Rym Zaryat – FTTH : « Notre secteur ne demande pas des subventions, mais une vision et du sens »
Alors que la filière textile tunisienne tente de réinventer son modèle, la révolution numérique et les exigences en matière de durabilité imposent une transformation en profondeur. Rym Zaryat, membre du bureau exécutif de la FTTH, aborde dans cette seconde partie les grandes mutations à l’œuvre dans l’industrie textile mondiale et le positionnement que la Tunisie peut ambitionner. Elle évoque également les défis sociaux, les enjeux de formation, et la nécessité d’un changement culturel dans les modes de gestion et de production.
On parle beaucoup de digitalisation dans l’industrie textile. Concrètement, que signifie-t-elle pour un acteur comme Coats ?
La digitalisation, ce n’est pas seulement installer un ERP ou automatiser une machine. C’est une transformation globale. Chez Coats, cela signifie des processus intégrés, des prévisions de production optimisées par l’IA, une traçabilité numérique de bout en bout, et même des plateformes de co-développement avec nos clients. Cela nous permet de gagner en agilité, de mieux gérer nos stocks, de réduire nos délais de réponse, et surtout de fiabiliser notre promesse client. Dans un marché aussi tendu, chaque jour gagné est un avantage concurrentiel.
La Tunisie est-elle prête pour cette révolution numérique dans l’industrie ?
Nous avons un potentiel énorme, grâce à une jeunesse très connectée et de grands talents en ingénierie. Mais il y a encore un grand écart entre le discours et la réalité industrielle.
De nombreuses entreprises restent bloquées sur des systèmes archaïques, sans outils de planification, sans automatisation de base. La digitalisation n’est pas un luxe, c’est une condition de survie. Il faut donc accélérer, en mettant en place des programmes d’accompagnement, de financement et de formation sur mesure.
Justement, qu’en est-il de la formation ? La trouvez-vous adaptée à l’industrie 4.0 et très prochainement l’industrie 5.0 ?
C’est un vrai point critique. Nous avons un système de formation qui produit encore des profils calibrés pour une industrie des années 1990 même si certains centres essayent d’être dans l’ère du temps. Or les métiers ont profondément changé.
Les besoins sont maintenant sur des techniciens capables d’interagir avec des systèmes automatisés, de responsables qualité familiale avec les normes internationales, de logisticiens maîtrisant les outils numériques. Le potentiel est là, le Tunisien apprend vite et s’adapte encore plus rapidement.
Il y a un travail à faire pour réconcilier les centres de formation avec les besoins réels des entreprises. Chez Coats, nous investissons beaucoup en formation interne, mais nombre de PME ne peuvent pas en faire autant.
Parlons de compétitivité sociale. Le textile tunisien a souvent été accusé d’user d’une main-d’œuvre sous-payée. Pensez-vous que l’on doive défendre le site en mettant en avant cet argument, n’est-ce pas brader la main d’œuvre nationale ?
Le coût du travail est important mais j’estime que le professionnalisme et la compétence sont encore plus importants. Le coût du travail en Tunisie n’est plus aussi bas qu’il l’était.
Le défi, désormais, est de défendre comme il se doit les compétences pour justifier la hausse des salaires et des coûts. Chez Coats, nous avons un dialogue social constructif, des audits sociaux réguliers et des normes éthiques élevées. Ce sont aussi des arguments commerciaux, car les clients y sont très sensibles.
Les salaires peuvent-ils continuer à augmenter sans nuire à la compétitivité du secteur ?
C’est une question d’équilibre. On ne peut pas construire une industrie pérenne sur les salaires de misère. Mais pour que les augmentations de salaires soient soutenables, il faut des gains de productivité. Cela suppose d’investir dans l’équipement, dans la formation, dans une organisation plus rationnelle du travail. Il faut aussi éviter les surenchères qui ne reposent sur rien. Le dialogue social doit être mature, fondé sur des données, pas sur des rapports de force émotionnels.
Quelle est aujourd’hui la place de la Tunisie dans les chaînes de valeur mondiales du textile ?
