*Cet article fait partie d’une série de publications dans le cadre de notre voyage au Japon à l’occasion de la TICAD 9
En marge de la TICAD 9 à Yokohama, à laquelle nous avons été invités pour couvrir l’événement, nous avons eu l’occasion d’observer de près la société japonaise. Une expérience qui suscite une question intrigante : peut-on réellement comparer la Tunisie au Japon ?
D’un point de vue technologique et économique, le fossé est immense. Le Japon, moteur mondial de l’innovation, excelle dans la robotique, l’intelligence artificielle et les infrastructures urbaines intelligentes. La Tunisie, malgré ses efforts en matière de startups et de digitalisation, se trouve encore loin derrière. Combien de siècles faudrait-il à la Tunisie pour rattraper ce géant asiatique ? Le rythme actuel laisse imaginer un écart quasi irrattrapable à court terme.
À cela s’ajoute la culture du travail au Japon, quasi sacrée, où la discipline et la rigueur structurent la vie quotidienne. Chaque citoyen, de l’employé à l’entrepreneur, semble façonné par cette exigence de perfection et d’efficacité. C’est un modèle fascinant mais exigeant, où l’individualisme organisationnel prime souvent sur le lien social.
En effet, le Japon impressionne par sa culture du travail quasi sacrée. La discipline, la ponctualité et le dévouement sont profondément ancrés dans chaque citoyen, que ce soit dans les bureaux ultra-organisés ou dans les petites entreprises familiales. L’efficacité prime, parfois au détriment de la vie sociale, et cette exigence façonne l’ensemble de la société.
Au Japon, la culture du travail prend parfois des allures quasi sacrées. Une anecdote souvent citée est celle de salariés qui, même malades, refusent de quitter leur poste, estimant que s’absenter serait une faute morale envers leurs collègues. Dans certaines entreprises, on a vu des employés dormir discrètement à leur bureau – une pratique appelée inemuri, tolérée car elle prouve l’investissement total dans la tâche. Ce culte du travail, poussé à l’extrême, illustre à la fois la rigueur et le dévouement des Japonais, mais soulève aussi des interrogations sur la frontière entre discipline professionnelle et sacrifice personnel.
Ce n’est pas qu’une question d’argent
En effet, si la Tunisie, malgré ses efforts pour soutenir les startups et la digitalisation des services publics, reste loin derrière, les écarts sont tels qu’on pourrait se demander combien de siècles seraient nécessaires pour que la Tunisie rattrape son homologue asiatique. Ce n’est pas qu’une question d’argent ou de politique : c’est tout un écosystème technologique, éducatif et culturel qui façonne l’avance japonaise.
Pourtant, la comparaison n’est pas unilatérale. La Tunisie peut aussi offrir des leçons au Japon. Premièrement, la flexibilité et la débrouillardise : face à des contraintes économiques ou matérielles, les Tunisiens trouvent des solutions ingénieuses, que ce soit en artisanat, agriculture ou technologies « low-cost ». Cette capacité d’adaptation pourrait inspirer des solutions japonaises plus accessibles et proches des besoins locaux, notamment dans les zones rurales ou face aux urgences.
Deuxièmement, la vie en communauté et la chaleur humaine : la société tunisienne valorise le lien social, les interactions quotidiennes et la solidarité. Au Japon, malgré la sécurité et l’efficacité, l’isolement social reste un défi majeur. L’expérience tunisienne montre l’importance d’un tissu social fort, capable de renforcer le bien-être collectif.
La jeunesse comme moteur d’innovation
En Tunisie, la jeunesse a prouvé qu’elle pouvait être une véritable force de transformation. C’est elle qui, à travers les réseaux sociaux, les mobilisations citoyennes et les initiatives locales, a impulsé des changements profonds dans la société.
Des mouvements comme celui du 14 janvier 2011 ou les multiples collectifs engagés dans la protection de l’environnement, la culture numérique ou encore l’économie solidaire témoignent d’une capacité remarquable à inventer de nouvelles formes d’action et de solidarité.
Cette créativité sociale, portée par une jeunesse souvent livrée à elle-même dans un contexte de chômage élevé, contraste avec la situation du Japon, où la société vieillissante freine l’émergence de voix nouvelles et peine à intégrer les aspirations des jeunes générations. En s’inspirant de l’exemple tunisien, le Japon pourrait redécouvrir le potentiel de sa propre jeunesse comme moteur d’innovation sociale et politique, capable de réinventer des modèles de participation et d’avenir.
Ainsi, loin de simplement comparer des niveaux de richesse ou d’innovation, cette observation met en lumière un échange de valeurs : la Tunisie peut admirer le Japon pour sa technologie et sa discipline, tandis que le Japon pourrait s’inspirer de la Tunisie pour humaniser sa société et valoriser la débrouillardise. Une dualité fascinante qui enrichit le regard porté sur les deux nations.
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