ECLAIRAGE – L’ombre longue de l’inflation passée – Pourquoi la Tunisie reste prisonnière de son passé … (2/3)
On croit souvent que l’inflation est une affaire de chiffres, de pourcentages et de courbes. En réalité, elle est d’abord une affaire de mémoire(*). Un pays qui a vécu une inflation persistante en garde les stigmates pendant des décennies : les ménages perdent confiance, les entreprises deviennent méfiantes et la banque centrale se voit condamnée à réagir de manière plus dure que de raison. La Tunisie, à l’instar de nombreuses économies émergentes, illustre tragiquement cette loi économique non écrite : l’histoire pèse plus lourd que la conjoncture (**).
Dans toute économie, l’expérience passée structure la manière dont les citoyens projettent l’avenir. L’Amérique latine en est l’exemple le plus frappant. L’Argentine, marquée par une hyperinflation chronique, vit encore aujourd’hui sous le joug d’anticipations inflationnistes incontrôlables : chaque promesse de stabilité est accueillie avec scepticisme, forçant la banque centrale à des politiques monétaires draconiennes qui finissent par asphyxier l’économie réelle.
À l’inverse, l’Europe de l’Est a démontré que la rupture radicale est possible. La Pologne, après une inflation à trois chiffres au début des années 1990, a bâti une crédibilité monétaire solide grâce à une politique budgétaire disciplinée, une ouverture maîtrisée et une communication claire de sa banque centrale. Résultat : la mémoire de l’hyperinflation s’est estompée, les anticipations se sont stabilisées, et le pays a pu attirer massivement les investissements.
À l’inverse, l’Europe de l’Est a démontré que la rupture radicale est possible. La Pologne, après une inflation à trois chiffres au début des années 1990, a bâti une crédibilité monétaire solide grâce à une politique budgétaire disciplinée, une ouverture maîtrisée et une communication claire de sa banque centrale.
La Tunisie, quant à elle, se situe entre ces deux trajectoires. Elle n’a pas connu l’hyperinflation, mais une inflation structurelle persistante, suffisamment forte pour miner la confiance dans le dinar et créer une habitude inflationniste difficile à déloger.
Une Banque centrale sous contrainte
La Banque centrale de Tunisie est consciente de ce dilemme. Elle sait que chaque dérapage des prix alimente une spirale psychologique : les ménages ajustent leurs dépenses par peur de nouvelles hausses, les entreprises répercutent immédiatement les anticipations inflationnistes dans leurs prix, et les syndicats réclament des revalorisations salariales qui entretiennent la boucle prix-salaires. Pour casser cette dynamique, la BCT n’a qu’une arme : le taux directeur. Mais chaque hausse se traduit par une contraction du crédit, un frein à l’investissement et un ralentissement de l’activité, aggravant les tensions sociales déjà explosives.
Le paradoxe de la crédibilité
Ce cercle vicieux n’est pas propre à la Tunisie. La Turquie en offre un exemple saisissant. Malgré une longue histoire d’inflation, la banque centrale turque avait réussi à gagner en crédibilité dans les années 2000. Mais cette crédibilité n’a pas suffi à ancrer durablement les anticipations. Chaque fois que l’inflation repart à la hausse, les marchés exigent des réponses brutales, et la moindre hésitation est interprétée comme une faiblesse. La crédibilité, paradoxalement, n’allège pas la charge de la politique monétaire : elle oblige au contraire à des réactions systématiquement vigoureuses, car le poids du passé reste présent.
En Tunisie, le même paradoxe est à l’œuvre. Même si la BCT affiche son indépendance et communique plus clairement qu’avant, les anticipations inflationnistes des agents économiques restent largement « désancrées ». Les promesses de stabilité sont accueillies avec circonspection, et la Banque centrale se retrouve contrainte de frapper fort à chaque dérapage, quitte à sacrifier la croissance.
En Tunisie, le même paradoxe est à l’œuvre. Même si la BCT affiche son indépendance et communique plus clairement qu’avant, les anticipations inflationnistes des agents économiques restent largement « désancrées ». Les promesses de stabilité sont accueillies avec circonspection, et la Banque centrale se retrouve contrainte de frapper fort à chaque dérapage, quitte à sacrifier la croissance.
L’équation tunisienne : entre histoire et réformes
Ce constat soulève une vérité fondamentale : en Tunisie, comme ailleurs, la lutte contre l’inflation ne peut être laissée à la seule banque centrale. Les déséquilibres qui alimentent la hausse des prix sont structurels : déficit commercial chronique, dépendance aux importations, poids des subventions, dérives budgétaires et spéculations organisées dans les circuits de distribution. Tant que ces sources ne seront pas taries, aucune politique monétaire, aussi agressive soit-elle, ne pourra restaurer durablement la confiance.
L’expérience internationale prouve que l’on peut échapper à l’ombre du passé, mais à condition de coupler discipline monétaire et réformes structurelles. C’est ce qu’ont réussi certains pays d’Europe de l’Est, là où d’autres, comme l’Argentine, ont échoué en se limitant à une réponse monétaire.
In fine, briser l’héritage pour libérer l’avenir
La Tunisie n’est pas condamnée à subir éternellement le poids de son passé inflationniste. Mais pour briser ce cercle vicieux, il faut accepter que la crédibilité ne se décrète pas. Elle se construit dans le temps, par des politiques cohérentes, une gouvernance transparente et un partage équitable de l’effort économique.
La Tunisie n’est pas condamnée à subir éternellement le poids de son passé inflationniste. Mais pour briser ce cercle vicieux, il faut accepter que la crédibilité ne se décrète pas. Elle se construit dans le temps, par des politiques cohérentes, une gouvernance transparente et un partage équitable de l’effort économique.
Tant que les déséquilibres persistants nourriront la défiance, la Banque centrale restera enfermée dans un rôle de pompier, condamné à des interventions coûteuses et socialement douloureuses. Le véritable enjeu n’est donc pas seulement de stabiliser l’inflation aujourd’hui, mais de reconstruire la confiance de demain. Car une monnaie forte ne repose pas uniquement sur un taux directeur, mais sur la capacité d’un pays à tourner la page de son histoire inflationniste.
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Article en relation: ECLAIRAGE – L’ombre longue de l’inflation passée – La Tunisie face à son dilemme monétaire (1/3)
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REFERENCES :
(*) The Legacy of High Inflation on Monetary Policy Rules :NBER- w34107 l’héritage d’une inflation élevée: par : Luis I. Jacome H.Georgetown University, Nicolás E. Magud, Monetary Fund (IMF), Samuel Pienknagura, International Monetary Fund (IMF) et Martín Uribe, Columbia University – Graduate School of Arts and Sciences – Department of Economics; National Bureau of Economic Research (NBER), Date Written: August 2025
https://www.nber.org/search?page=1&perPage=50&q=w34107
(**) FEST- ÉTUDE DE L’ÉVOLUTION DES SALAIRES RÉELS EN TUNISIE : Dr Tahar El Almi et Phd Ezzedine Larbi, ( RIP )
https://library.fes.de/pdf-files/bueros/tunesien/14391.pdf
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