Classement international de la Tunisie en IA : Un classement qui n’honore pas notre pays et ses compétences
Faire de la Tunisie « une terre du numérique et terre de l’innovation », notamment via Smart Tunisia, c’est l’objectif du programme Smart Tunisia qui voulait transformer la Tunisie en un hub technologique attractif en Afrique du Nord, avec des objectifs ambitieux et des réalisations concrètes depuis son lancement en 2015. Avons-nous réussi ? Nous allons essayer d’apporter quelques réponses dans la deuxième partie de l’état des lieux des TIC en Tunisie depuis 2011.
Smart Tunisia visait à créer entre 50 000 et 100 000 emplois dans le secteur des technologies de l’information et de la communication (TIC) d’ici 2025.
Environ 3420 emplois ont seulement été créés dans le cadre de Smart Tunisia en 2019, rien en 2020 (covid) et 6000 en 2021, avec des prévisions de 6000 par an jusqu’en 2024. Cependant, les investissements étrangers restent modestes par rapport aux attentes initiales.
“L’innovation est le moteur du progrès, et les startups tunisiennes en sont la preuve.”
S’agissant de la digitalisation de l’administration et la simplification des procédures l’objectif était de numériser 100 % des services publics et simplifier les procédures administratives via l’e-gouvernement d’ici 2025, un nombre de services administratifs numériques atteindra 85 services à la fin de l’année 2023 selon ce document du ministère TIC 01/2022 : Projet Annuel de Performance pour l’Année 2022.
Résultat : environ 50 services administratifs sont déjà digitalisés (notamment les services fiscaux et de santé), mais la numérisation globale reste insuffisante. Le taux d’usage des services en ligne reste faible, à 30 % des citoyens utilisant les services digitaux proposés.
Selon les informations disponibles, voici les principaux résultats concrets obtenus par la Tunisie depuis la mise en œuvre de sa stratégie numérique 2025 :
- lancement de plusieurs projets dans l’axe e-Gov :
- l’identité numérique sur mobile (e-Houwiya) ;
- le portail national des services en ligne (e-Bawaba) ;
- le mailbox officiel du citoyen (e-Barid)
- le portefeuille et la carte de paiement électronique associés à l’identité digitale
- mise en place du premier contrat électronique en Tunisie le 11 avril 2023, concernant la cession de propriété des véhicules privés. Ce service vise à simplifier plus de 250 000 opérations annuelles.
- développement de l’encadrement juridique du contrat électronique, lui donnant la même valeur juridique qu’un contrat papier ;
- adoption d’une signature électronique de type PAdES (PDF Advanced Electronic Signature) et d’un cachet électronique visuel au format TN CEV 2D-Doc ;
- mise en place de l’interopérabilité entre les systèmes d’information des entités gouvernementales ;
- diversification des canaux de service et de notification, unification des techniques d’accès, et connexion des registres gouvernementaux ;
- modernisation de la façon dont le citoyen est servi en ligne, avec une simplification des services électroniques.
Les progrès réalisés dans la transformation numérique de l’administration tunisienne se manifestent par l’amélioration des services en ligne et de l’identité numérique. Cependant, il est essentiel de noter que les données disponibles ne fournissent pas d’indicateurs quantitatifs clairs sur l’impact global de la stratégie ou sur l’atteinte des objectifs spécifiques.
Le rapport 2024 du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies (DAESNU) classe la Tunisie au 87e rang mondial et au 3eme en Afrique dans l’indice de développement de l’administration électronique (EGDI), avec un score global de 0,6935. Ce score est décomposé en sous-scores : 0,5951 pour les services en ligne, 0,6497 pour le capital humain, et 0,8357 pour l’infrastructure des télécommunications.
Ces résultats reflètent les avancées du pays dans la modernisation numérique et l’accès aux services publics via des plateformes électroniques, même s’il reste des efforts à fournir pour atteindre les objectifs fixés dans les diverses stratégies nationales.
Pour clarifier les termes clés de cet indice :
- EGDI (E-Government Development Index) : Cet indice composite évalue la capacité et l’engagement des pays à utiliser les technologies de l’information et de la communication (TIC) pour offrir des services publics, ayant augmenté de 0,6526 en 2020 à 0,6935 en 2024, indiquant une tendance à la hausse.
