Lâannonce rĂ©cente par un communiquĂ© officiel de la PrĂ©sidence de la RĂ©publique de la rupture de toute collaboration avec le Finds monĂ©taire international (FMI) est passĂ©e presque inaperçue dans lâactualitĂ© Ă©conomique et politique. Pourtant, câest une dĂ©cision qui aura des consĂ©quences trĂšs lourdes Ă court et moyen terme sur les performances de lâĂ©conomie nationale et les chances de sortir de la stagnation quâelle connaĂźt depuis quelques annĂ©es dĂ©jĂ . Lâauteur, Ă©conomiste de formation et ancien expert auprĂšs de plusieurs institutions financiĂšres internationales, dont la Banque africaine de dĂ©veloppement (BAD), analyse dans cet article les raisons de cette rupture et les arguments qui pourraient la justifier ou non. (Photo: Jihad Azour, directeur du dĂ©partement Moyen Orient au FMI, reçu par KaĂŻs SaĂŻed, le 21 juin 2022).
Dr Sadok Zerelli *
La derniĂšre dĂ©cision prĂ©sidentielle de rompre officiellement toute relation avec le FMI, passĂ©e presque inaperçue dans une actualitĂ© dominĂ©e par les procĂšs politiques et des nouvelles du type X est entrĂ© en prison et Y en est sorti, est trĂšs lourde de consĂ©quences pour lâavenir de ce pays et son image tant sur la scĂšne diplomatique internationale que sur les places financiĂšres du monde et auprĂšs des bailleurs de fonds multilatĂ©raux ou bilatĂ©raux ou mĂȘme des investisseurs privĂ©s.
Câest une dĂ©cision historique qui marque la rupture des relations avec une institution multinationale dont la Tunisie est membre depuis 1958, dĂ©tient une partie du capital et a bĂ©nĂ©ficiĂ© de son assistance durant les crises les plus difficiles que notre Ă©conomie a eu Ă traverser, depuis celle des annĂ©es 1970 dĂ©clenchĂ©e par lâĂ©chec de lâexpĂ©rience des «coopĂ©ratives» dâAhmed de Ben Salah, Ă celle des annĂ©es 1980 provoquĂ©e par la «rĂ©volte du pain», Ă celle des annĂ©es 1990 marquĂ©e par la mise en place du «programme dâajustement structurel» (PAS) et Ă celle aprĂšs la «rĂ©volution de 2011» qui perdure jusquâĂ aujourdâhui.
Pour rappel, depuis son adhĂ©sion au FMI, la Tunisie a eu accĂšs Ă plusieurs financements qui reprĂ©sentent plusieurs fois son quotas et ce, Ă travers divers mĂ©canismes pour une enveloppe totale de 3 123 millions de DTS, soit lâĂ©quivalent de 4 400 millions de dollars, dont 87% ont Ă©tĂ© obtenus entre 2013 et 2020. Elle se classe au 13e rang parmi les pays qui ont bĂ©nĂ©ficiĂ© le plus de lâassistance financiĂšre du FMI (Source : FMI).
Une analyse politiquement neutre
Avant de dĂ©velopper davantage mon analyse et prendre position, en tant quâĂ©conomiste spĂ©cialiste en Ă©conomie monĂ©taire, dans cette querelle qui est devenue malheureusement une bataille ou mĂȘme un bras de fer entre le PrĂ©sident KaĂŻs SaĂŻed et le FMI, je voudrais insister sur un point : pour des raisons thĂ©oriques quâil nây a pas lieu de dĂ©velopper dans cet article, je suis un farouche opposant au courant de pensĂ©e nĂ©olibĂ©rale qui domine au sein de cette institution et qui prĂŽne le retour mĂȘme pas Ă la thĂ©orie nĂ©oclassique du XIXe siĂšcle, mais mĂȘme Ă la thĂ©orie classique originelle de la «main invisible» dâAdam Smith qui dominait la pensĂ©e Ă©conomique au XVIIe et XVIIIe siĂšcles. Mon dernier article oĂč je dĂ©nonce vivement la politique monĂ©taire du taux directeur que le FMI a imposĂ© Ă la BCT en vue de lutter contre lâinflation en est une preuve (voir dans Kapitalis : ââOui pour lâamendement de la Loi de 2016 sur le statut de la BCTââ).
Jâai tenu Ă faire cette remarque parce que si certain(e)s lecteurs et lectrices trouveront peut-ĂȘtre que je prends davantage dans cet article le parti du FMI, ce nâest pas par aliĂ©nation idĂ©ologique mais bien par honnĂȘtetĂ© intellectuelle et pour «rendre Ă CĂ©sar ce qui appartient Ă CĂ©sar».
Quatre vĂ©ritĂ©s quâil ne sert Ă rien de vouloir ignorer
Avant dâexaminer en dĂ©tail les motifs de la querelle/bataille entre notre PrĂ©sident et le FMI, il est important de rappeler quatre vĂ©ritĂ©s quâil ne sert Ă rien de vouloir ignorer, par esprit chauvin ou discours populiste, du moins si on veut apporter une rĂ©ponse scientifique et objective Ă cette question, ce qui est mon objectif dans cet article.
