EY : vers une finance inclusive, résiliente et personnalisée
Tunisie, 2030. Yasmine s’apprête à finaliser l’achat de sa maison, difficilement dénichée après plusieurs mois de recherches et de visites. Il ne lui reste plus qu’à trouver le financement, mais elle sait que cela pourra se faire très rapidement.
Elle accède à sa Super app (place de marché de la finance tunisienne), charge les plans, les photos et l’emplacement de la maison, réserve le montant de son apport personnel disponible sur ses comptes bancaires, sélectionne les banques et les assurances qu’elles souhaitent consulter et autorise leur accès à ses données personnelles et aux données de la maison à acquérir. Les banques et les assurances sont automatiquement informées, leurs agents IA préparent la décision de crédit et le dossier de souscription d’assurance en « expertisant » le bien, analysant les capacités financières de Yasmine et proposant l’offre la plus adéquate.
Les 2 banques, 3 assurances et 4 bancassureurs sélectionnés par Yasmine fournissent leurs offres de crédit et de couverture d’assurance vie et incendie sous 48 heures. Yasmine n’a plus qu’à sélectionner les meilleures offres et à déclencher la mise en place des dossiers en lien avec les services publics désormais en ligne.
Une fois les dossiers en place, l’application fait le virement du montant du crédit ainsi que l’apport personnel réservé au vendeur et déclenche les couvertures en assurance. Ce scénario de la vie courante en 2030 illustre l’évolution des usages des consommateurs tunisiens vers plus d’immédiateté, d’accessibilité et de personnalisation grâce à l’activation des technologies modernes d’IA, de digitalisation et d’exploitation des données et ce dans le strict respect des réglementations de protection de données personnelles notamment.
Ainsi, le secteur financier est aujourd’hui à un tournant décisif. Porté par une dynamique mondiale de digitalisation, il est simultanément confronté à une pression réglementaire croissante et à des attentes clients en pleine mutation. Cette triple révolution -technologique, réglementaire et d’usage -redéfinit les contours de la finance de demain : plus inclusive, plus résiliente, et surtout, plus personnalisée.
Forte évolution des usages à satisfaire
Les clients évoluent et deviennent plus mobiles, mieux informés, plus pressés et plus connectés et s’attendent à ce que les services financiers répondent à leur besoin de rapidité voire d’immédiateté, d’accessibilité et de conseil. Les interactions avec les banques et les assureurs se doivent aujourd’hui d’être multicanales pour s’informer en ligne, faire des simulations sur smartphone, conclure en agence et suivre ses contrats en ligne ou par téléphone.
Les jeunes générations s’attendent à une expérience client personnalisée, voire communautaire, à l’image de ce qu’ils connaissent depuis des années sur les réseaux sociaux.
Enfin, les clients sont de plus en plus sensibles aux critères extra financiers, pas encore comme critère discriminant de souscription, mais comme facilitateur de choix. Ainsi, selon une étude de perception de l’assurance en Tunisie réalisée par EY en avril 2025, 62% des clients d’assurance se déclarent sensibles aux actions RSE entreprises par leur assureur.
Inclusion financière à accélérer
Par ailleurs, nous continuons en Tunisie à avoir un enjeu important d’inclusion financière qui constitue à la fois une obligation «morale» des institutions financières d’équiper et d’accompagner les acteurs économiques et une opportunité d’accélérer leur croissance.
Ainsi, nous jouissons d’un des taux de bancarisation les plus élevés en Afrique, estimé à 50% selon le rapport de la Banque mondiale en 2023, mais ce taux stagne et reste bien en deçà des standards internationaux des pays de l’OCDE (> à 97%).
Une avancée a été réalisée ces dernières années dans le paiement mobile, mais le nombre de wallets restent assez timides avec 440.000 wallets atteints à mi 2025 selon le rapport de la Banque centrale de Tunisie (BCT) sur les paiements au premier semestre 2025. Une adoption encore timide malgré les efforts.
Le taux de pénétration en assurance (rapport entre le chiffre d’affaires des assureurs et le PIB), indicateur du niveau de couverture de l’économie contre les divers aléas et donc révélateur de sa résilience, reste en Tunisie à 2,4% et très en deçà de la moyenne mondiale qui est à 7,4%. Ainsi, lunisie présente aujourd’hui un très grand potentiel de développement de l’assurance avec un enjeu de multiplier le chiffre d’affaires non-vie par 2,5 et celui de l’assurance vie par 5, et ce pour rattraper la moyenne mondiale. Pour relever ces défis, plusieurs pistes peuvent être envisagées, notamment l’innovation digitale, l’éducation financière et une régulation plus incitative
Pression réglementaire croissante
Les régulateurs du secteur financier accentuent depuis quelques années la cadence des réformes réglementaires pour renforcer les bonnes pratiques de la finance tunisienne et par là-même sa résilience et sa capacité à accompagner le développement économique.
Des réformes sont ainsi en cours pour renforcer la solvabilité des banques et des assurances avec la mise en place de méthodes plus quantitatives des exigences en fonds propres et de minima plus consistants. Des normes semblables à celles de Bâle 3 sont en cours de mise en place pour les banques et des études sont en cours pour la mise en œuvre de normes de solvabilité basée sur les risques pour les assurances. Ces réformes permettront au secteur financier d’être plus résilient et mieux protégé contre les aléas économiques et donc de mieux servir les acteurs économiques.
Cette évolution s’étend au reporting financier avec le projet d’adoption des normes IFRS par le secteur financier qui donnent une meilleure vision de la réalité économique et de la solidité financière des entreprises.