- OSI (Online Service Index) : Mesurant la portée et la qualité des services en ligne, cet indice a diminué, passant de 0,6031 en 2022 à 0,5951 en 2024.
- HCI (Human Capital Index) : Cet indice, qui évalue l’éducation et les compétences de la population, a enregistré une baisse, passant de 0,6911 en 2022 à 0,6497 en 2024.
- TII (Telecommunication Infrastructure Index) : Évaluant le développement des infrastructures de télécommunication, cet indice a fortement augmenté, passant de 0,6646 en 2022 à 0,8357 en 2024.
L’EGDI est calculé comme une moyenne pondérée des indices OSI, HCI et TII, ce qui permet de comparer et de classer les pays en matière de développement de l’e-gouvernement.
Préparation aux nouveaux métiers du numérique
Objectif : Former 50 000 professionnels du numérique d’ici 2025 en réponse aux besoins croissants du marché.
Résultat : Environ 12 000 personnes ont été formées via divers programmes, notamment des certifications en ligne et des formations techniques, mais le nombre reste bien en deçà des objectifs. Le déficit de compétences en technologies avancées comme l’IA et la cybersécurité est toujours présent
Stratégie nationale de cybersécurité
Objectif : Élaborer un cadre de cybersécurité robuste pour anticiper, prévenir et détecter les cybermenaces, et sécuriser les infrastructures critiques.
Résultat : la TIC a mis en œuvre plusieurs mesures importantes pour renforcer la sécurité numérique dans le cadre de sa stratégie de cybersécurité. En 2023, le gouvernement a lancé l’Agence nationale de Cybersécurité (ANCS), dont la mission principale est de protéger les infrastructures critiques nationales, tant publiques que privées. Cette agence est chargée d’établir des politiques de sécurité, de surveiller les menaces cybernétiques et de coordonner les efforts avec des partenaires internationaux.
Bien que certains rapports mentionnent un investissement initial de 100 millions de dinars tunisiens ou de 50 millions d’euros, ces chiffres exacts restent à confirmer.
“Un e-gouvernement efficace est au service du citoyen et de son développement.”
L’Union Internationale des Télécommunications (UIT) vient de publier son Global Cybersecurity Index 2024, un indicateur permettant d’évaluer les avancées des pays en matière de cybersécurité. Malheureusement, ce rapport révèle un recul significatif pour la Tunisie par rapport à 2020, alors que plusieurs pays voisins ont enregistré des progrès notables, soulignant ainsi la nécessité urgente d’améliorer les infrastructures et les politiques de cybersécurité du pays.
Soutien à l’innovation et aux startups
L’un des piliers de cette stratégie est l’encouragement de l’innovation et la création de startups dans le domaine technologique.
Objectif de création de startups : La Tunisie vise la création de 1 000 startups d’ici 2025. Cette ambition fait partie d’une stratégie de développement axée sur l’innovation numérique, visant à diversifier l’économie du pays et à réduire le chômage, notamment celui des jeunes.
Startups et innovation : La Tunisie continue de soutenir l’écosystème des startups, avec plus de 800 entreprises créées sous le label “Startup Act” depuis son lancement, pour un financement total de 62 millions d’euros. Malgré ce succès, l’accès aux financements internationaux reste un défi majeur pour les entrepreneurs tunisiens.
Fonds d’investissement dédiés aux startups :
Pour remédier à ces défis, la Tunisie a mis en place de nouveaux mécanismes de financement. Le Fonds d’investissement Anava, en partenariat avec la Banque mondiale et d’autres organisations internationales, engage 75 millions USD (soit environ 207 millions TND) exclusivement pour soutenir les startups tunisiennes. Par ailleurs, le gouvernement travaille sur une politique d’exonération fiscale pour les investissements dans les startups locales, visant à attirer à la fois des capitaux domestiques et étrangers. Avec ces initiatives, la Tunisie espère non seulement atteindre mais aussi dépasser son objectif, en faisant des startups un levier essentiel pour diversifier l’économie et lutter contre le chômage des jeunes dans le secteur technologique.
