Gabès et Sfax : une résistance historique à la pollution industrielle

Un constat malheureux : depuis l’accès du pays à l’indépendance Les gouvernements qui se sont succédé à la tête du pays (l’administration centrale) ont pris le pli de se comporter avec les communautés du bassin minier, plus exactement de ce qu’on appelle dans le jargon de ces communautés, « le triangle des Bermudes » (Gafsa, Gabès, Sfax) , comme s’ils étaient plus des sujets que des citoyens de plein droit.
Ils se sont employés « en toute bonne conscience » (bien en toute bonne conscience) à exploiter les externalités positives des ressources minières de leur région (recettes en devises des exportations du phosphate et dérivés) sans se soucier aucunement ni du développement de cette partie de la Tunisie, ni de la protection des populations des impacts négatifs des industries chimiques sur leur environnement immédiat et sur leur santé.
Depuis le changement généré par les émeutes du 10 décembre 2010-janvier 2011, et leur corollaire, la libération d’expression a permis à ces communautés de se manifester et d’exprimer, haut et fort, leur frustration. La demande environnementale a été tellement forte qu’elle a permis d’obtenir quelques résultats.
Les erreurs stratégiques continuent avec les projets de démantèlement
A titre indicatif, l’usine SIAPE de Sfax a vu son activité polluante arrêtée en août 2019 suite à des décisions gouvernementales et une forte pression populaire. Cette fermeture fait suite à des années de mobilisation citoyenne en raison de la grave pollution provoquée par l’usine, qui produisait des fumées acides et des déchets toxiques et radioactifs.
Les industries chimiques de Gabès ont failli connaître le même sort, suite à la décision prise, en 2017, par l’ancien chef du gouvernement, Youssef Chahed, en vue de « démanteler progressivement les six unités de production » existantes et de les remplacer « par une nouvelle zone industrielle conforme aux standards internationaux en matière d’environnement ». Malheureusement cette décision n’a pas encoure abouti et fait actuellement l’objet d’un débat public.
En dépit de ces quelques progrès, l’administration centrale a continué à commettre des bourdes impardonnables. Ainsi, dans sa conception des projets de démantèlement et de remplacement des unités polluantes, au lieu de réfléchir à des solutions radicales et pérennes, elle a cette tendance fâcheuse à retenir d’autres zones de la même région pour abriter éventuellement les unités polluantes, comme si les habitants des zones identifiées étaient des citoyens de seconde zone et ne pouvaient pas s’opposer à de tels projets.
Heureusement toutes les tentatives de faire accepter ce scénario par les autres délégations du gouvernorat de Gabès ont été rejetées.
La demande environnementale, une culture dans la région de Gabès
Deux rejets méritent qu’on s’y attarde. Le premier remonte à l’époque de Ben Ali. A cette époque, un projet a été présenté aux gabésiens en vue de l’arrêt total des rejets du phosphogypse dans le golfe de Gabès. Il s’agit de créer, sur une superficie de 850 hectares, dans la zone de Mkhacherma (à 25 Km des usines actuelles) un site d’enfouissement et d’arrêter les rejets du phosphogypse dans le golfe de Gabès.
Le gouvernement envisageait d’aménager une décharge du phosphogypse à Sebkha El Mkhachrma (près d’Ouedhref) situé à 25 km de GHannouche.
Si jamais cette décharge était aménagée, le phosghogypse rejeté par les unités de transformation du phosphate à Gabès, serait transporté par pompage hydraulique jusqu’ au site de stockage.
Au final ce projet a été abandonné en raison de l’opposition farouche des habitants de la délégation de Oudhref.
Le deuxième rejet a été fait par plusieurs zones que l’administration centrale a choisi pour abriter le transfert des usines du Groupe chimique de Tunisie (GCT) dans la région de Gabès. Il s’agit des zones de ghilouf (délégation d’El hamma), Menzel Habib (40 km d’El Hamma), zone Ramla , la localité de Hdhil (délégation de Gabès Sud) . Les habitants de ces zones ont refusé à l’unanimité d’accueillir sur leur territoire les industries chimiques, dits « new look ».
Par delà ces rejets populaires, du reste légitimes et compréhensibles, ce qui est déplorable c’est l’irresponsabilité et l’immoralité des cadres de l’administration centrale. Car penser déjà à transférer des unités extrêmement polluantes d’une zone à une autre d’une même région, c’est tout simplement immoral et honteux.
ABOU SARRA
EN BREF
- Depuis l’indépendance, le bassin minier tunisien subit une gestion inégalitaire.
- Après 2011, les communautés locales ont revendiqué leur droit à un environnement sain.
- La fermeture de la SIAPE à Sfax a marqué une victoire citoyenne.
- À Gabès, le projet de démantèlement des usines chimiques reste inachevé.
- Les habitants refusent désormais toute relocalisation des unités polluantes dans leur région.
L’article Gabès et Sfax : une résistance historique à la pollution industrielle est apparu en premier sur WMC.