Malgré des niveaux de maturité différents entre les acteurs du secteur financier et l’absence d’exigence ferme sur la date d’entrée en vigueur de ces référentiels, nous observons aujourd’hui une vraie adoption de ces référentiels dans plusieurs banques et compagnies d’assurance, ce qui note d’une transformation dans le management des institutions financières qui, désormais, met le risque au cœur de leur pilotage stratégique et opérationnel, transformant ainsi les contraintes réglementaires en atouts. Parallèlement à ces réformes, de grands efforts ont été réalisés ces dernières années en termes de protection des consommateurs et de protection des données personnelles, efforts qui se poursuivent actuellement. Certes, ces réformes sont complexes, coûteuses et mobilisent fortement les insti- tutions financières, mais elles amènent une meilleure maîtrise des opérations et des risques. Elles ont également été l’occasion, pour de nombreux acteurs, de se pencher sur leurs données, un véritable trésor longtemps sous-exploité, désormais au cœur des stratégies de transformation.
Opportunités technologiques à saisir avec l’IA et la Data comme catalyseurs de transformation
Pour relever ces défis, les institutions financières misent sur les évolutions technologiques émergentes, devenues accessibles. L’IA, la RPA (Robotic Process Automation), le digital,…toutes reposant sur un actif stratégique : la donnée.
Grâce aux capacités récentes de collecte de quantités massives de données, de leur traitement et de leur utilisation dans des délais très réduits, les banques, assurances et autres établissements financiers vont enfin pouvoir mettre à profit la Data qu’ils ont accumulée depuis des années.
Ainsi, pour répondre à l’évolution des usages des clients, la mise en place de nouvelles applications repensées grâce aux nouvelles techniques de design (UX/UI) faciliteront l’accès aux services financiers, car elles seront semblables aux interfaces utilisées par les réseaux sociaux et donc plus familières. Ces applications seront également optimisées pour une meilleure expérience client et centrées sur lui et ses besoins, et non plus sur les contraintes de la banque ou de l’assurance, rendant ainsi leur utilisation plus intuitive.
L’interconnexion des systèmes du frontal de vente sur mobile ou internet ou sur le PC du chargé de clientèle ou de l’agent d’assurance jusqu’aux systèmes de gestion au niveau du siège permettront une expérience fluide et sans couture pour les clients. L’intégration d’agent IA dans les applications de vente permettront de proposer le meilleur produit et la meilleure couverture pour chaque client en fonction de son historique et de ses moments de vie pour lui apporter le bon conseil et l’offre la plus adéquate et la plus personnalisée.
Ces agents IA peuvent également analyser les documents de crédit ou d’assurance pour accélérer les contrôles de conformité ou pour pré accorder des limites de crédit, contribuant ainsi à une inclusion financière plus rapide et plus efficace.
La robotisation des processus de gestion en banque ou en assurance permettra quant à elle de réduire significativement le temps de traitement des dossiers, d’abaisser les coûts de gestion et de recentrer les équipes sur des tâches à forte valeur ajoutée. Ceci aura pour effet d’améliorer la qualité de service tout en rendant les produits financiers plus accessibles grâce à la maîtrise des coûts.
L’adoption de la Data science permettra aux banques et aux assurances de relever le double défi de la modernisation et de la conformité réglementaire en mettant en place des modèles avancés de quantification et de gestion des risques. Les institutions financières pourront non seulement répondre aux exigences des nouvelles normes (IFRS, Bâle, SBR…), mais aussi renforcer leur maîtrise des risques, tout en gagnant en agilité et en précision. Les exemples d’utilisation de ces technologies et de mise à profit de la donnée sont très nombreux. Plusieurs sont déjà mis en place dans certaines institutions tunisiennes, mais le rythme d’implémentation gagnerait à être accéléré pour être au rendez-vous des défis relevés.
Pour ce faire, elles pourront compter sur des entreprises tunisiennes déjà actives dans l’implémentation de ces technologies à l’échelle internationale. Elles gagneraient également à mobiliser l’écosystème de fintechs tunisiennes, en pleine croissance. En effet, la Tunisie connaît depuis quelques années une poussée du nombre de fintechs (60 à fin 2021 selon le « baromètre des fintechs tunisiennes » réalisé par Tunisian Startups avec le soutien de la GIZ), la plaçant 4ème dans la région MENA et 7ème en Afrique.
Au-delà de la mise en œuvre de ces technologies pour relever les défis déjà identifiés, on peut rêver au développement de l’open finance, de la finance verte et responsable, de la monnaie électronique tunisienne et de nombreuses autres innovations financières sur lesquelles la Tunisie pourrait être pionnière. L’humain, enjeu clé de la transformation digitale Enfin, cette transformation ne peut se faire sans une évolution profonde dans la ges- tion des compétences humaines. Les institutions financières font face à des vagues de départ à la retraite de leurs Ces départs doivent être anticipés pour assurer la transmission des savoirs et la continuité de l’activité. Par ailleurs, elles doivent attirer de nouvelles compétences, rares sur le marché : digital fluents, data scientists, spécialistes IA.
Face à ces évolutions, il est également essentiel d’accompagner les collaborateurs en place dans leur montée en compétence ou leur reconversion, afin de préserver l’humain au cœur de la transformation.
Ainsi, le scénario de financement de la maison de Yasmine en 2030 devient parfaitement plausible et crédible. Ces révolutions, technologique et réglementaire, positionneront les institutions financières tunisiennes à la pointe du progrès pour un meilleur accompagnement et support à l’économie tunisienne !
Cet article est disponible dans le Spécial Finance n° 931 du 19 novembre au 3 décembre 2025
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