La premiĂšre vĂ©ritĂ© est que le FMI nâa rien demandĂ© Ă la Tunisie mais câest la Tunisie qui est allĂ©e vers lui pour lui demander son aide pour sortir de la grave crise Ă©conomique que le pays traverse depuis la rĂ©volution et qui ne cesse de sâaggraver dâune annĂ©e Ă lâautre, aide quâil soumet Ă la mise en Ćuvre dâun certain nombre de rĂ©formes structurelles quâil juge, Ă tort ou Ă raison (câest lâobjet de cet article), nĂ©cessaires pour sâassurer que les finances publiques seront suffisamment Ă©quilibrĂ©es pour pouvoir le rembourser.
La deuxiĂšme vĂ©ritĂ© est que lâon ne peut pas reprocher au FMI cette approche qui est identique Ă celle de tout banquier, mĂȘme Tunisien, Ă qui son client demande un crĂ©dit et qui exige la prĂ©sentation dâune fiche de paie ou des garanties pour sâassurer quâil aura bien la capacitĂ© de rembourser le crĂ©dit dans les dĂ©lais. Câest une dĂ©marche qui relĂšve de lâorthodoxie financiĂšre propre Ă tous les banquiers, qui nâa rien de politique et ne menace pas la souverainetĂ© nationale dans le sens oĂč le FMI ne risque pas de venir un jour nous coloniser comme pourrait le faire un pays Ă©tranger par exemple.
DĂ©jĂ , avoir politisĂ© cette querelle est Ă mon avis une premiĂšre erreur commise par notre PrĂ©sident parce que câest une affaire de finances internationales et non pas de politique internationale au sens de politique Ă©trangĂšre et diplomatique du terme.
La troisiĂšme vĂ©ritĂ© est que beaucoup de pays font la queue pour obtenir lâaide du FMI et les 1,9 milliards de dollars Ă laquelle notre PrĂ©sident a dĂ©cidĂ© de renoncer, en avril 2023, iront certainement bĂ©nĂ©ficier Ă un autre pays membre du FMI. En tant quâinstitution de financement internationale, le FMI ne peut pas et ne sera pas perdant dans cette affaire et seule la Tunisie pourrait lâĂȘtre si elle nâarrivait pas Ă trouver une alternative viable pour le financement de son dĂ©ficit budgĂ©taire (jâanalyserai dans le prochain article la pertinence et le rĂ©alisme de la stratĂ©gie du «compter sur soi» que notre PrĂ©sident nous propose).
La quatriĂšme vĂ©ritĂ© est peut-ĂȘtre la plus importante de toutes en termes de consĂ©quences de cette dĂ©cision de rupture des relations avec le FMI : sans son appui, et encore moins aprĂšs avoir rompu avec lui, pratiquement aucun des autres bailleurs de fonds quâils soient multinationaux ou bilatĂ©raux ou mĂȘme des fonds dâinvestissement privĂ©s, nâaccepteront de nous accorder des prĂȘts en devises, y compris ceux des pays soi-disant «frĂšres et amis» et qui, avec cette dĂ©cision qui nous prive de lâaval du FMI, sâaligneront sur lui et sâavĂšreront ni frĂšres ni amis et ne nous accorderont plus aucun emprunt ou don substantiels. Plus encore, aucune sortie sur le marchĂ© financier international, telle que celle quâon avait rĂ©ussi Ă faire avant la rĂ©volution sur le marchĂ© financier japonais (SamouraĂŻ I et SamouraĂŻ II), nâest plus possible, Ă moins de payer des taux dâintĂ©rĂȘts exorbitants, tels que ceux quâAfreximBank nous a facturĂ©s pour le dernier emprunt de 300 millions de dollars (9,25%, soit vraiment un taux dâusurier !)
Les agences «Oumek Sarnafa»
Le PrĂ©sident a tort de prendre Ă la lĂ©gĂšre les notations de ces agences internationales dâĂ©valuation du risque souverain dâun pays, dont il se moque en les appelant «Oumek Sarnafa» (cuisiniĂšres), telles que Moodys ou Fitch. Maintenant quâil a rompu les relations avec le FMI, les notations de ces agences vont peser plus lourd pour lâaccĂšs de la Tunisie au marchĂ© financier international et surtout vont se traduire par des taux dâintĂ©rĂȘt encore plus Ă©levĂ©s et donc de millions de dollars supplĂ©mentaires qui vont grever davantage le budget de lâEtat.
A ce sujet, il faut savoir que ces agences sont apolitiques et appliquent la mĂȘme mĂ©thodologie dâĂ©valuation Ă tous les pays du monde, basĂ©e sur une batterie de critĂšres Ă©conomiques (taux de croissance Ă©conomique, taux du dĂ©ficit budgĂ©taire, de dĂ©sĂ©quilibre de la balance commerciale, de la balance des paiements, de chĂŽmage, dâinflation, etc.) et sociopolitiques (stabilitĂ© du rĂ©gime, paix sociale, etc.).
Il faut savoir aussi que selon ces agences, ce qui compte le plus, ce nâest pas tellement le volume de la dette et le niveau dâendettement dâun pays, mais sa capacitĂ© Ă produire, Ă crĂ©er des richesses et donc Ă rembourser sa dette extĂ©rieure. Câest ainsi que sâexplique le fait que certains pays beaucoup plus endettĂ©s que la Tunisie (oĂč la dette extĂ©rieure reprĂ©sente 79,4% du PIB), tels que les Etats-Unis (122%} ou la France (111%) ou le Japon qui est le pays le plus endettĂ© au monde (255%), sont classĂ©s dans la catĂ©gorie A, câest-Ă -dire Ă faible risque de dĂ©faut de paiement, alors que la Tunisie est classĂ©e dans la catĂ©gorie C, câest Ă dire Ă haut risque de dĂ©faut de paiement.
