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Tunisie : l’UTICA plaide pour des rĂ©formes Ă©conomiques prioritaires au Parlement

Von: walid
14. MĂ€rz 2025 um 12:16

Le prĂ©sident de l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (UTICA), Samir Majoul, a sollicitĂ© le soutien du prĂ©sident de l’AssemblĂ©e des reprĂ©sentants du peuple (ARP), Ibrahim Bouderbala, afin d’accorder la prioritĂ© Ă  la lĂ©gislation Ă©conomique, essentielle pour garantir l’avenir des gĂ©nĂ©rations futures.

Lors d’une rencontre tenue ce jeudi au Bardo, Majoul a jugĂ© nĂ©cessaire d’impliquer l’UTICA dans les travaux des commissions parlementaires, notamment dans l’élaboration des lois concernant les secteurs de l’industrie, du commerce et de l’artisanat.

Selon un communiquĂ© de l’UTICA, il a Ă©galement Ă©voquĂ© la situation Ă©conomique difficile que traverse le pays, soulignant l’urgence d’un effort commun pour atteindre la stabilitĂ© sociale et la croissance. “Les lĂ©gislations relatives aux Ă©tablissements publics constituent des leviers de dĂ©veloppement”, a-t-il assurĂ©.

De son cĂŽtĂ©, Bouderbala a saluĂ© le rĂŽle historique de l’UTICA dans le dĂ©veloppement de la Tunisie et son apport Ă  l’économie nationale. Il a rĂ©affirmĂ© l’engagement du Parlement Ă  Ă©laborer des lois favorisant un climat Ă©conomique sain, en encourageant l’investissement et en impliquant toutes les parties prenantes. Le prĂ©sident de l’ARP s’est dĂ©clarĂ© favorable l’ouverture Ă  une collaboration accrue avec l’UTICA, notamment en prenant en compte ses propositions dans les travaux des commissions parlementaires.

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Le Président Saïed a-t-il raison de rompre les relations de la Tunisie avec la FMI?

04. MĂ€rz 2025 um 10:45

L’annonce rĂ©cente par un communiquĂ© officiel de la PrĂ©sidence de la RĂ©publique de la rupture de toute collaboration avec le Finds monĂ©taire international (FMI) est passĂ©e presque inaperçue dans l’actualitĂ© Ă©conomique et politique. Pourtant, c’est une dĂ©cision qui aura des consĂ©quences trĂšs lourdes Ă  court et moyen terme sur les performances de l’économie nationale et les chances de sortir de la stagnation qu’elle connaĂźt depuis quelques annĂ©es dĂ©jĂ . L’auteur, Ă©conomiste de formation et ancien expert auprĂšs de plusieurs institutions financiĂšres internationales, dont la Banque africaine de dĂ©veloppement (BAD), analyse dans cet article les raisons de cette rupture et les arguments qui pourraient la justifier ou non. (Photo: Jihad Azour,  directeur du dĂ©partement Moyen Orient au FMI, reçu par KaĂŻs SaĂŻed, le 21 juin 2022).

Dr Sadok Zerelli *

La derniĂšre dĂ©cision prĂ©sidentielle de rompre officiellement toute relation avec le FMI, passĂ©e presque inaperçue dans une actualitĂ© dominĂ©e par les procĂšs politiques et des nouvelles du type X est entrĂ© en prison et Y en est sorti, est trĂšs lourde de consĂ©quences pour l’avenir de ce pays et son image tant sur la scĂšne diplomatique internationale que sur les places financiĂšres du monde et auprĂšs des bailleurs de fonds multilatĂ©raux ou bilatĂ©raux ou mĂȘme des investisseurs privĂ©s.

C’est une dĂ©cision historique qui marque la rupture des relations  avec une institution multinationale dont la Tunisie est membre depuis 1958, dĂ©tient une partie du capital et a bĂ©nĂ©ficiĂ© de son assistance durant les crises les plus difficiles que notre Ă©conomie a eu Ă  traverser, depuis celle des annĂ©es 1970 dĂ©clenchĂ©e par l’échec de l’expĂ©rience  des «coopĂ©ratives» d’Ahmed de Ben Salah, Ă  celle des annĂ©es 1980 provoquĂ©e par la «rĂ©volte du pain», Ă  celle des annĂ©es 1990 marquĂ©e par la mise en place du «programme d’ajustement structurel» (PAS) et Ă  celle aprĂšs la «rĂ©volution de 2011» qui perdure jusqu’à aujourd’hui.

Pour rappel, depuis son adhĂ©sion au FMI, la Tunisie a eu accĂšs Ă  plusieurs financements qui reprĂ©sentent plusieurs fois son quotas et ce, Ă  travers divers mĂ©canismes pour une enveloppe totale de 3 123 millions de DTS, soit l’équivalent de 4 400 millions de dollars, dont 87% ont Ă©tĂ© obtenus entre 2013 et 2020. Elle se classe au 13e rang parmi les pays qui ont bĂ©nĂ©ficiĂ© le plus de l’assistance financiĂšre du FMI (Source : FMI).

Une analyse politiquement neutre

Avant de dĂ©velopper davantage mon analyse et prendre position, en tant qu’économiste spĂ©cialiste en Ă©conomie monĂ©taire, dans cette querelle qui est devenue malheureusement une bataille ou mĂȘme un bras de fer entre le PrĂ©sident KaĂŻs SaĂŻed et le FMI, je voudrais insister sur un point : pour des raisons thĂ©oriques qu’il n’y a pas lieu de dĂ©velopper dans cet article, je suis un farouche opposant au courant de pensĂ©e nĂ©olibĂ©rale qui domine au sein de cette institution et qui prĂŽne le retour mĂȘme pas Ă  la thĂ©orie nĂ©oclassique du XIXe siĂšcle, mais mĂȘme Ă  la thĂ©orie classique originelle de la «main invisible» d’Adam Smith qui dominait la pensĂ©e Ă©conomique au XVIIe et XVIIIe siĂšcles. Mon dernier article oĂč je dĂ©nonce vivement la politique monĂ©taire du taux directeur que le FMI a imposĂ© Ă  la BCT en vue de lutter contre l’inflation en est une preuve (voir dans Kapitalis : ‘‘Oui pour l’amendement de la Loi de 2016 sur le statut de la BCT’’).

