Les influenceur,se.s et créateur.rice.s de contenus via les réseaux sociaux, comme Instagram, TikTok et Youtube, sont dans leur écrasante majorité des évadés fiscaux que les autorités cherchent à débusquer et à faire payer l’impôt sur le revenu comme le reste des contribuables tunisiens.
Selon la ministre des Finances, Sihem Boughdiri Nemsia, qui intervenait hier, mardi 12 novembre 2024, lors de la séance plénière au parlement consacrée à la discussion du budget de l’Etat pour 2025, son département a mis en place une importante base de données relative à plusieurs activités non déclarées aux services fiscaux, et créé une cellule en charge de collecter et d’exploiter les informations relatives aux personnes s’adonnant à des activités rémunératrices sur les réseaux sociaux, tels que les influenceur.se.s et les créateur.rice.s de contenus.
Le contrôle fiscal de cette catégorie de contribuables, longtemps restés loin des radars du service d’impôt, a rapporté aux caisses de l’Etat plus de 15 millions de dinars, un chiffre en constante hausse.
Une application a d’ailleurs été mise en place qui permet d’envoyer automatiquement des avertissements aux personnes imposables qui n’ont pas remis leurs déclarations fiscales aux services d’impôt pour les rappeler à leur devoir.
Les avertissements envoyés via cette application ont atteint quelque 45 000 a indiqué la ministre, ce qui donne une idée de l’ampleur du manque à gagner du trésor public lié aux recettes que réalisent certains acteurs économiques restés jusque-là en dehors du système.
On aimerait voir les milliers de personnes qui opèrent dans la contrebande et le marché parallèle, et qui représentent, selon certaines estimations, entre 40 et 50% du PIB, payer eux aussi leur impôt. Ce qui n’est malheureusement pas encore le cas, puisque ce sont les opérateurs du marché formel qui casquent aujourd’hui pour eux, avec des taux d’imposition pouvant atteindre jusqu’à 40% de leurs revenus.
Le gouvernement tunisien se donne pour objectifs pour 2025 d’endiguer le déficit budgétaire, de maintenir l’endettement public à un niveau acceptable, de lutter contre l’inflation et d’équilibrer les finances publiques. C’est la quadrature du cercle, en somme, tant ces objectifs semblent difficiles à atteindre en même temps dans la conjoncture nationale et internationale actuelle.
Imed Bahri
C’est pourtant que qu’a assuré, vendredi 8 novembre 2024, le chef du gouvernement, Kamel Maddouri, lors de l’ouverture des plénières conjointes entre l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) et le Conseil national des régions et des districts (CNRD), consacrées à l’examen des projets de Loi de finances et du Budget économique de l’année 2025.
«Tous les indicateurs font état d’une amélioration de la performance économique notamment dans les secteurs du tourisme et de l’agriculture, depuis le début du deuxième semestre. Cela devrait contribuer à réaliser un taux de croissance de 1,6% en 2024, et ce, malgré les difficultés auxquelles sont confrontées encore les industries extractives et manufacturières», a déclaré Maddouri, qui s’attend à une amélioration de la balance des paiements, et ce, grâce à la maîtrise du déficit budgétaire courant qui devrait atteindre 2,7% du PIB en 2024, en dépit de la hausse remarquable du déficit énergétique.
Optimisme de la volonté
Maddouri, dont l’optimisme (de la volonté) tranche avec le pessimisme (de l’intelligence) des experts, a, également, estimé que les réserves en devises devraient atteindre un niveau satisfaisant grâce aux transferts des Tunisiens à l’étranger et aux recettes touristiques, outre la hausse des flux des investissements extérieurs notamment dans le secteur des énergies renouvelables.
«Les estimations des ressources propres de l’État pour l’année 2025 dépendent principalement de l’amélioration de recouvrement de ses ressources, à travers l’appui de respect des obligations fiscales, la lutte contre l’évasion fiscale, l’intégration de l’économie parallèle dans le circuit légal, l’élargissement de l’assiette fiscale, l’amélioration des services administratifs, grâce à la numérisation et la modernisation de la direction de fiscalité et de recouvrement», a-t-il déclaré. Mais en disant cela, il mesure sans doute les difficultés auxquelles son gouvernement devra faire face pour réaliser tous ces objectifs, véritables casse-têtes sur lesquels la plupart de ses prédécesseurs au poste ont buté.
«Les efforts seront orientés vers la conception de nouvelles approches nationales plus efficaces et le recours aux compétences tunisiennes dans les différents domaines, afin de rétablir la confiance, booster la production et l’exportation, stimuler les investissements et promouvoir les activités prometteuses à haute valeur ajoutée», a insisté le chef du gouvernement, selon ses propos rapportés par l’agence officielle Tap.
«L’amélioration de la situation économique du pays constitue l’une des priorités de l’Etat, qui œuvre à renforcer la compétitivité des entreprises tunisiennes», a-t-il indiqué, rappelant que le tissu économique a fait face à plusieurs crises, à des transformations géostratégiques mondiales et à des fluctuations économiques conjoncturelles, laissant ainsi entendre que l’économie tunisienne, bien qu’elle soit en crise depuis 2011, enregistrant des taux de croissance annuelle variant entre 1 à 2%, a fait preuve jusque-là d’une résilience remarquable face aux crises mondiales (attaques terroristes, épidémie de Covid-19, guerre en Ukraine…). Une manière de ne voir que la partie pleine du verre…
Pessimisme de l’intelligence
L’Etat œuvrera à honorer ses engagements financiers extérieurs, a-t-il enfin insisté, en direction des bailleurs de fonds, sachant que son gouvernement va devoir continuer à s’endetter, alors que le taux d’endettement du pays est estimé 77,09% du PIB en 2024 (Statista), pour… pouvoir rembourser ses anciennes dettes et couvrir ses dépenses de fonctionnement, selon un schéma qui est reconduit d’une année à une autre depuis 2011, tout en attendant une hypothétique reprise économique qui tarde à pointer à l’horizon.
Selon les prévisions de la Banque africaine de développement (BAD), le taux de croissance du PIB de notre pays, qui a chuté à 0,4% en 2023 en raison de la sécheresse, devrait remonter à 2,1% en 2024 (1,6%, selon une plus récente estimation du ministre de l’Economie Samir Abdelhafidh) et 2,9% en 2025. Ces taux demeurent très faibles pour permettre la réduction du chômage qui se maintient autour de 15% depuis au moins deux décennies. Et au cours de toute cette période, aucun des nombreux gouvernements qui se sont succédé (une bonne quinzaine) n’a réussi à faire bouger le mastodonte.