Nous sommes un maillon intermédiaire, plutôt bien positionné dans la chaîne euro-méditerranéenne. La FTTH se bat pour que nous sortions de la logique de simple sous-traitance. Certaines entreprises sont en train d’intégrer davantage des activités à plus forte valeur ajoutée : conception, prototypage, R&D, services logistiques.
Il y a aussi une carte à jouer sur les techniques textiles et durables. L’avenir du textile ne se limite pas à la mode : il y a des applications dans l’automobile, le médical, le sport… La Tunisie peut devenir une plateforme régionale, à condition de changer d’échelle et d’ambition.
Est-ce que les donneurs d’ordre étrangers soutiennent cette montée en gamme ?
Certains oui, d’autres non. Cela dépend de leur propre stratégie. Les clients les plus avancés recherchent des partenaires capables d’innover avec eux. Ils sont prêts à payer un peu plus si on leur apporte de la valeur ajoutée. Chez Coats, nous privilégions des relations de long terme avec des marques qui partagent nos valeurs et notre vision de l’industrie.
Comment jugez-vous le rôle de l’État tunisien dans l’accompagnement du secteur?
L’État a un rôle important à jouer, notamment pour créer un environnement favorable : infrastructures, fiscalité, accès au financement, diplomatie économique… Mais il ne doit pas se substituer à l’initiative privée. Ce que nous demandons, ce n’est pas d’être assisté, mais d’avoir un cadre clair, prévisible, et incitatif. Il devrait également mieux coordonner les politiques industrielles, de formation et d’exportation. Le textile n’est pas un secteur du passé, c’est un levier d’avenir s’il est bien piloté.
En tant que dirigeante, comment voyez-vous l’évolution du management industriel en Tunisie ?
On assiste à une transformation culturelle. Le management pyramidal, autoritaire, fondé sur la peur, ne fonctionne plus. Les jeunes générations veulent du sens, de la transparence, de la reconnaissance. Il faut construire des équipes plus autonomes, plus responsables, avec une culture du résultat mais aussi du bien-être. Le défi, c’est de former les cadres intermédiaires à cette nouvelle posture. Chez Coats, nous travaillons beaucoup sur le leadership collaboratif, l’intelligence émotionnelle, la gestion du changement.
Avez-vous un message pour les jeunes qui hésitent à rejoindre l’industrie textile ?
Oui : osez ! Le textile n’est plus un secteur poussiéreux. C’est un champion d’innovation, d’excellence industrielle, d’ouverture internationale. Il y a de vraies carrières à construire, à tous les niveaux. Nous avons besoin de jeunes ingénieurs, de designers, de responsables qualité, de chefs de projet logistique… Le textile est aussi un secteur où l’on voit concrètement l’impact de son travail.
Produire, transformer, exporter, c’est très gratifiant. Il faut juste sortir des clichés et se confronter à la réalité : elle est bien plus stimulante que ce qu’on imagine.
Quelles sont vos priorités pour les années à venir ?
Consolider notre position comme acteur de référence en matière de qualité, d’innovation et de durabilité. Continuer à investir dans nos talents, dans nos outils, et dans notre capacité à accompagner nos clients dans leurs propres transformations.
Et puis, plus largement, contribuer à la construction d’un écosystème textile tunisien plus résilient, plus cohérent, et plus ambitieux. Le monde change vite. Soit on subit, soit on anticipe. Chez Coats, nous avons choisi d’anticiper.
Entretien conduit par Amel Belhadj Ali
EN BREF
- Le textile tunisien doit accélérer sa digitalisation pour rester compétitif.
- La formation doit évoluer pour répondre aux besoins des industries connectées.
- La compétitivité sociale repose désormais sur les compétences, pas sur les bas salaires.
- La montée en gamme passe par l’innovation, la qualité et la durabilité.
- Le management évolue vers plus de responsabilisation et de sens.
- Le secteur peut offrir de vraies opportunités aux jeunes, loin des clichés.
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