Le nouveau maître de Damas : de la kalachnikov aux costumes trois-pièces
Collier de barbe fourni mais soigné, costume trois-pièces, chemise blanche et cravate noire… Que cache ce changement de look vestimentaire arboré par le nouveau maître de Damas, l’homme qui a annoncé abandonner son nom de guerre associé à son passé djihadiste, Abou Mohammed al-Joulani, pour retrouver son patronyme de naissance, Ahmed al-Charaa ?
Quelle spectaculaire métamorphose ! Au premier jour de la chute spectaculaire de Damas, le monde découvrait, ébahi, le visage du nouveau maître de la Syrie, Ahmad al-Charaa, alias Abu Mohammed al-Joulani, vêtu d’un uniforme militaire, une kalachnikov sur l’épaule et une barbe fournie.
Le lendemain, le même homme, toujours en tenue militaire mais sans arme, dirigeait la prière à la grande mosquée des Omeyyades, joyau de l’architecture et de l’art islamiques, pour signer de facto la fin du régime de Bachar al-Assad
Métamorphose
Changement total de look au troisième jour. Le chef du groupe armé islamiste, Hay’at Tahrir Al-Cham, apparut en costume sombre mais sans cravate.
Le lendemain, en accueillant le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, il troqua le treillis militaire contre un classique complet-cravate, assorti d’une chemise blanche et d’une sévère cravate noire. Sans oublier de passer chez son coiffeur pour lui tailler la barbe qui était bien fournie !
Une mise en scène soigneusement élaborée qui témoigne du passage de l’homme du djihadisme aux manières douces des codes de la diplomatie et de l’urbanité dans un monde qui ne jure désormais que par les images. On est loin des premières interviews à la chaîne Al Jazeera, en 2015, où il s’était alors exprimé en tant qu’émir du Front Al-Nosra, en cachant son visage avec un long châle noir.
Ainsi, maîtrisant désormais les ficelles de la communication, bien coaché, l’homme qui aura combattu aux côtés d’Al-Qaïda en Irak et en Syrie cherche désormais à lisser son image et à « vendre » un visage plus modéré. Pourtant, il était l’un des djihadistes les plus recherchés de la planète ; sa tête était mise à prix à 10 millions de dollars par les États-Unis. Sachant que cette récompense a été retirée par Washington après que le nouvel homme fort de la Syrie a reçu pour la première fois, vendredi 20 décembre 2024, une délégation américaine à Damas.
Changement de façade
L’ancien chef du Front Al-Nosra a-t-il vraiment changé ? Il justifie sa modération apparente par la maturité. « Un homme de 20 ans aura une personnalité différente d’un homme de 30, 40 ou 50 ans, c’est la nature humaine », explique celui qui a annoncé abandonner son nom de guerre pour retrouver son patronyme de naissance, Ahmed al-Charaa, lors d’une récente interview sur CNN.
La vérité, c’est que l’homme n’a pas idéologiquement changé. Jugez-en vous-même.
Lors de l’arrivée à Damas des ministres français et allemand des Affaires étrangères, vendredi 3 janvier, une scène a retenu l’attention du monde entier : Jean-Noël Barrot, chef de la diplomatie française, a été accueilli par une poignée de main de la part d’Ahmad al-Charaa. En revanche, son homologue allemande, Annalena Baerbock, a vu son geste ignoré, al-Charaa se contentant d’un simple salut.
Ce comportement, inédit dans les protocoles diplomatiques internationaux, s’inscrit dans une conception rigoriste de l’islam d’un autre âge qui prohibe tout contact physique entre hommes et femmes, fût-ce une simple poignée de main.
Rappelons à cet égard qu’avant cette rencontre, les ministres se sont rendus à la prison de Saydnaya, près de Damas, symbole de la répression sous le régime d’Assad. Dans un message publié sur X, Jean-Noël Barrot a réaffirmé que la France et l’Allemagne se tiennent «aux côtés du peuple syrien, dans toute sa diversité», et souhaitent favoriser une transition pacifique ».
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Ainsi, cette visite marque un tournant dans les relations internationales avec la Syrie, en étant la première de ministres des Affaires étrangères de grandes puissances occidentales depuis l’arrivée au pouvoir des nouveaux dirigeants.
Pragmatisme
Non, le leader de Hay’at Tahrir al-Cham, groupe ayant pris le contrôle du pays après le renversement de Bachar al-Assad, n’a pas idéologiquement changé, mais il aura opté pour un certain pragmatisme et une démarche politique flexible au détriment de l’idéologie rigide des mouvements djihadistes mondiaux, à l’instar d’Al-Qaïda, dont l’inflexibilité est de plus en plus considérée inefficace et improductive.
Reste la question fondamentale : la coalition de Hay’at Tahrir al-Cham au pouvoir, qui regroupe des courants islamistes hétérogènes, saura-t-elle muter, à l’instar de son chef, d’un mouvement djihadiste global à un mouvement nationaliste islamiste, style Erdoğan ?
L’avenir nous le dira.
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