Jâouvre ici une parenthĂšse pour commenter la dĂ©cision de la semaine derniĂšre de Moodyâs de relever la notation souveraine de la Tunisie de Caaa2 Ă Caaa1 avec des perspectives stables. Câest une dĂ©cision logique suite au remboursement au mois de janvier dernier dâune Ă©chĂ©ance de 5 milliards de dinars qui reprĂ©sente 40% de lâencours de lâannĂ©e 2025. Il sâagit dâune amĂ©lioration certes bienvenue (câest toujours mieux quâune dĂ©gradation) mais infime, car tant quâon est pas sorti de la catĂ©gorie C et retrouvĂ© notre notation D avant la rĂ©volution (Baaa2 en 2010), nous demeurons dans la zone Ă haut risque de dĂ©faut de paiement et trĂšs peu de bailleurs de fonds accepteront de nous accorder des prĂȘts en devises et quand ils lâacceptent cela sera Ă des taux dâintĂ©rĂȘt beaucoup plus Ă©levĂ©s que si on bĂ©nĂ©ficiait encore de lâaval du FMI.
Autant le dire et le mettre bien dans nos tĂȘtes : nous avons maintenant le dos au mur et, Ă moins que la stratĂ©gie du «compter sur soi» proposĂ©e par Kais SaĂŻed ne rĂ©ussisse, nous allons tout droit vers une plus grande rĂ©cession Ă©conomique, plus dâinflation, plus du chĂŽmage, plus de dĂ©tĂ©rioration de la valeur du dinar et du pouvoir dâachat des mĂ©nages, y compris ceux Ă faibles revenus pour la dĂ©fense de qui notre PrĂ©sident a pris cette dĂ©cision de rompre avec le FMI, avec le Club de Paris au bout du tunnel, quand ce nâest pas une rĂ©volte sociale ou les deux Ă la fois !
La stratégie du «compter sur soi» est-elle efficace?
HonnĂȘtement, je pense quâil est trop tĂŽt pour en juger et une rĂ©ponse complĂšte nĂ©cessite une analyse trĂšs approfondie des potentialitĂ©s de croissance de lâĂ©conomie tunisienne, analyse que je compte faire dans mon prochain article, car celui-ci est dĂ©jĂ trĂšs long.
En attendant, je signale quâon ne doit pas se laisse leurrer par le fait que, jusquâĂ maintenant, on arrive Ă sâen sortir tant bien que mal et honorer nos Ă©chĂ©ances. En tant quâobservateur qui suit et analyse de prĂšs lâĂ©volution dâun certain nombre dâagrĂ©gats et indicateurs Ă©conomiques, jâattribue cette capacitĂ© de remboursement Ă des facteurs conjecturels favorables plutĂŽt quâĂ des facteurs structurels qui reflĂštent les Ă©quilibres macroĂ©conomiques de notre Ă©conomie.
Parmi ces facteurs favorables, je citerais une relativement bonne saison touristique qui a rapportĂ© prĂšs de 7000 millions de dinars, une augmentation exceptionnelle lâannĂ©e derniĂšre du prix international de lâhuile dâolive dont la seule exportation a rapportĂ© plus de 5000 millions de dinars (dĂ©jĂ le cours international de lâhuile dâolive a chutĂ© considĂ©rablement cette saison, ce qui va impacter nĂ©gativement notre capacitĂ© Ă honorer les Ă©chĂ©ances de la dette de la prochaine annĂ©e) et surtout un accroissement des virements effectuĂ©s par nos TRE (Tunisiens rĂ©sidents Ă lâĂ©tranger) en faveur de leurs familles restĂ©es en Tunisie, une consĂ©quence directe de la fuite des cerveaux et de lâĂ©migration massive lĂ©gale ou illĂ©gale (comme quoi, comme le dit si bien un proverbe français, «à quelque chose malheur est bon» !).
Notre PrĂ©sident a beau dĂ©noncer (Ă juste titre) le caractĂšre impitoyable des lois Ă©conomiques, que derriĂšre les chiffres que les Ă©conomistes manipulent, il y a des ĂȘtres humains, et mĂȘme remettre en cause les modalitĂ©s de calcul du PIB (voir ma rĂ©ponse Ă ce sujet dans mon article trĂšs didactique intitulĂ© «Le PrĂ©sident Kais SaĂŻed a-t-il raison de mettre en cause les modalitĂ©s de calcul du PIB ?»), il nâen demeure pas moins que les lois Ă©conomiques sont telles quâaucune Ă©conomie dans le monde ne peut continuer fonctionner et prospĂ©rer si le taux de croissance Ă©conomique est infĂ©rieur au taux dâintĂ©rĂȘt rĂ©el Ă payer sur la dette extĂ©rieure. Ce nâest mĂȘme pas de lâĂ©conomie, mais de la simple arithmĂ©tique.