J’ai tenu Ă  faire cette remarque parce que si certain(e)s lecteurs et lectrices trouveront peut-ĂȘtre que je prends davantage dans cet article le parti du FMI, ce n’est pas par aliĂ©nation idĂ©ologique mais bien par honnĂȘtetĂ© intellectuelle et pour «rendre Ă  CĂ©sar ce qui appartient Ă  CĂ©sar».

Quatre vĂ©ritĂ©s qu’il ne sert Ă  rien de vouloir ignorer

Avant d’examiner en dĂ©tail les motifs de la querelle/bataille entre notre PrĂ©sident et le FMI, il est important de rappeler quatre vĂ©ritĂ©s qu’il ne sert Ă  rien de vouloir ignorer, par esprit chauvin ou discours populiste, du moins si on veut apporter une rĂ©ponse scientifique et objective Ă  cette question, ce qui est mon objectif dans cet article.

La premiĂšre vĂ©ritĂ© est que le FMI n’a rien demandĂ© Ă  la Tunisie mais c’est la Tunisie qui est allĂ©e vers lui pour lui demander son aide pour sortir de la grave crise Ă©conomique que le pays traverse depuis la rĂ©volution et qui ne cesse de s’aggraver d’une annĂ©e Ă  l’autre, aide qu’il soumet Ă  la mise en Ɠuvre d’un  certain nombre de rĂ©formes structurelles qu’il juge, Ă  tort ou Ă  raison (c’est l’objet de cet article), nĂ©cessaires pour s’assurer que les finances publiques seront suffisamment Ă©quilibrĂ©es pour pouvoir le rembourser.

La deuxiĂšme vĂ©ritĂ© est que l’on ne peut pas reprocher au FMI cette approche qui est identique Ă  celle de tout banquier, mĂȘme Tunisien, Ă  qui son client demande un crĂ©dit et qui exige la prĂ©sentation d’une fiche de paie ou des garanties pour s’assurer qu’il aura bien la capacitĂ© de rembourser le crĂ©dit dans les dĂ©lais. C’est une dĂ©marche qui relĂšve de l’orthodoxie financiĂšre propre Ă  tous les banquiers, qui n’a rien de politique et ne menace pas la souverainetĂ© nationale dans le sens oĂč le FMI ne risque pas de venir un jour nous coloniser comme pourrait le faire un pays Ă©tranger par exemple.

DĂ©jĂ , avoir politisĂ© cette querelle est Ă  mon avis une premiĂšre erreur commise par notre PrĂ©sident parce que c’est une affaire de finances internationales et non pas de politique internationale au sens de politique Ă©trangĂšre et diplomatique du terme.

La troisiĂšme vĂ©ritĂ© est que beaucoup de pays font la queue pour obtenir l’aide du FMI et les 1,9 milliards de dollars Ă  laquelle notre PrĂ©sident a dĂ©cidĂ© de renoncer, en avril 2023, iront certainement bĂ©nĂ©ficier Ă  un autre pays membre du FMI. En tant qu’institution de financement internationale, le FMI ne peut pas et ne sera pas perdant dans cette affaire et seule la Tunisie pourrait l’ĂȘtre si elle n’arrivait pas Ă  trouver une alternative viable pour le financement de son dĂ©ficit budgĂ©taire (j’analyserai dans le prochain article la pertinence et le rĂ©alisme de la stratĂ©gie du «compter sur soi» que notre PrĂ©sident nous propose).

La quatriĂšme vĂ©ritĂ© est peut-ĂȘtre la plus importante de toutes en termes de consĂ©quences de cette dĂ©cision de rupture des relations avec le FMI : sans son appui, et encore moins aprĂšs avoir rompu avec lui, pratiquement aucun des autres bailleurs de fonds qu’ils soient multinationaux ou bilatĂ©raux ou mĂȘme des fonds d’investissement privĂ©s, n’accepteront de nous accorder des prĂȘts en devises, y compris ceux des pays soi-disant «frĂšres et amis» et qui, avec cette dĂ©cision qui nous prive de l’aval du FMI, s’aligneront sur lui et s’avĂšreront  ni frĂšres ni amis et ne nous accorderont plus aucun emprunt ou don substantiels. Plus encore, aucune sortie sur le marchĂ© financier international, telle que celle qu’on avait rĂ©ussi Ă  faire avant la rĂ©volution sur le marchĂ© financier japonais (SamouraĂŻ I et SamouraĂŻ II), n’est plus possible, Ă  moins de payer des taux d’intĂ©rĂȘts exorbitants, tels que ceux qu’AfreximBank nous a facturĂ©s pour le dernier emprunt de 300 millions de dollars (9,25%, soit vraiment un taux d’usurier !)

Les agences «Oumek Sarnafa»

    Le PrĂ©sident a tort de prendre Ă  la lĂ©gĂšre les notations de ces agences internationales d’évaluation du risque souverain d’un pays, dont il se moque en les appelant «Oumek Sarnafa» (cuisiniĂšres), telles que Moodys ou Fitch. Maintenant qu’il a rompu les relations avec le FMI, les notations de ces agences vont peser plus lourd pour l’accĂšs de la Tunisie au marchĂ© financier international et surtout vont se traduire par des taux d’intĂ©rĂȘt encore plus Ă©levĂ©s et donc de millions de dollars supplĂ©mentaires qui vont grever davantage le budget de l’Etat.

