâil a rĂ©alisĂ© en 2024, est le fruit de dix annĂ©es de recherche et de dĂ©veloppement, une pĂ©riode oĂč il a Ă©tudiĂ© les Ă©crits de Fanon, sâest rendu en AlgĂ©rie -notamment dans le bureau oĂč il travaillait-, et a Ă©changĂ© avec de nombreux historiens.
Pour le cinĂ©aste, ce film, qui âsurfe entre cinĂ©ma dâauteur et cinĂ©ma grand publicâ, constitue aussi une rĂ©ponse Ă un paysage cinĂ©matographique français rĂ©ticent Ă financer des rĂ©cits centrĂ©s sur des figures issues des anciennes colonies considĂ©rant que âce genre de films ne trouvent pas leur publicâ. Il a toutefois mentionnĂ© que le film a connu un certain succĂšs joutant âce soir, la salle Ă©tait pleine. Cela prouve que les spectateurs attendent ces rĂ©cits, qui interrogent lâhistoire et les mĂ©moires pluriellesâ, a-t-il affirmĂ©.
A propos de la sortie, Ă la mĂȘme pĂ©riode, du film âFrantz Fanonâ du rĂ©alisateur algĂ©rien Abdennour Zahzah, Jean-Claude Barny a soulignĂ© que âNous vivons dans un univers cinĂ©matographique qui exige de la diversitĂ©, non de la confrontation. Il ne faut pas craindre la multiplicitĂ© des voix, bien au contraire câest cette richesse de visions qui offre au public le droit de choisir et de comprendre. Fanon est lâune de ces figures capables dâouvrir nos yeux sur des mondes nĂ©gligĂ©s, qui pourtant continuent de façonner notre prĂ©sentâ.
Alexandre Bouyer : Le film a Ă©tĂ© pour moi un dĂ©fi en tant quâacteur, un cadeau en tant quâhumain
Pour Alexandre Bouyer, incarner Fanon nâa pas Ă©tĂ© uniquement un dĂ©fi en tant quâacteur, mais un vĂ©ritable cadeau en tant quâhumain. Il a confiĂ© avoir Ă©tĂ© marquĂ© par la lecture des ouvrages de Fanon, notamment âPeau noire, masques blancsâ, qui lui ont offert un nouveau regard sur le monde.
Jouer dans le film de Jean-Claude Barny, âdont jâapprĂ©cie la finesse et la poĂ©sie qui se dĂ©gagent dans ses oeuvresâ a Ă©tĂ© une expĂ©rience forte, a-t-il mentionnĂ© car âPour incarner Fanon, jâai voulu aller chercher lâhumanitĂ© du personnage. Cela exigeait une remise en question permanente, un travail intĂ©rieur, pour parvenir Ă voir le monde Ă travers ses yeuxâ.
Qui était Frantz Fanon?
Frantz Fanon est nĂ© le 20 juillet 1925 Ă Fort-de-France, en Martinique. A lâĂąge de 18 ans, il sâengage dans les Forces françaises libres pour combattre le nazisme durant la Seconde Guerre mondiale.
AprĂšs la guerre, il retourne briĂšvement en Martinique, puis sâinstalle en France mĂ©tropolitaine, oĂč il obtient son baccalaurĂ©at et entreprend des Ă©tudes de mĂ©decine Ă Lyon. Il se spĂ©cialise en psychiatrie, tout en suivant Ă©galement des cours de littĂ©rature et de philosophie.
En 1952, il publie âPeau noire, masques blancsâ, un essai majeur dans lequel il analyse les effets psychologiques du colonialisme et de lâaliĂ©nation raciale.
En 1953, il est nommĂ© mĂ©decin-chef Ă lâhĂŽpital psychiatrique de Blida-Joinville en AlgĂ©rie, alors colonie française. Il y introduit des mĂ©thodes thĂ©rapeutiques novatrices fondĂ©es sur le respect de la dignitĂ© humaine, rompant avec les approches psychiatriques coloniales autoritaires.
Il publie plusieurs textes fondamentaux du mouvement anticolonial, parmi lesquels âLâAn V de la rĂ©volution algĂ©rienneâ (1959), et surtout âLes DamnĂ©s de la Terreâ (1961), considĂ©rĂ© comme son Ćuvre majeure, prĂ©facĂ©e par Jean-Paul Sartre.
Atteint dâune leucĂ©mie, il meurt le 6 dĂ©cembre 1961 Ă Bethesda, dans le Maryland (Etats-Unis), Ă lâĂąge de 36 ans, quelques mois avant lâindĂ©pendance de lâAlgĂ©rie. ConformĂ©ment Ă ses souhaits, il est enterrĂ© en terre algĂ©rienne, Ă Ain Kerma, prĂšs des frontiĂšres de la Tunisie oĂč il a vĂ©cu pendant prĂšs de cinq ans.
Lâarticle Entre mĂ©moire anticoloniale et cinĂ©ma engagĂ© : Fanon, un portrait bouleversant de Frantz Fanon est apparu en premier sur WMC.