Dans le cas de notre pays, tant que le taux de croissance du PIB reste aussi faible et oscillant entre 1% et 2% (1,4% pour lâannĂ©e 2024 selon la Banque Mondiale et 1,8% prĂ©vu pour lâannĂ©e 2025 selon la Berd, contre 3,2% prĂ©vue par notre PLF 2025, mais entre les deux, je fais davantage confiance aux prĂ©visions de la Berd), est largement infĂ©rieur aux taux dâintĂ©rĂȘt des emprunts extĂ©rieurs (les plus favorables sont ceux du FMI, de lâordre de 5%), lâEtat nâaurait pas dâautres choix que de rĂ©duire son train de vie en rĂ©duisant la masse salariale des fonctionnaires, les dĂ©penses de la caisse de compensation et le poids des dĂ©ficits des entreprises publiques sur son budget, ou emprunter davantage aux banques locales si elles veulent bien lui prĂȘter de lâargent ou faire fonctionner Ă fond le mĂ©canisme de la planche Ă billets avec le risque de dĂ©clencher une spirale inflationniste incontrĂŽlable, ou⊠se dĂ©clarer en dĂ©faut de paiement et se retrouver au Club de Paris pour le rĂ©Ă©chelonnement de la dette publique et/ou au Club de Londres pour le rĂ©Ă©chelonnement de la dette privĂ©e. Si on finit un jour Ă Paris ou Ă Londres (autrement que pour y faire du tourisme et du shopping !), on pourrait vraiment dire adieu Ă notre souverainetĂ© nationale Ă laquelle Kais SaĂŻed est si Ă cheval mais quâon risque de perdre dans des conditions beaucoup plus humiliantes.
Les motifs de la querelle entre le Président et le FMI
Il sâagit des trois fameuses conditions posĂ©es par le FMI pour dĂ©bloquer le prĂȘt de1,9 milliards de dollars, approuvĂ© au niveau du comitĂ© technique dĂšs 2022 et bloquĂ© depuis au niveau du conseil dâadministration du FMI, qui ont toutes reçus un «niet» catĂ©gorique du PrĂ©sident, Ă savoir :
a) la restructuration des entreprises publiques;
b) la rĂ©duction de la masse salariale dans le budget de lâEtat;
c) la suppression du mécanisme de compensation des prix de certains produits de consommation de base et énergétiques.
Une analyse objective du bien-fondĂ© de chaque condition peut aider Ă savoir sâil sâagit effectivement dâingĂ©rence inacceptable dans la politique intĂ©rieure du pays comme le soutient le PrĂ©sident ou de rĂ©formes structurelles inĂ©vitables Ă court ou moyen terme qui vont dans le sens de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral du pays.
PremiĂšre condition : la restructuration des entreprises publiques
Je ne suis pas dâaccord avec notre PrĂ©sident lorsquâil affirme dans tous ses discours que la corruption est la principale cause du marasme que connaĂźt notre Ă©conomie depuis la rĂ©volution et quâil suffit de lâĂ©radiquer pour que la croissance Ă©conomique reprenne et le niveau de vie de la population sâamĂ©liore.
Certes, il faut continuer Ă combattre par tous les moyens la corruption mais je lui fais remarquer quâil nây a pas un seul pays au monde (jâen ai visitĂ©s une bonne centaine Ă titre professionnel ou personnel) oĂč la corruption nâexiste pas, quoiquâil est vrai Ă des degrĂ©s divers (les magouilles en Ukraine de Hunter Biden, le fils de lâex-prĂ©sident amĂ©ricain, ou celles de Sarkozy en Libye du temps de Kadhafi, en sont de parfaits exemples).
En tant quâĂ©conomiste et ex-consultant Ă long terme auprĂšs de la BAD, chargĂ© du suivi de la mise en Ćuvre de 120 grands projets dâinfrastructures rĂ©gionales dans tous les pays africains rĂ©alisĂ©s dans le cadre du Nepad (New Partnership for African Development, un gigantesque programme financĂ© par la Banque Mondiale et plusieurs autres bailleurs de fonds internationaux, que nâimporte quel passant dans les rues dâAccra, ou dâAbidjan ou de Bamako connaĂźt, alors si on pose la mĂȘme question Ă un passant dans les rues de Tunis, il vous rĂ©pondra «Dans quelle Ă©quipe de football il joue ?!»), il ne fait pas de doute pour moi que la premiĂšre cause du marasme que connaĂźt notre Ă©conomie depuis la rĂ©volution est la mauvaise gestion Ă tous les niveaux de dĂ©cision. En particulier, dâune bonne centaine dâentreprises publiques, dont les dĂ©ficits dâexploitation pĂšsent de plus en plus lourd sur le budget de l Etat.
Je relĂšve dâailleurs que pour la plupart dâentre elles (Tunisair, SNCFT, Transtu, etc.), les pertes cumulĂ©es depuis plusieurs annĂ©es ont dĂ©passĂ© de plusieurs fois le montant de leurs fonds propres, ce qui veut dire que du point de vue du droit commercial strict, elles sont en faillite et nâexistent plus mĂȘme si elles continuent Ă fonctionner!
Que ce soit Ă la demande du FMI ou non, câest un lourd fardeau pour lâĂ©conomie nationale qui se traduit par une aggravation du dĂ©ficit du budget de lâEtat, un gaspillage des rares ressources du pays et de pĂ©nalitĂ©s Ă payer par les usagers de ces services publics, soit en termes de mauvaise qualitĂ© de service, soit dans leurs factures, souvent les deux Ă la fois.
La restructuration ne signifie pas la privatisation
Il est important de faire remarquer que le FMI nâexige nullement la «privatisation» de ces entreprises publiques, comme notre PrĂ©sident lâa interprĂ©tĂ© et nâarrĂȘte pas de le dĂ©noncer dans ses discours, mais de leur «restructuration», car tout ce que demande le FMI est que les dĂ©ficits dâexploitation de ces entreprises publiques ne viennent plus aggraver le dĂ©ficit budgĂ©taire qui dĂ©passe dĂ©jĂ largement les normes internationales dâune bonne gestion publique (12% du PIB alors que nous sommes Ă plus ou moins16%, selon les lois de finance en Tunisie).