    A ce sujet, il faut savoir que ces agences sont apolitiques et appliquent la mĂȘme mĂ©thodologie d’évaluation Ă  tous les pays du monde, basĂ©e sur une batterie de critĂšres Ă©conomiques (taux de croissance Ă©conomique, taux du dĂ©ficit budgĂ©taire, de dĂ©sĂ©quilibre de la balance commerciale, de la balance des paiements, de chĂŽmage, d’inflation, etc.) et sociopolitiques (stabilitĂ© du rĂ©gime, paix sociale, etc.).

    Il faut savoir aussi que selon ces agences, ce qui compte le plus, ce n’est pas tellement le volume de la dette et le niveau d’endettement d’un pays, mais sa capacitĂ© Ă  produire, Ă  crĂ©er des richesses et donc Ă  rembourser sa dette extĂ©rieure. C’est ainsi que s’explique le fait que certains pays beaucoup plus endettĂ©s que la Tunisie (oĂč la dette extĂ©rieure reprĂ©sente 79,4% du PIB), tels que les Etats-Unis (122%} ou la France (111%) ou le Japon qui est le pays le plus endettĂ© au monde (255%), sont classĂ©s dans la catĂ©gorie A, c’est-Ă -dire Ă  faible risque de dĂ©faut de paiement, alors que la Tunisie est classĂ©e dans la catĂ©gorie C, c’est Ă  dire Ă  haut risque de dĂ©faut de paiement.

    J’ouvre ici une parenthĂšse pour commenter la dĂ©cision de la semaine derniĂšre de Moody’s de relever la notation souveraine de la Tunisie de Caaa2 Ă  Caaa1 avec des perspectives stables. C’est une dĂ©cision logique suite au remboursement au mois de janvier dernier d’une Ă©chĂ©ance de 5 milliards de dinars qui reprĂ©sente 40% de l’encours de l’annĂ©e 2025. Il s’agit d’une amĂ©lioration certes bienvenue (c’est toujours mieux qu’une dĂ©gradation) mais infime, car tant qu’on est pas sorti de la catĂ©gorie C et retrouvĂ© notre notation D avant la rĂ©volution (Baaa2 en 2010), nous demeurons dans la zone Ă  haut risque de dĂ©faut de paiement et trĂšs peu de bailleurs de fonds accepteront de nous accorder des prĂȘts en devises et quand ils l’acceptent cela sera Ă  des taux d’intĂ©rĂȘt beaucoup plus Ă©levĂ©s que si on bĂ©nĂ©ficiait encore de l’aval du FMI.

    Autant le dire et le mettre bien dans nos tĂȘtes : nous avons maintenant le dos au mur et, Ă  moins que la stratĂ©gie du «compter sur soi» proposĂ©e par Kais SaĂŻed ne rĂ©ussisse, nous allons tout droit vers une plus grande rĂ©cession Ă©conomique, plus d’inflation, plus du chĂŽmage, plus de dĂ©tĂ©rioration de la valeur du dinar et du pouvoir d’achat des mĂ©nages, y compris ceux Ă  faibles revenus pour la dĂ©fense de qui notre PrĂ©sident a pris cette dĂ©cision de rompre avec le FMI, avec le Club de Paris au bout du tunnel, quand ce n’est pas une rĂ©volte sociale ou les deux Ă  la fois !

    La stratégie du «compter sur soi» est-elle efficace?

    HonnĂȘtement, je pense qu’il est trop tĂŽt pour en juger et une rĂ©ponse complĂšte nĂ©cessite une analyse trĂšs approfondie des potentialitĂ©s de croissance de l’économie tunisienne, analyse que je compte faire dans mon prochain article, car celui-ci est dĂ©jĂ  trĂšs long.

    En attendant, je signale qu’on ne doit pas se laisse leurrer par le fait que, jusqu’à maintenant, on arrive Ă  s’en sortir tant bien que mal et honorer nos Ă©chĂ©ances. En tant qu’observateur qui suit et analyse de prĂšs l’évolution d’un certain nombre d’agrĂ©gats et indicateurs Ă©conomiques, j’attribue cette capacitĂ© de remboursement Ă  des facteurs conjecturels favorables plutĂŽt qu’à des facteurs structurels qui reflĂštent les Ă©quilibres macroĂ©conomiques de notre Ă©conomie.

    Parmi ces facteurs favorables, je  citerais une relativement bonne saison touristique qui a rapportĂ© prĂšs de 7000 millions de dinars, une augmentation exceptionnelle l’annĂ©e derniĂšre du prix international de l’huile d’olive dont la seule  exportation a rapportĂ© plus de 5000 millions de dinars (dĂ©jĂ  le cours international de l’huile d’olive a chutĂ© considĂ©rablement cette saison, ce qui va impacter nĂ©gativement notre capacitĂ© Ă  honorer les Ă©chĂ©ances de la dette de la prochaine annĂ©e) et surtout un accroissement des virements effectuĂ©s par nos TRE (Tunisiens rĂ©sidents Ă  l’étranger) en faveur de leurs familles restĂ©es en Tunisie, une consĂ©quence directe de la fuite des cerveaux et de l’émigration massive lĂ©gale ou illĂ©gale (comme quoi, comme le dit si bien un proverbe français, «à quelque chose malheur est bon» !).

