De Zouari à Makhloufi : comment la caution est devenue la nouvelle arme judiciaire
Entre justice financière et symbolique sociale, les montants records des libérations provisoires redéfinissent les équilibres du système judiciaire.
Une montée spectaculaire des cautions
En l’espace de deux ans, la Tunisie a vu apparaître une pratique judiciaire inédite : la libération provisoire contre des cautions de plusieurs dizaines de millions de dinars. Après Abderrahim Zouari (18 MD en 2023) et Abdelaziz Makhloufi (50 MD en 2025), c’est désormais l’homme d’affaires Ahmed Abdelkefi qui rejoint cette liste restreinte des figures économiques libérées sous caution record.
Ce mercredi 5 novembre 2025, le premier juge d’instruction du pôle judiciaire économique et financier a ordonné la libération provisoire de l’ancien président du Fonds des dépôts et consignations (CDC) contre le versement d’une caution de 25 millions de dinars, selon des sources judiciaires concordantes.
Le précédent Makhloufi : un record historique
Quelques heures plus tôt, une autre affaire faisait déjà la une : celle de l’ex-président du Club Sportif Sfaxien, Abdelaziz Makhloufi, libéré contre une caution de 50 millions de dinars.
Poursuivi dans le cadre du dossier dit Henchir Chaâl, impliquant des cadres du ministère de l’Agriculture, Makhloufi avait été placé en détention en 2024 pour soupçons de corruption administrative et financière.
Jamais un justiciable tunisien n’avait jusqu’alors dû verser une telle somme pour retrouver la liberté.
Des précédents bien en-deçà
Jusqu’ici, le montant le plus élevé connu pour une libération effective sous caution concernait Abderrahim Zouari, ancien ministre et homme d’affaires, relâché en 2023 contre 18 millions DT dans une affaire liée à l’Office de la marine marchande et des ports.
Avant lui :
- Nabil Karoui, président de Nessma TV, avait retrouvé la liberté en 2021 après le dépôt d’une caution de 10 millions DT dans une affaire de blanchiment et d’évasion fiscale ;
- Slim Chiboub, ex-gendre de Ben Ali, avait bénéficié d’une libération provisoire contre 5 millions DT dans le dossier de la Marina de Gammarth, avant d’être ultérieurement rattrapé par d’autres condamnations ;
- Sami Fehri, producteur et fondateur de Cactus Prod, avait été libéré en 2021 après paiement d’une caution de 4 millions DT, puis condamné à deux ans de prison avec sursis ;
- Noureddine Boutar, directeur général de Mosaïque FM, avait lui aussi obtenu sa libération en 2023 contre 1 million DT, tout en restant sous contrôle judiciaire et interdiction de voyage.
Le cas Charfeddine, à part
Certes, Ridha Charfeddine s’était vu imposer une caution record de 150 millions DT, mais il n’a jamais recouvré la liberté, demeurant détenu dans une autre affaire de corruption présumée.
De ce fait, Makhloufi est aujourd’hui le seul à avoir été effectivement libéré après le paiement d’un montant aussi colossal, ce qui fait de lui le nouveau “recordman” des cautions judiciaires tunisiennes.
Un tournant dans la justice économique
Ces deux décisions, rendues le même jour par des juges du pôle judiciaire économique et financier, traduisent un changement de paradigme : la caution devient un outil central dans le traitement des affaires économiques sensibles.
Dans un contexte où les enquêtes financières se multiplient et où la détention préventive est parfois critiquée, cette solution apparaît comme un compromis : garantir la présence de l’accusé tout en évitant une incarcération prolongée.
Mais elle soulève aussi des questions : la liberté provisoire est-elle désormais proportionnelle à la fortune de l’accusé ?
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