Je fais remarquer aussi que cet objectif peut ĂȘtre atteint sans avoir forcement Ă cĂ©der aux entreprises au secteur privĂ© comme le PrĂ©sident semble le penser. En effet, il existe plusieurs techniques juridiques et dâingĂ©nierie financiĂšre pour transformer une entreprise publique dĂ©ficitaire en une entreprise bĂ©nĂ©ficiaire tout en gardant son caractĂšre public, câest-Ă -dire sans lâentrĂ©e dâinvestisseurs privĂ©s dans son capital social. Je citerais en particulier trois techniques bien connues par les experts en la matiĂšre, dont je fais partie :
â Les contrats programmes;
â les partenariats publics privĂ©s (PPP);
â et les concessions dâexploitation.
Les techniques de restructuration sans privatisation des entreprises publiques
Sans rentrer dans des considĂ©rations techniques qui seraient ennuyeuses pour les lecteurs et lectrices de cet article destinĂ© au grand public, je rappellerais juste lâidĂ©e Ă la base de chaque technique.
Le contrat programme : il sâagit dâun contrat, en gĂ©nĂ©ral quinquennal, passĂ© entre une entreprise publique et son ministĂšre de tutelle, qui fixe les objectifs prĂ©cis Ă atteindre Ă termes dâaccroissement de la production, de la productivitĂ© et de rĂ©duction du dĂ©ficit dâexploitation, moyennant des montants prĂ©cis de subventions dâexploitation ou dâĂ©quipement que lâEtat sâengage Ă lâavance Ă lui payer annuellement. Cette technique permet de responsabiliser les PDG de ces entreprises sachant que sâils nâatteignent pas les objectifs auxquels ils se sont engagĂ©s en signant leur contrat programme, ils risquent dâĂȘtre virĂ©s. Câest une technique qui a bien fonctionnĂ© dans beaucoup de pays et notamment en France oĂč elle a permis de transformer la SNCF dâune entreprise largement dĂ©ficitaire en une entreprise largement excĂ©dentaire en quelques annĂ©es seulement.
Les PPP : dans ce schĂ©ma, un investisseur privĂ© finance, construit et exploite pour une durĂ©e dĂ©terminĂ©e (en gĂ©nĂ©ral 30 ou 40 ans) une infrastructure (autoroute, port, aĂ©roport, etc.) ou un Ă©quipement lourd (centrale Ă©lectrique, hĂŽpital, etc.) moyennant un cahier de charges qui fixe clairement les redevances annuelles que lâEtat devrait lui payer pour le rembourser progressivement, ainsi que les contraintes de service public auxquelles il sera soumis (qualitĂ© de service, tarifs qui doivent ĂȘtre homologuĂ©s, etc.). Les PPP qui permettent de dĂ©charger le budget de lâEtat de coĂ»ts dâinvestissement souvent trĂšs Ă©levĂ©s dâune infrastructure ou un Ă©quipement collectif, tout en assurant une gestion plus rigoureuse que seuls les privĂ©s peuvent assurer, sont trĂšs en vogue dans les pays anglo-saxons, notamment en Angleterre oĂč mĂȘme des prisons sont construites et gĂ©rĂ©es dans le cadre de PPP.
Les concessions dâexploitation : dans ce schĂ©ma, lâEtat construit et finance sur son budget une infrastructure ou un Ă©quipement collectif mais en concĂšde, par appel dâoffres, national ou international, lâexploitation pour une durĂ©e de 30 ou 40 ans Ă un investisseur privĂ© qui lui versera des redevances annuelles dâexploitation. A la fin de la concession, la propriĂ©tĂ© de lâinfrastructure ou de lâĂ©quipement revient Ă lâEtat. LĂ aussi le concessionnaire est soumis Ă un cahier de charges strict qui fixe ses obligations en matiĂšre de qualitĂ© de service Ă fournir aux usagers, dâentretien, de sĂ©curitĂ©, de protection de lâenvironnement, etc., avec obligation dâhomologation tarifaire pour protĂ©ger les usagers contre des tarifs abusifs et injustifiĂ©s.
Ce modĂšle a Ă©tĂ© appliquĂ© avec succĂšs Ă Tunisie-Autoroutes et a permis de construire, entretenir et gĂ©rer un rĂ©seau autoroutier de 387 km Ă ce jour (sans lâautoroute Tunis-Jelma dâune longueur de 181 km en voie dâachĂšvement) sans que cela coĂ»te un dinar pour le budget de lâEtat et sans changer son statut de sociĂ©tĂ© publique.
Le premier objectif recherchĂ© par tous ces montages juridiques et financiers est de tirer profit de la capacitĂ© de gestion des privĂ©s qui est en gĂ©nĂ©ral supĂ©rieure Ă celle de leurs homologues publics, non pas que leurs cadres soient plus intelligents ou titulaires de plus de diplĂŽmes universitaires, mais parce quâils sont soumis au systĂšme de la rĂ©compense/sanction en vigueur dans le secteur privĂ©, auquel leurs collĂšgues du secteur public ne sont pas soumis : le PDG dâune entreprise du secteur privĂ© sait quâil sera rĂ©compensĂ© par des primes de rendement Ă la fin de lâexercice sâil obtient de bons rĂ©sultats et virĂ© par le CA de lâentreprise sâil obtient de mauvais rĂ©sultats, alors que le PDG dâune entreprise publique sait que, tant quâil excelle dans «lâart de caresser dans le sens du poil» son ministre de tutelle, il peut espĂ©rer garder son poste pendant longtemps, que les rĂ©sultats de sa gestion soient bons ou pas!