    Notre PrĂ©sident a beau dĂ©noncer (Ă  juste titre) le caractĂšre impitoyable des lois Ă©conomiques, que derriĂšre les chiffres que les Ă©conomistes manipulent, il y a des ĂȘtres humains, et mĂȘme remettre en cause les modalitĂ©s de calcul du PIB (voir ma rĂ©ponse Ă  ce sujet dans mon article trĂšs didactique intitulĂ© «Le PrĂ©sident Kais SaĂŻed a-t-il raison de mettre en cause les modalitĂ©s de calcul du PIB ?»), il n’en demeure pas moins que les lois Ă©conomiques sont telles qu’aucune Ă©conomie dans le monde ne peut continuer fonctionner et prospĂ©rer si le taux de croissance Ă©conomique est infĂ©rieur au taux d’intĂ©rĂȘt rĂ©el Ă  payer sur la dette extĂ©rieure. Ce n’est mĂȘme pas de l’économie, mais de la simple arithmĂ©tique.

    Dans le cas de notre pays, tant que le taux de croissance du PIB reste aussi faible et oscillant entre 1% et 2% (1,4% pour l’annĂ©e 2024 selon la Banque Mondiale et 1,8% prĂ©vu pour l’annĂ©e 2025 selon la Berd, contre 3,2% prĂ©vue par notre PLF 2025, mais entre les deux, je fais davantage confiance aux prĂ©visions de la Berd), est largement infĂ©rieur aux taux d’intĂ©rĂȘt des emprunts extĂ©rieurs (les plus favorables sont ceux du FMI, de l’ordre de 5%), l’Etat n’aurait pas d’autres choix que de rĂ©duire son train de vie en rĂ©duisant la masse salariale des fonctionnaires, les dĂ©penses de la caisse de compensation et le poids des dĂ©ficits des entreprises publiques sur son budget, ou emprunter davantage aux banques locales si elles veulent bien lui prĂȘter de l’argent ou faire fonctionner Ă  fond le mĂ©canisme de la planche Ă  billets avec le risque de dĂ©clencher une spirale inflationniste incontrĂŽlable, ou
 se dĂ©clarer en dĂ©faut de paiement et se retrouver au Club de Paris pour le rĂ©Ă©chelonnement de la dette publique et/ou au Club de Londres pour le rĂ©Ă©chelonnement de la dette privĂ©e. Si on finit un jour Ă  Paris ou Ă  Londres (autrement que pour y faire du tourisme et du shopping !), on pourrait vraiment dire adieu Ă  notre souverainetĂ© nationale Ă  laquelle Kais SaĂŻed est si Ă  cheval mais qu’on risque de perdre dans des conditions beaucoup plus humiliantes.

    Les motifs de la querelle entre le Président et le FMI

    Il s’agit des trois fameuses conditions posĂ©es par le FMI pour dĂ©bloquer le prĂȘt de1,9 milliards de dollars, approuvĂ© au niveau du comitĂ© technique dĂšs 2022 et bloquĂ© depuis au niveau du conseil d’administration du FMI, qui ont toutes reçus un «niet» catĂ©gorique du PrĂ©sident, Ă  savoir :

    a) la restructuration des entreprises publiques;

    b) la rĂ©duction de la masse salariale dans le budget de l’Etat;

    c) la suppression du mĂ©canisme de compensation des prix de certains produits de consommation de base et Ă©nergĂ©tiques.  

    Une analyse objective du bien-fondĂ© de chaque condition peut aider Ă  savoir s’il s’agit effectivement d’ingĂ©rence inacceptable dans la politique intĂ©rieure du pays comme le soutient le PrĂ©sident ou de rĂ©formes structurelles inĂ©vitables Ă  court ou moyen terme qui vont dans le sens de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral du pays.

    PremiĂšre condition : la restructuration des entreprises publiques

    Je ne suis pas d’accord avec notre PrĂ©sident lorsqu’il affirme dans tous ses discours que la corruption est la principale cause du marasme que connaĂźt notre Ă©conomie depuis la rĂ©volution et qu’il suffit de l’éradiquer pour que la croissance Ă©conomique reprenne et le niveau de vie de la population s’amĂ©liore.

    Certes, il faut continuer Ă  combattre par tous les moyens la corruption mais je lui fais remarquer qu’il n’y a pas un seul pays au monde (j’en ai visitĂ©s une bonne centaine Ă  titre professionnel ou personnel) oĂč la corruption n’existe pas, quoiqu’il est vrai Ă  des degrĂ©s divers (les magouilles en Ukraine de Hunter Biden, le fils de l’ex-prĂ©sident amĂ©ricain, ou celles de Sarkozy en Libye du temps de Kadhafi, en sont de parfaits exemples).

    En tant qu’économiste et ex-consultant Ă  long terme auprĂšs de la BAD, chargĂ© du suivi de la mise en Ɠuvre de 120 grands projets d’infrastructures rĂ©gionales dans tous les pays africains rĂ©alisĂ©s dans le cadre du Nepad (New Partnership for African Development, un gigantesque programme financĂ© par la Banque Mondiale et plusieurs autres bailleurs de fonds internationaux, que n’importe quel passant dans les rues d’Accra, ou d’Abidjan ou de Bamako connaĂźt, alors si on pose la mĂȘme question Ă  un passant dans les rues de Tunis, il vous rĂ©pondra «Dans quelle Ă©quipe de football il joue ?!»), il ne fait pas de doute pour moi que la premiĂšre cause du marasme que connaĂźt notre Ă©conomie depuis la rĂ©volution est la mauvaise gestion Ă  tous les niveaux de dĂ©cision. En particulier, d’une bonne centaine d’entreprises publiques, dont les dĂ©ficits d’exploitation pĂšsent de plus en plus lourd sur le budget de l Etat.

