Elles sont ouvrières agricoles ou femmes de ménage. Elles gagnent peu, mais continuent à entretenir leur famille. Au four et au moulin, pour ainsi dire. Le travail, mais aussi les tâches ménagères et l’éducation des enfants font partie intégrante de leur quotidien. Autant dire que lorsque vient le soir, elles rompent un lourd agenda bien minuté et dorment d’un sommeil profond. Sauf, si les soucis du jour continuent à les habituer une partie de la nuit. Une pensée pour elles en cette fête de la femme. Comme un hommage appuyé.
Appelons-là Fatma. Elle a cinquante ans et de longues années de souffrances et de déceptions. Vivant dans une région centrale de la Tunisie, elle est ouvrière agricole. Elle est mariée et mère de trois enfants. Elle se réveille tôt et part travailler dans les champs des alentours, gagnant, bon an mal an, pas plus de 25 dinars ou 30 par jour.
Son mari a un handicap. Il est au chômage et travaille quelques jours par mois. Seul un de ses enfants, Mounir, mécanicien sur des engins agricoles, possède un emploi dans une ferme située à côté de leur foyer, avec un salaire qui ne dépasse pas 650 dinars par mois. Fatma et Mounir font vivre, avec ce qu’ils gagnent toute la famille ; soit cinq personnes.
Et à l’heure où l’on commémore le 69ème anniversaire de la promulgation du Code du Statut Personnel (CSP), il est bon de se rappeler l’existence de ces sans voix. Qui font partie de ces femmes lève-tôt qui souffrent le martyr. Parce que non seulement démunies, mais parce qu’elles continuent à marcher bravant les vicissitudes de la vie. Une femme qu’on a mariée souvent jeune et sans qu’elle ait vraiment eu d’autres choix que d’épouser, qui un cousin, qui un voisin.
Son mari a un handicap. Il est au chômage et travaille quelques jours par mois. Seul un de ses enfants, Mounir, mécanicien sur des engins agricoles, possède un emploi dans une ferme située à côté de leur foyer et son salaire ne dépasse pas 650 dinars par mois. Fatma et Mounir font vivre, avec ce qu’ils gagnent toute la famille.
Evidemment, il ne faut pas tomber dans le catastrophisme. En oubliant que le vécu des femmes, y compris celles qui vivent dans nos campagnes, n’est plus ce qu’il était un certain 13 août 1956 lorsque le Zaïm Habib Bourguiba, alors Premier ministre du dernier des beys, Mohamed Lamine Bey, décide de siffler la fin de la récréation d’une vie faite d’asservissement de la femme.
« 55 morts et 796 blessées »
Evidemment aussi grâce à des initiatives courageuses des dernières années, l’Etat tunisien s’est porté au secours des ouvrières agricoles. Avec la promesse d’un Fonds de sécurité sociale pour les ouvrières agricoles ; « Une protection sociale qui repose sur un système intégré qui vise à promouvoir la culture de l’entrepreneuriat à travers des incitations financières et des mécanismes garantissant la protection sociale contre la maladie, les accidents de travail et des pensions de retraite ».

Ou encore, la promulgation d’une loi (la Loi n° 2019-51 du 11 juin 2019, portant création d’une catégorie de « transport de travailleurs agricoles »). Un service défini dans un de ses articles comme « un service de transport public non régulier de personnes réservé aux travailleurs agricoles titulaires, saisonniers ou provisoires ». Les ouvrières agricoles sont sujettes à des accidents en raison de mauvaises conditions de transport. Des chiffres font état qu’entre 2015 et 2023, 55 femmes ont trouvé la mort et 796 ont été blessées ».
Mais, comme tout le monde le sait, nombre de vécus difficiles persistent. « Les ouvrières agricoles rencontrent des conditions de travail souvent précaires, marquées par l’exploitation et la marginalisation. Elles sont majoritairement des femmes, travaillant sans contrat, sans protection sociale, et souvent exposées à des produits chimiques dangereux sans équipement de protection », peut-on lire dans certains descriptifs les concernant.
Soumises aux mêmes obligations familiales
Beaucoup de femmes continuent, cela dit, à être au four et au moulin dans une Tunisie rurale marquée par la persistance d’une certaine mentalité. C’est que les tâches ménagères et l’éducation des enfants continuent pour l’essentiel le lot quotidien des ouvrières agricoles. Dont les estimations font apparaître leur importance dans la population : elles seraient au nombre de « 500 000 » et « représenteraient plus de 80 % de la main-d’œuvre dans le secteur agricole ». Autant dire que lorsque vient le soir, elles rompent un lourd agenda bien minuté et dorment d’un sommeil profond. Sauf, si les soucis du jour continuent à les habituer une partie de la nuit.
Il ne faut pas tomber dans le catastrophisme. En oubliant que le vécu des femmes y compris celles qui vivent dans nos campagnes n’est plus ce qu’il était un certain 13 août 1956 lorsque le Zaïm Habib Bourguiba alors Premier ministre du dernier des beys, Mohamed Lamine Bey, décide de siffler la fin de la récréation d’une vie faite d’asservissement de la femme.
Loin de nos campagnes, d’autres sans voix existent. Chacun peut les voir au quotidien dans nos administrations, entreprises et même dans certains foyers. Elles assurent, le plus souvent, des travaux de ménage. Et sont souvent, côté précarité, dans la même situation que les ouvrières agricoles. Et évidemment elles sont soumises quasiment aux mêmes obligations familiales.
Leur quotidien est réglé d’avance. Il est fait souvent d’une course matinale derrière des transports défaillants et quelque peu irréguliers. Il leur faudra prendre une voiture de louage et deux bus pour arriver à leur lieu de travail. Un transport sans le moindre confort : quelquefois une banquette leur sert de siège. Et au bout, une journée de travail au cours de laquelle elle se nourrit d’une bouteille de petit-lait et d’un peu de pain. Beaucoup transportent le matin dans une sacoche un menu repas fait d’un plat de couscous ou de pâte de la veille qu’elle réchauffe dans un four micro-onde sur son lieu de travail.
Heureusement pour beaucoup – ou certaines – d’entre elles, la loi sur la précarité de l’emploi – la loi n°16 de l’année 2025 relative à « l’organisation des contrats de travail et à l’interdiction de la sous-traitance », décidée en mai dernier par le premier magistrat du pays – est passée par là. Leur assurant une dignité et une meilleure sécurité quant à leur avenir et celui de leur famille. Soit la fin d’un calvaire.
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