La conclusion Ă laquelle jâarrive est que si jâĂ©tais Ă la place du PrĂ©sident de la RĂ©publique (heureusement je ne le suis pas et je ne risque pas de lâĂȘtre un jour !) , non seulement jâ aurais acceptĂ© cette premiĂšre condition du FMI de restructuration des entreprises publiques, mais jâaurais demandĂ© mĂȘme une assistance technique (que les bailleurs de fonds fournissent en gĂ©nĂ©ral gratuitement) pour la mettre en Ćuvre le plus rapidement et le plus efficacement possible.
DeuxiĂšme condition : rĂ©duction de la part de ma masse salariale dans le budget de lâEtat
Jâai cĂŽtoyĂ© pendant trĂšs longtemps (20 ans) Ă titre de consultant international les experts de ces institutions multilatĂ©rales de financement telles que le FMI, la Banque Mondiale, la BAD, la BEI, la BID, la Bird, la Berd, etc.
Je peux affirmer quâils raisonnent tous selon ce quâon appelle dans le mĂ©tier les «best practices» (meilleures pratiques). Il sâagit dâanalyser la politique suivie par des pays qui ont particuliĂšrement rĂ©ussi dans un domaine ou secteur particulier, quâon appelle des «success stories», dâen tirer des leçons et de les recommander aux autres pays qui rencontrent les mĂȘmes problĂ©matiques. Ătre un expert international nâest pas plus compliquĂ© que cela.
Dans le domaine de la gestion publique et de la maĂźtrise de lâĂ©quilibre budgĂ©taire dâun Ătat, les «best practices» sont un dĂ©ficit budgĂ©taire qui ne dĂ©passe pas 3% du PIB (on appelle cela le critĂšre de Maastricht). Or en Tunisie, nous sommes autour de 6%, selon la loi de finance de chaque annĂ©e, soit le double des normes internationales dâune bonne gestion publique. De mĂȘme, la masse salariale des fonctionnaires ne doit pas dĂ©passer 12% du PIB, alors quâen Tunisie nous sommes autour 16%.
Ces dĂ©calages par rapport aux «best practices» ne passent pas auprĂšs des experts de ces institutions multilatĂ©rales de financement qui auront Ă rendre compte Ă leur retour de mission Ă leurs supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques, eux-mĂȘmes adaptes de ces techniques dâĂ©valuation.
Ayant compris comment fonctionnent ces experts internationaux (ce sont presque des ordinateurs qui appliquent des algorithmes), notre PrĂ©sident, au lieu de leur opposer un niet catĂ©gorique et en faire mĂȘme un motif de rupture des relations avec le FMI, aurait dĂ», Ă mon avis, nĂ©gocier ce que Trump appelle un «deal», un art dans lequel il excelle et qui lui a permis de devenir milliardaire et puis PrĂ©sident des Etats-Unis.
En clair, Ă partir du moment oĂč cette rĂ©forme demandĂ©e par le FMI est inĂ©luctable, car la capacitĂ© de recrutement de lâadministration nâest pas infinie et accroĂźt le dĂ©ficit budgĂ©taire, il aurait dĂ» nĂ©gocier un programme souple pour sa mise en Ćuvre progressive avec le moins impact social possible. Le gouvernement de Youssef Chahed lâa bien compris (pour moi en tant quâĂ©conomiste, il est LE meilleur Premier ministre que nous avons eu depuis la rĂ©volution, que cela plaise Ă ceux qui font de la politique politicienne ou non), Samir SaĂŻed lâ a compris aussi (pour moi, il est LE meilleur ministre de lâĂconomie que nous avons eu depuis la rĂ©volution, encore une fois que cela plaise Ă ceux qui font de la politique politicienne ou pas, car je nâen fais pas) et ils avaient commencĂ©, dĂšs le dĂ©but des nĂ©gociations avec le FMI en 2016, Ă Ă©laborer une stratĂ©gie qui consiste Ă encourager les dĂ©parts anticipĂ©s Ă la retraite, lâaccord de primes de dĂ©part, la facilitation des prĂȘts aux fonctionnaires qui veulent lancer leur propre projet, le non renouvellement automatique des dĂ©parts Ă la retraite, etc. Pour moi, câĂ©tait indiscutablement la bonne voie Ă suivre, car continuer Ă avoir environ 780 000 fonctionnaires pour 12 millions dâhabitants est contreproductif.
De mon point de vue, il vaut mieux crĂ©er une sorte caisse de chĂŽmage pour les jeunes et les diplĂŽmĂ©s de lâenseignement supĂ©rieur en chĂŽmage et les payer Ă ne rien faire plutĂŽt que de les recruter avec le risque de gĂȘner ceux qui travaillent dĂ©jĂ dans lâadministration et faire baisser leur productivitĂ© qui est dĂ©jĂ faible.