    Je relĂšve d’ailleurs que pour la plupart d’entre elles (Tunisair, SNCFT, Transtu, etc.), les pertes cumulĂ©es depuis plusieurs annĂ©es ont dĂ©passĂ© de plusieurs fois le montant de leurs fonds propres, ce qui veut dire que du point de vue du droit commercial strict, elles sont en faillite et n’existent plus mĂȘme si elles continuent Ă  fonctionner!

    Que ce soit Ă  la demande du FMI ou non, c’est un lourd fardeau pour l’économie nationale qui se traduit par une aggravation du dĂ©ficit du budget de l’Etat, un gaspillage des rares ressources du pays et de pĂ©nalitĂ©s Ă  payer par les usagers de ces services publics, soit en termes de mauvaise qualitĂ© de service, soit dans leurs factures, souvent les deux Ă  la fois.

    La restructuration ne signifie pas la privatisation

    Il est important de faire remarquer que le FMI n’exige nullement la «privatisation» de ces entreprises publiques, comme notre PrĂ©sident l’a interprĂ©tĂ© et n’arrĂȘte pas de le dĂ©noncer dans ses discours, mais de leur «restructuration», car tout ce que demande le FMI est que les  dĂ©ficits d’exploitation de ces entreprises publiques ne viennent plus aggraver le dĂ©ficit budgĂ©taire qui dĂ©passe dĂ©jĂ  largement les normes internationales d’une bonne gestion publique (12% du PIB alors que nous sommes Ă  plus ou moins16%, selon les lois de finance en Tunisie).

    Je fais remarquer aussi que cet objectif peut ĂȘtre atteint sans avoir forcement Ă  cĂ©der aux entreprises au secteur privĂ© comme le PrĂ©sident semble le penser. En effet, il existe plusieurs techniques juridiques et d’ingĂ©nierie financiĂšre pour transformer une entreprise publique dĂ©ficitaire en une entreprise bĂ©nĂ©ficiaire tout en gardant son caractĂšre public, c’est-Ă -dire sans l’entrĂ©e d’investisseurs privĂ©s dans son capital social. Je citerais en particulier trois techniques bien connues par les experts en la matiĂšre, dont je fais partie :

    – Les contrats programmes;

    – les partenariats publics privĂ©s (PPP);

    – et les concessions d’exploitation.

    Les techniques de restructuration sans privatisation des entreprises publiques

    Sans rentrer dans des considĂ©rations techniques qui seraient ennuyeuses pour les lecteurs et lectrices de cet article destinĂ© au grand public, je rappellerais juste l’idĂ©e Ă  la base de chaque technique.

    Le contrat programme : il s’agit d’un contrat, en gĂ©nĂ©ral quinquennal, passĂ© entre une entreprise publique et son ministĂšre de tutelle, qui fixe les objectifs prĂ©cis Ă  atteindre Ă  termes d’accroissement de la production, de la productivitĂ© et de rĂ©duction du dĂ©ficit d’exploitation, moyennant des montants prĂ©cis de subventions d’exploitation ou d’équipement que l’Etat s’engage Ă  l’avance Ă  lui payer annuellement. Cette technique permet de responsabiliser les PDG de ces entreprises sachant que s’ils n’atteignent pas les objectifs auxquels ils se sont engagĂ©s en signant leur contrat programme, ils risquent d’ĂȘtre virĂ©s. C’est une technique qui a bien fonctionnĂ© dans beaucoup de pays et notamment en France oĂč elle a permis de transformer la SNCF d’une entreprise largement dĂ©ficitaire en une entreprise largement excĂ©dentaire en quelques annĂ©es seulement.

    Les PPP : dans ce schĂ©ma, un investisseur privĂ© finance, construit et exploite pour une durĂ©e dĂ©terminĂ©e (en gĂ©nĂ©ral 30 ou 40 ans) une infrastructure (autoroute, port, aĂ©roport, etc.) ou un Ă©quipement lourd (centrale Ă©lectrique, hĂŽpital, etc.) moyennant un cahier de charges qui fixe clairement les redevances annuelles que l’Etat devrait lui payer pour le rembourser progressivement, ainsi que les contraintes de service public auxquelles il sera soumis (qualitĂ© de service, tarifs qui doivent ĂȘtre homologuĂ©s, etc.). Les PPP qui permettent de dĂ©charger le budget de l’Etat de coĂ»ts d’investissement souvent trĂšs Ă©levĂ©s d’une infrastructure ou un Ă©quipement collectif, tout en assurant une gestion plus rigoureuse que seuls les privĂ©s peuvent assurer, sont trĂšs en vogue dans les pays anglo-saxons, notamment en Angleterre oĂč mĂȘme des prisons sont construites et gĂ©rĂ©es dans le cadre de PPP.

    Les concessions d’exploitation : dans ce schĂ©ma, l’Etat construit et finance sur son budget une infrastructure ou un Ă©quipement collectif mais en concĂšde, par appel d’offres, national ou international, l’exploitation pour une durĂ©e de 30 ou 40 ans Ă  un investisseur privĂ© qui lui versera des redevances annuelles d’exploitation. A la fin de la concession, la propriĂ©tĂ© de l’infrastructure ou de l’équipement revient Ă  l’Etat. LĂ  aussi le concessionnaire est soumis Ă  un cahier de charges strict qui fixe ses obligations en matiĂšre de qualitĂ© de service Ă  fournir aux usagers, d’entretien, de sĂ©curitĂ©, de protection de l’environnement, etc., avec obligation d’homologation tarifaire pour protĂ©ger les usagers contre des tarifs abusifs et injustifiĂ©s.

    Ce modĂšle a Ă©tĂ© appliquĂ© avec succĂšs Ă  Tunisie-Autoroutes et a permis de construire, entretenir et gĂ©rer un rĂ©seau autoroutier de 387 km Ă  ce jour (sans l’autoroute Tunis-Jelma d’une longueur de 181 km en voie d’achĂšvement) sans que cela coĂ»te un dinar pour le budget de l’Etat et sans changer son statut de sociĂ©tĂ© publique.

