Israël tue les témoins du génocide qu’il perpètre à Gaza
Avant-hier, dimanche 10 août 2025, à Gaza, cinq autres journalistes palestiniens ont été tués (Ph. Anas Al-Sharif et Mohammed Qreiqeh, deux des cinq journalistes tués). L’occupant, Israël en l’occurrence, a reconnu être l’auteur de ces assassinats. Cinq vies brisées. Cinq voix réduites au silence. Et derrière ce crime, un but : empêcher le monde de voir. Empêcher les caméras de capter les images d’enfants au ventre creux, aux côtes saillantes, mourant de faim dans les ruines. Empêcher les témoignages sur les corps recouverts de poussière, sur les visages hagards des survivants, sur cette bande de terre détruite à 80 % et qui compte déjà plus de 200 000 morts et blessés sous les bombes de l’Etat hébreu.
Khémaïs Gharbi *

Tuer un journaliste en zone de guerre, ce n’est pas seulement éteindre un regard, c’est éteindre notre regard collectif. C’est nous priver volontairement de la possibilité de voir — et donc de comprendre, de réagir, de nous indigner.
C’est exactement ce que décrivait, dans un autre langage, le prix Nobel de littérature José Saramago dans son roman ‘‘L’Aveuglement’’. Publié en 1995, il raconte comment une épidémie étrange rend un pays entier aveugle. Mais cette cécité n’est pas seulement physique : elle est morale. On enferme les malades, on les prive de dignité, on les laisse se débrouiller dans la faim et la peur, pendant que ceux qui pourraient les aider détournent le regard.
Un aveuglement délibéré
Aujourd’hui, Gaza est l’asile du roman de Saramago à l’échelle d’un peuple. L’aveuglement n’est pas causé par une lumière blanche mais par des choix politiques : occuper des terres étrangères, bloquer leurs populations, détruire leurs infrastructures, contrôler leurs communications — et réduire au silence ceux qui témoignent. Les journalistes tués sont nos témoins lucides, nos «voyants» dans un monde d’aveugles qui préfère parfois l’obscurité confortable à la vérité insupportable.
À la fin de ‘‘L’Aveuglement’’, la vue revient mystérieusement. Mais Saramago laisse planer un doute : les hommes ont-ils appris à regarder ?
Le regard retrouvé
Pour Gaza, la même question se pose : lorsque la guerre cessera — car elle cessera un jour —, que fera-t-on du regard retrouvé ? Servira-t-il à reconnaître enfin l’humanité de ce peuple et la barbarie sanguinaire de ses oppresseurs, ou redeviendrons-nous aveugles, autrement ?
La vraie cécité, écrivait Saramago, n’est pas celle des yeux mais celle de la conscience. Et chaque journaliste tué à Gaza – et ils dépassent la centaine aujourd’hui depuis le 7 octobre 2023 – est une paire d’yeux arrachée au monde, une part de notre conscience qu’on assassine.
Ne détournez pas les yeux : ce qu’ils voulaient cacher, c’est à nous de le regarder.
* Ecrivain, traducteur.
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