Malheureusement, notre PrĂ©sident a non seulement rejetĂ© cette deuxiĂšme condition, nous privant ainsi de 1,9 milliards de dollars qui auraient Ă©tĂ© une bouffĂ©e dâoxygĂšne dans une conjoncture aussi difficile. Pire, avec sa derniĂšre dĂ©cision de recruter dâun seul coup 5000 diplĂŽmĂ©s de lâenseignement supĂ©rieur en chĂŽmage, il est en train dâappliquer une politique exactement inverse Ă celle prĂ©conisĂ©e par le FMI. Sâest-il demandĂ© avec quelles ressources budgĂ©taires ils seront payĂ©s, sachant que seulement 24% des emprunts extĂ©rieurs prĂ©vus dans la PLF de 2025 ont Ă©tĂ© identifiĂ©s Ă ce jour? Sait-il que le recours abusif au mĂ©canisme de la planche Ă billets, que ce soit dans le cadre de la loi actuelle datant de 2016 fixant le statut de la BCT ou aprĂšs lâavoir amendĂ©e comme il en a lâintention, risque dâengager lâĂ©conomie dans une spirale inflationniste qui va entrainer lâĂ©rosion du pouvoir dâachat particuliĂšrement des classes sociales Ă faibles revenus dont il dĂ©clare se soucier tellement, la dĂ©tĂ©rioration de la compĂ©titivitĂ© de nos entreprises, un plus grand chĂŽmage, une dĂ©tĂ©rioration de la paritĂ© du dinar, donc une plus grande inflation, etc.? Se doute-t-il quâau bout de ce processus infernal, la Tunisie sera contrainte de se dĂ©clarer en dĂ©faut de paiement et de se retrouver au Club de Paris pour nĂ©gocier le rĂ©Ă©chelonnement de sa dette publique et perdra ainsi sa souverainetĂ© nationale au nom de laquelle le prĂ©sident a rompu les relations avec le FMI? MystĂšre!
TroisiÚme condition : la suppression de la compensation sur les produits de consommation de base et énergétiques
Il sâagit de la troisiĂšme condition que le PrĂ©sident a catĂ©goriquement rejetĂ©e et celle qui a fait capoter le plus les nĂ©gociations avec le FMI.
Alors que les deux premiĂšres conditions relĂšvent de problĂ©matiques purement Ă©conomiques que je prĂ©tends maĂźtriser parce quâelles visent la recherche dâune plus grande efficacitĂ© Ă©conomique, cette troisiĂšme condition relĂšve dâune problĂ©matique purement politique. NâĂ©tant pas moi-mĂȘme un politicien, mon analyse sera moins tranchĂ©e et mes idĂ©es plus discutables. Je les dĂ©veloppe quand mĂȘme.
Pour aborder cette problĂ©matique, jâadopterais lâapproche dâElon Musk, lâhomme le plus riche du monde qui a crĂ©Ă© Tesla, Space X, Neurolink, etc., et dont je suis un fan et Ă©coute sur YouTube toutes ses interviews et confĂ©rences. Ce gĂ©nie incontestable des temps modernes a lâhabitude de dire : savoir poser un problĂšme, câest le rĂ©soudre Ă moitiĂ©.
Selon cette approche, je poserais le problĂšme de la caisse de compensation en Tunisie dans les termes suivants : dâabord, cette politique qui date du temps de Bourguiba, aussi nobles que soient ses objectifs sociaux et humains, pose un vĂ©ritable problĂšme dâinjustice sociale auquel notre PrĂ©sident est si sensible.
En effet, comment justifier que celui qui gagne plusieurs milliers de dinars par mois bĂ©nĂ©ficie de la mĂȘme subvention sur le prix dâune baguette de pain que celui qui gagne quelques centaines de dinars ou mĂȘme aucun sâil est en chĂŽmage? Comment justifier que les 10 millions de touristes qui ont visitĂ© notre pays cette annĂ©e ont mangĂ© notre couscous subventionnĂ© par lâEtat et donc le contribuable tunisien? Pire, dans le domaine Ă©nergĂ©tique, comment justifier que le pauvre paysan qui vit en pleine campagne et qui nâa mĂȘme pas de voiture contribue par les taxes quâil paie Ă lâ Etat Ă subventionner lâessence que consomme la Mercedes dernier modĂšle dans laquelle roule un millionnaire pour aller danser dans une discothĂšque Ă Hammamet?
A cĂŽtĂ© de la dimension sociale que pose la problĂ©matique de la compensation, il y a une dimension purement Ă©conomique, quâon appelle «la vĂ©ritĂ© des prix» et Ă laquelle les Ă©conomistes sont trĂšs attachĂ©s : tout produit dont le prix de vente ne reflĂšte pas le coĂ»t de production se traduit par un gaspillage de ce produit. Lâexemple de certains Ă©leveurs de bĂ©tail qui trouvent moins cher dâalimenter leurs poules ou troupeaux par du pain moisi plutĂŽt que dâacheter des aliments pour bĂ©tail en est une illustration, sans parler des centaines milliers de baguettes jetĂ©es chaque jour dans les poubelles!
Incontestablement, il y a lĂ un vĂ©ritable problĂšme social et Ă©conomique que le FMI a raison de soulever, sans parler de lâimpact trĂšs lourd des dĂ©penses de compensation sur le budget de lâEtat.