    Le premier objectif recherchĂ© par tous ces montages juridiques et financiers  est de tirer profit de la capacitĂ© de gestion des privĂ©s qui est en gĂ©nĂ©ral supĂ©rieure Ă  celle de leurs homologues publics, non pas que leurs cadres soient plus intelligents ou titulaires de plus de diplĂŽmes universitaires, mais parce qu’ils sont soumis au systĂšme de la rĂ©compense/sanction en vigueur dans le secteur privĂ©, auquel leurs collĂšgues du secteur public ne sont pas soumis : le PDG d’une entreprise du secteur privĂ© sait qu’il sera rĂ©compensĂ© par des primes de rendement Ă  la fin de l’exercice s’il obtient de bons rĂ©sultats et virĂ© par le CA de l’entreprise s’il obtient de mauvais rĂ©sultats, alors que le PDG d’une entreprise publique sait que, tant qu’il excelle dans «l’art de caresser dans le sens du poil» son ministre de tutelle, il peut espĂ©rer garder son poste pendant longtemps, que les rĂ©sultats de sa gestion soient bons ou pas!

    La conclusion Ă  laquelle j’arrive est que si j’étais Ă  la place du PrĂ©sident de la RĂ©publique (heureusement je ne le suis pas et je ne risque pas de l’ĂȘtre un jour !) , non seulement j’ aurais acceptĂ© cette premiĂšre condition du FMI de restructuration des entreprises publiques, mais j’aurais demandĂ© mĂȘme une assistance technique (que les bailleurs de fonds fournissent en gĂ©nĂ©ral gratuitement) pour la mettre en Ɠuvre le plus rapidement et le plus efficacement possible.

    DeuxiĂšme condition : rĂ©duction de la part de ma masse salariale dans le budget de l’Etat

    J’ai cĂŽtoyĂ© pendant trĂšs longtemps (20 ans) Ă  titre de consultant international les experts de ces institutions multilatĂ©rales de financement telles que le FMI, la Banque Mondiale, la BAD, la BEI, la BID, la Bird, la Berd, etc.

    Je peux affirmer qu’ils raisonnent tous selon ce qu’on appelle dans le mĂ©tier les «best practices» (meilleures pratiques). Il s’agit d’analyser la politique suivie par des pays qui ont particuliĂšrement rĂ©ussi dans un domaine ou secteur particulier, qu’on appelle des «success stories», d’en tirer des leçons et de les recommander aux autres pays qui rencontrent les mĂȘmes problĂ©matiques. Être un expert international n’est pas plus compliquĂ© que cela.

    Dans le domaine de la gestion publique et de la maĂźtrise de l’équilibre budgĂ©taire d’un État, les «best practices» sont un dĂ©ficit budgĂ©taire qui ne dĂ©passe pas 3% du PIB (on appelle cela le critĂšre de Maastricht). Or en Tunisie, nous sommes autour de 6%, selon la loi de finance de chaque annĂ©e, soit le double des normes internationales d’une bonne gestion publique. De mĂȘme, la masse salariale des fonctionnaires ne doit pas dĂ©passer 12% du PIB, alors qu’en Tunisie nous sommes autour 16%.

    Ces dĂ©calages par rapport aux «best practices» ne passent pas auprĂšs des experts de ces institutions multilatĂ©rales de financement qui auront Ă  rendre compte Ă  leur retour de mission Ă  leurs supĂ©rieurs hiĂ©rarchiques, eux-mĂȘmes adaptes de ces techniques d’évaluation.

    Ayant compris comment fonctionnent ces experts internationaux (ce sont presque des ordinateurs qui appliquent des algorithmes), notre PrĂ©sident, au lieu de leur opposer un niet catĂ©gorique et en faire mĂȘme un motif de rupture des relations avec le FMI, aurait dĂ», Ă  mon avis, nĂ©gocier ce que Trump appelle un «deal», un art dans lequel il excelle et qui lui a permis de devenir milliardaire et puis PrĂ©sident des Etats-Unis.

    En clair, Ă  partir du moment oĂč cette rĂ©forme demandĂ©e par le FMI est inĂ©luctable, car la capacitĂ© de recrutement de l’administration n’est pas infinie et accroĂźt le dĂ©ficit budgĂ©taire, il aurait dĂ» nĂ©gocier un programme souple pour sa mise en Ɠuvre progressive avec le moins impact social possible. Le gouvernement de Youssef Chahed l’a bien compris (pour moi en tant qu’économiste, il est LE meilleur Premier ministre que nous avons eu depuis la rĂ©volution, que cela plaise Ă  ceux qui font de la politique politicienne ou non), Samir SaĂŻed l’ a compris aussi (pour moi, il est LE meilleur ministre de l’Économie que nous avons eu depuis la rĂ©volution, encore une fois que cela plaise Ă  ceux qui font de la politique politicienne ou pas, car je n’en fais pas) et ils avaient commencĂ©, dĂšs le dĂ©but des nĂ©gociations avec le FMI en 2016, Ă  Ă©laborer une stratĂ©gie qui consiste Ă  encourager les dĂ©parts anticipĂ©s Ă  la retraite, l’accord de primes de dĂ©part, la facilitation des prĂȘts aux fonctionnaires qui veulent lancer leur propre projet, le non renouvellement automatique des dĂ©parts Ă  la retraite, etc. Pour moi, c’était indiscutablement la bonne voie Ă  suivre, car continuer Ă  avoir environ 780 000 fonctionnaires pour 12 millions d’habitants est contreproductif.