Incubateurs et accélérateurs : La Tunisie prévoit d’ouvrir 20 incubateurs supplémentaires, dans le cadre de partenariats avec l’Union européenne et des investisseurs étrangers, pour fournir un soutien aux startups dans les premières étapes de leur développement, le nombre aujourd’hui
En Tunisie, le nombre d’accélérateurs et d’incubateurs dédiés aux startups est estimé entre 30 et 40, soit un ratio d’environ 2,56 à 3,42 unités par million d’habitants, ce qui place le pays au même niveau que des nations comme la France (2,94 à 3,67) ou l’Italie (2,5 à 3,3). Cette situation amène néanmoins à interroger leur efficacité, leurs résultats, ainsi que leurs retombées concrètes sur l’économie et le quotidien des Tunisiens.
L’écosystème entrepreneurial, incluant le Startup Act, nécessite une révision approfondie. En effet, le Startup Act est parfois détourné par des pratiques financières inappropriées, ce qui génère de la frustration chez les entrepreneurs locaux, souvent contraints au silence. Pour une meilleure transparence et un suivi rigoureux, il est essentiel que le ministère des TIC établisse des indicateurs clairs, en particulier pour les financements publics, afin d’assurer un impact positif et mesurable de ces initiatives.
“La cybersécurité est un enjeu majeur pour notre société numérique.”
En conclusion, la stratégie numérique 2025 en Tunisie a permis des progrès importants, notamment à partir de 2022, un changement de style dans la gouvernance, plus de sobriété, toujours de l’ambition, c’est impératif, mais du réalisme, des progrès dans l’infrastructure numérique et l’accès aux smartphones, mais des efforts restent nécessaires pour atteindre tous ses objectifs, surtout en matière de formation, d’inclusion numérique, et de cybersécurité.
Aujourd’hui, environ 80 % des Tunisiens utilisent un smartphone, soit 8,9 millions d’appareils sur un total de 12,3 millions de terminaux, avec une augmentation de 3,7 % entre 2022 et 2023. Parmi ces smartphones, 80 % sont compatibles 4G, 8 % avec la 3G, et 7 % avec la 5G, dont la compatibilité a augmenté de 1,3 % en un an. La Tunisie prévoit de lancer officiellement la 5G en novembre 2024, dans une phase initiale qui favorise les zones les plus rentables pour encourager l’adoption.
Le numérique contribue aujourd’hui à environ 7 % du PIB tunisien, avec un objectif de 10 % d’ici 2030, un indicateur du rôle stratégique de l’initiative Smart Tunisia pour le développement économique et l’innovation du pays. Cependant, des obstacles demeurent pour garantir une inclusion numérique complète : 26 % des Tunisiens n’ont ni ordinateur ni smartphone, 18,2 % trouvent les abonnements Internet trop coûteux, et 7 % considèrent les prix des équipements inabordables. De plus, environ 3,1 % de la population ne bénéficie pas d’une couverture réseau suffisante, ce qui empêche l’accès à Internet dans certaines régions.
“Investir dans le numérique, c’est investir dans l’avenir de la Tunisie.”
L’extension des infrastructures numériques, en particulier dans les régions rurales, devrait permettre d’atteindre une couverture Internet de 90 % dans ces zones, facilitant l’accès à l’éducation en ligne et au télétravail, et assurant ainsi une plus grande inclusion numérique dans les années à venir.
L’évolution du trafic data fixe national en Tunisie, passant de 2 398 pétaoctets en 2020 à 5 072 pétaoctets en 2023 (1 pétaoctet équivaut à un million de giga octets), révèle des signes encourageants pour le développement numérique du pays. Cette forte croissance reflète une demande accrue, bien que les réseaux sociaux représentent une part significative de ce trafic.
La Tunisie n’a toujours publié sa stratégie nationale de l’intelligence artificielle et notre classement international dans son domaine n’honore pas notre pays et les compétences tunisiennes.
Sami Ayari
Expert in Data & IT organization – Founder of RECONNECTT