A partir du moment oĂč le FMI a objectivement raison de poser le problĂšme et que, comme Musk le dit, un problĂšme bien posĂ© est dĂ©jĂ Ă moitiĂ© rĂ©solu, il fallait chercher la solution Ă ce problĂšme plutĂŽt que de lâignorer et maintenir le statuquo comme notre PrĂ©sident lâa fait et en fait mĂȘme un motif de rupture de toute collaboration avec le FMI
Certes, la solution de la suppression totale de la compensation proposée par le FMI est inacceptable tant pour des raisons sociales que politiques et le Président a eu raison de rejeter cette solution.
Pour identifier une autre, je me suis inspirĂ© de la solution trouvĂ©e par beaucoup de pays africains, pour allĂ©ger le budget de lâEtat et rĂ©soudre une problĂ©matique dâinjustice sociale pareille mais qui se pose dans le secteur de lâentretien des routes. La solution adoptĂ©e par 27 pays africains (jâai travaillĂ© longuement sur ce sujet du temps oĂč jâĂ©tais expert Ă la BAD) a Ă©tĂ© de crĂ©er un Fond de DĂ©veloppement Routier (FDR), alimentĂ© par une taxe spĂ©ciale sur les prix du carburant, de sorte que seuls les automobilistes financent lâentretien du rĂ©seau sur lequel ils roulent. Plus ils circulent plus ils doivent contribuer Ă lâentretien des routes, un principe que les AmĂ©ricains appellent «pay as go».
Sur la base de cette expĂ©rience africaine rĂ©ussie dans le domaine de lâentretien routier (que la Tunisie, oĂč les nids de poules sur certaines routes sont plus nombreux que les vĂ©hicules qui y circulent !, ferait bien dâadopter), je prĂ©coniserais la crĂ©ation dâune Caisse Autonome de Compensation (CAC) Ă financer, non pas par de nouvelles taxes sur les entreprises qui subissent dĂ©jĂ une pression fiscale parmi les plus Ă©levĂ©es au monde, mais par une taxe sur ce que le cĂ©lĂšbre Ă©conomiste Keynes appelle le «capital oisif».
Il sâagit des actifs rĂ©els et immobiliers qui ne sont pas intĂ©grĂ©s dans le circuit Ă©conomique et ne contribuent donc pas Ă la production nationale, tels les terrains agricoles non cultivĂ©s, les terrains non bĂątis, etc. Une telle solution permettra de rĂ©duire le dĂ©ficit du budget de lâEtat (objectif recherchĂ© par le FMI), tout en maintenant la compensation des prix de certains produits de consommation de base (objectif recherchĂ© par Kais SaĂŻed). En plus, cerise sur le gĂąteau, elle incitera les propriĂ©taires de ces actifs oisifs, qui sâen servent souvent Ă des fins de spĂ©culation, Ă les intĂ©grer dans le circuit Ă©conomique et augmenter la production nationale
En tout cas, je suis convaincu en tant quâĂ©conomiste, que cette question de la compensation qui a bloquĂ© les nĂ©gociations et a engendrĂ© mĂȘme la rupture des relations avec le FMI, est avant une question de vision Ă©conomique et de courage politique quâune question technique Ă laquelle les experts trouvent toujours une solution. Sinon, Ă quoi servent les experts ?
Conclusion
En attendant dâanalyser dans un prochain article le rĂ©alisme et les chances de rĂ©ussite de la stratĂ©gie de rechange du «compter sur soi» proposĂ©e par le PrĂ©sident pour permettre Ă la Tunisie de «sortir de lâorniĂšre», ma conclusion provisoire serait de dire que cette dĂ©cision de rupture de toute collaboration avec le FMI est Ă mon avis fort regrettable, parce quâelle a Ă©tĂ© politisĂ©e dĂšs le dĂ©part et parce quâil y a des voies de solutions techniques qui nâavaient pas Ă©tĂ© explorĂ©es.
Mais, maintenant que le mal est fait, cette rupture des relations avec le FMI pourrait ĂȘtre lâoccasion de sortir du cercle vicieux de lâendettement et de la dĂ©pendance aux institutions internationales. Mais pour cela, encore faudrait-il avoir une vision Ă©conomique claire au plus haut sommet de lâEtat (ce qui ne me semble malheureusement pas ĂȘtre le cas) et des rĂ©formes structurelles auxquelles, avec ou sans les «diktats» du FMI, la Tunisie ne pourrait pas Ă©chapper si elle veut remettre son Ă©conomie sur les rails de la croissance, de la crĂ©ation de richesses et de lâemploi, en vue de lâamĂ©lioration du niveau de vie de la population, toute la population, pas seulement les classes sociales les plus dĂ©favorisĂ©s, pour la protection desquels il a pris une dĂ©cision aussi lourde de consĂ©quences pour lâavenir de ce pays et de ses enfants
PS (hors du sujet traitĂ©) : Jâinvite les lecteurs et lectrices, amateurs et amatrices de poĂ©sie mĂ©taphysique, Ă me rejoindre sur mon blog sur Google que jâai appelĂ© «PoĂšmes de la vie» oĂč je mâĂ©vade de temps en temps dans le temps et lâespace, trĂšs loin du FMI, de la BCT, de Kais SaĂŻed, etc. Ils/elles y trouveront des poĂšmes sur ce que ma vie, non pas dâĂ©conomiste, mais de globe-trotter, mâa appris et des sujets infiniment plus intĂ©ressants pour la nourriture de lâĂąme que ne lâest lâĂ©conomie pour la nourriture pour lâesprit.
Lâarticle Le PrĂ©sident SaĂŻed a-t-il raison de rompre les relations de la Tunisie avec la FMI? est apparu en premier sur Kapitalis.