    De mon point de vue, il vaut mieux crĂ©er une sorte caisse de chĂŽmage pour les jeunes et les diplĂŽmĂ©s de l’enseignement supĂ©rieur en chĂŽmage et les payer Ă  ne rien faire plutĂŽt que de les recruter avec le risque de gĂȘner ceux qui travaillent dĂ©jĂ  dans l’administration et faire baisser leur productivitĂ© qui est dĂ©jĂ  faible.

    Malheureusement, notre PrĂ©sident a non seulement rejetĂ© cette deuxiĂšme condition, nous privant ainsi de 1,9 milliards de dollars qui auraient Ă©tĂ© une bouffĂ©e d’oxygĂšne dans une conjoncture aussi difficile. Pire, avec sa derniĂšre dĂ©cision de recruter d’un seul coup 5000 diplĂŽmĂ©s de l’enseignement supĂ©rieur en chĂŽmage, il est en train d’appliquer une politique exactement inverse Ă  celle prĂ©conisĂ©e par le FMI. S’est-il demandĂ© avec quelles ressources budgĂ©taires ils seront payĂ©s, sachant que seulement 24% des emprunts extĂ©rieurs prĂ©vus dans  la PLF de 2025 ont Ă©tĂ© identifiĂ©s Ă  ce jour? Sait-il que le recours abusif au mĂ©canisme de la planche Ă  billets, que ce soit dans le cadre de la loi actuelle datant de 2016 fixant le statut de la BCT ou aprĂšs l’avoir amendĂ©e comme il en a l’intention, risque d’engager l’économie dans une spirale inflationniste qui va entrainer l’érosion du pouvoir d’achat particuliĂšrement des classes sociales Ă  faibles revenus dont il dĂ©clare se soucier tellement, la dĂ©tĂ©rioration de la compĂ©titivitĂ© de nos entreprises, un plus grand chĂŽmage, une dĂ©tĂ©rioration de la paritĂ© du dinar, donc une plus grande inflation, etc.? Se doute-t-il qu’au bout de ce processus infernal, la Tunisie sera contrainte de se dĂ©clarer en dĂ©faut de paiement et de se retrouver au Club de Paris pour nĂ©gocier le rĂ©Ă©chelonnement de sa dette publique et perdra ainsi sa souverainetĂ© nationale au nom de laquelle le prĂ©sident a rompu les relations avec le FMI? MystĂšre!

    TroisiĂšme condition : la suppression de la compensation sur les produits de consommation de base et Ă©nergĂ©tiques 

     Il s’agit de la troisiĂšme condition que le PrĂ©sident a catĂ©goriquement rejetĂ©e et celle qui a fait capoter le plus les nĂ©gociations avec le FMI.

    Alors que les deux premiĂšres conditions relĂšvent de problĂ©matiques purement Ă©conomiques que je prĂ©tends maĂźtriser parce qu’elles visent la recherche d’une plus grande efficacitĂ© Ă©conomique, cette troisiĂšme condition relĂšve d’une problĂ©matique purement politique. N’étant pas moi-mĂȘme un politicien, mon analyse sera moins tranchĂ©e et mes idĂ©es plus discutables. Je les dĂ©veloppe quand mĂȘme.

    Pour aborder cette problĂ©matique, j’adopterais l’approche d’Elon Musk, l’homme le plus riche du monde qui a crĂ©Ă© Tesla, Space X, Neurolink, etc., et dont je suis un fan et Ă©coute sur YouTube toutes ses interviews et confĂ©rences. Ce gĂ©nie incontestable des temps modernes a l’habitude de dire : savoir poser un problĂšme, c’est le rĂ©soudre Ă  moitiĂ©.

    Selon cette approche, je poserais le problĂšme de la caisse de compensation en Tunisie dans les termes suivants : d’abord, cette politique qui date du temps de Bourguiba, aussi nobles que soient ses objectifs sociaux et humains, pose un vĂ©ritable problĂšme d’injustice sociale auquel notre PrĂ©sident est si sensible.

    En effet, comment justifier que celui qui gagne plusieurs milliers de dinars par mois bĂ©nĂ©ficie de la mĂȘme subvention sur le prix d’une baguette de pain que celui qui gagne quelques centaines de dinars ou mĂȘme aucun s’il est en chĂŽmage? Comment justifier que les 10 millions de touristes qui ont visitĂ© notre pays cette annĂ©e ont mangĂ© notre couscous subventionnĂ© par l’Etat et donc le contribuable tunisien? Pire, dans le domaine Ă©nergĂ©tique, comment justifier que le pauvre paysan qui vit en pleine campagne et qui n’a mĂȘme pas de voiture contribue par les taxes qu’il paie Ă  l’ Etat Ă  subventionner l’essence que consomme la Mercedes dernier modĂšle dans laquelle roule un millionnaire pour aller danser dans une discothĂšque Ă  Hammamet?

    A cĂŽtĂ© de la dimension sociale que pose la problĂ©matique de la compensation, il y a une dimension purement Ă©conomique, qu’on appelle «la vĂ©ritĂ© des prix» et Ă  laquelle les Ă©conomistes sont trĂšs attachĂ©s : tout produit dont le prix de vente ne reflĂšte pas le coĂ»t de production se traduit par un gaspillage de ce produit. L’exemple de certains Ă©leveurs de bĂ©tail qui trouvent moins cher d’alimenter leurs poules ou troupeaux par du pain moisi plutĂŽt que  d’acheter des aliments pour bĂ©tail en est une illustration, sans parler des centaines milliers de baguettes jetĂ©es chaque jour dans les poubelles!

    Incontestablement, il y a lĂ  un vĂ©ritable problĂšme social et Ă©conomique que le FMI a raison de soulever, sans parler de l’impact trĂšs lourd des dĂ©penses de compensation sur le budget de l’Etat.

    A partir du moment oĂč le FMI a objectivement raison de poser le problĂšme et que, comme Musk le dit, un problĂšme bien posĂ© est dĂ©jĂ  Ă  moitiĂ© rĂ©solu, il fallait chercher la solution Ă  ce problĂšme plutĂŽt que de l’ignorer et maintenir le statuquo comme notre PrĂ©sident l’a fait et en fait mĂȘme un motif de rupture de toute collaboration avec le FMI

    Certes, la solution de la suppression totale de la compensation proposée par le FMI est inacceptable tant pour des raisons sociales que politiques et le Président a eu raison de rejeter cette solution.

    Pour identifier une autre, je me suis inspirĂ© de la solution trouvĂ©e par beaucoup de pays africains, pour allĂ©ger le budget de l’Etat et rĂ©soudre une problĂ©matique d’injustice sociale pareille mais qui se pose dans le secteur de l’entretien des routes. La solution adoptĂ©e par 27 pays africains (j’ai travaillĂ© longuement sur ce sujet du temps oĂč j’étais expert Ă  la BAD) a Ă©tĂ© de crĂ©er un Fond de DĂ©veloppement Routier (FDR), alimentĂ© par une taxe spĂ©ciale sur les prix du carburant, de sorte que seuls les automobilistes financent l’entretien du rĂ©seau sur lequel ils roulent. Plus ils circulent plus ils doivent contribuer Ă  l’entretien des routes, un principe que les AmĂ©ricains appellent «pay as go».

    Sur la base de cette expĂ©rience africaine rĂ©ussie dans le domaine de l’entretien routier (que la Tunisie, oĂč les nids de poules sur certaines routes sont plus nombreux que les vĂ©hicules qui y circulent !, ferait bien d’adopter), je prĂ©coniserais la crĂ©ation d’une Caisse Autonome de Compensation (CAC) Ă  financer, non pas par de nouvelles taxes sur les entreprises qui subissent dĂ©jĂ  une pression fiscale parmi les plus Ă©levĂ©es au monde, mais par une taxe sur ce que le cĂ©lĂšbre Ă©conomiste Keynes appelle le «capital oisif».

    Il s’agit des actifs rĂ©els et immobiliers qui ne sont pas intĂ©grĂ©s dans le circuit Ă©conomique et ne contribuent donc pas Ă  la production nationale, tels les terrains agricoles non cultivĂ©s, les terrains non bĂątis, etc. Une telle solution permettra de rĂ©duire le dĂ©ficit du budget de l’Etat (objectif recherchĂ© par le FMI), tout en maintenant la compensation des prix de certains produits de consommation de base (objectif recherchĂ© par Kais SaĂŻed). En plus, cerise sur le gĂąteau, elle incitera les propriĂ©taires de ces actifs oisifs, qui s’en servent souvent Ă  des fins de spĂ©culation, Ă  les intĂ©grer dans le circuit Ă©conomique et augmenter la production nationale

    En tout cas, je suis convaincu en tant qu’économiste, que cette question de la compensation qui a bloquĂ© les nĂ©gociations et a engendrĂ© mĂȘme la rupture des relations avec le FMI, est avant une question de vision Ă©conomique et de courage politique qu’une question technique Ă  laquelle les experts trouvent toujours une solution. Sinon, Ă  quoi servent les experts ?

    Conclusion

    En attendant d’analyser dans un prochain article le rĂ©alisme et les chances de rĂ©ussite de la stratĂ©gie de rechange du «compter sur soi» proposĂ©e par le PrĂ©sident pour permettre Ă  la Tunisie de «sortir de l’orniĂšre», ma conclusion provisoire serait de dire que  cette dĂ©cision de rupture de toute collaboration avec le FMI est Ă  mon avis fort regrettable, parce qu’elle a Ă©tĂ© politisĂ©e dĂšs le dĂ©part et parce qu’il y a des voies de solutions techniques qui n’avaient pas Ă©tĂ© explorĂ©es.

    Mais, maintenant que le mal est fait, cette rupture des relations avec le FMI pourrait ĂȘtre l’occasion de sortir du cercle vicieux de l’endettement et de la dĂ©pendance aux institutions internationales. Mais pour cela, encore faudrait-il avoir une vision Ă©conomique claire au plus haut sommet de l’Etat (ce qui ne me semble malheureusement pas ĂȘtre le cas) et des rĂ©formes structurelles auxquelles, avec ou sans les «diktats» du FMI, la Tunisie ne pourrait pas Ă©chapper si elle veut remettre son Ă©conomie sur les rails de la croissance, de la crĂ©ation de richesses et de l’emploi, en vue de  l’amĂ©lioration du niveau de vie de la population, toute la population, pas seulement les classes sociales les plus dĂ©favorisĂ©s, pour la protection desquels il a pris une dĂ©cision aussi lourde de consĂ©quences pour l’avenir de ce pays et de ses enfants

    PS (hors du sujet traitĂ©) : J’invite les lecteurs et lectrices, amateurs et amatrices de poĂ©sie mĂ©taphysique, Ă  me rejoindre sur mon blog sur Google que j’ai appelĂ© «PoĂšmes de la vie» oĂč je m’évade de temps en temps dans le temps et l’espace, trĂšs loin du  FMI, de la BCT, de Kais SaĂŻed, etc. Ils/elles y trouveront des poĂšmes sur ce que ma vie, non pas d’économiste, mais de globe-trotter, m’a appris et des sujets infiniment plus intĂ©ressants pour la nourriture de l’ñme que ne l’est l’économie pour la nourriture pour l’esprit.

    L’article Le PrĂ©sident SaĂŻed a-t-il raison de rompre les relations de la Tunisie avec la FMI? est apparu en premier sur Kapitalis.

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